La Bible aime les tableaux en noir et blanc, sans trop de nuances, dans lesquels le noir fait tellement mieux ressortir le blanc. Nous en avons une merveilleuse illustration dans les textes d’aujourd’hui. Dans la première lecture, le contraste est tellement frappant qu’on pourrait l’écrire en deux colonnes avec, d’un côté, l’homme maudit et, de l’autre côté, l’homme béni. Mais attention, une lecture un peu trop rapide du texte pourrait nous laisser croire que malédiction et bénédiction vont être données par Dieu en punition d’actes mauvais ou en récompense d’actes vertueux. A aucun moment, le texte ne nous le dit, il veut plutôt insister sur une logique du mouvement de la vie. C’est-à-dire que tous nos actes ont une conséquence : négative ou positive.
- L’homme qui se détourne du Seigneur devient mauvais et finit par ressembler à un buisson sur une terre désolée. L ’image est très parlante, il est tout sec, il égratigne tous ceux qui s’approchent de lui. Le texte est clair : en faisant de tels choix, il ne connaitra jamais le bonheur, sa vie sera comme une longue traversée du désert. Et l’évocation de la terre salée veut souligner qu’il n’y aura aucune fécondité dans sa vie, rien ne pousse sur une terre salée. Encore une fois, il n’y a aucune punition de Dieu, là-dedans, c’est la mise en lumière d’une logique attachée aux mauvais choix qu’on appelle un cercle vicieux, une spirale infernale qui n’en finit pas de nous précipiter vers le bas.
- Par contre, l’homme qui met sa foi dans le Seigneur, sa vie est à l’extrême opposée. Plus d’aridité Il sera comme un arbre, planté près des eaux. Plus de stérilité mais une fécondité extraordinaire. Là encore, Dieu ne semble pas intervenir directement, tous ces bienfaits sont la conséquence de bons choix. Si précédemment on était aspiré dans un cercle vicieux, ici, on s’élève toujours davantage grâce à un cercle vertueux.
Ce tableau en noir et blanc se conclut par une affirmation, elle aussi très tranchée et, semble-t-il, assez pessimiste : « Rien n’est plus faux que le cœur de l’homme, il est incurable ! » Pour bien comprendre cette déclaration, il faut la relier à ce qui précède, quand on le fait, on découvre que Jérémie veut nous mettre en garde. En effet, il nous arrive souvent de faire des choix tordus, mais nous voulons les cacher pour faire croire aux autres que nous sommes bien. C’est ce qu’on appelle la duplicité ou l’hypocrisie. C’est alors que Jérémie nous prévient : si nous pouvons tromper les autres, nous ne parviendrons pas à tromper Dieu parce que lui, dit Jérémie, il connait les cœurs et rendra à chacun selon sa conduite, selon le fruit de ses actes.
Alors quand on dit les choses comme ça, on peut, comme disent les jeunes, commencer à flipper ! Parce que, qui d’entre nous, peut prétendre mener une vie qui ne soit que vertueuse et même, certains jours qui soit majoritairement vertueuse ? Il peut toujours nous arriver, à certains moments de connaître de redoutables dégringolades dans le péché : un péché en appelant un autre, c’est le tristement fameux cercle vicieux que j’évoquais ! Et si ce que Jérémie disait est vrai, si Dieu rend à chacun selon sa conduite, alors oui, il y a de quoi flipper !
D’autant plus que l’évangile semble en rajouter une couche et là, ça nous gêne vraiment. Parce qu’on a l’habitude que, dans l’Ancien Testament, Dieu soit plutôt moins miséricordieux que dans le Nouveau. Mais, dans ce texte, où est la miséricorde ?
La déclaration d’Abraham au riche nous fait plutôt froid dans le dos : « tu as reçu le bonheur pendant ta vie, et Lazare, le malheur pendant la sienne. Maintenant, lui, il trouve ici la consolation, et toi, la souffrance. » Pas de miséricorde ! Et ça nous parait d’autant plus injuste que ce riche qu’on appelle souvent le mauvais riche, il semble se convertir dans l’au-delà. Mais rien n’y fait, il restera dans les souffrances éternelles. Oui, quand on entend ça, il y a vraiment de quoi flipper !
En fait, non, il n’y a pas de quoi flipper sauf si nous refusons de nous convertir, de reconnaître notre misère. Et c’est bien le cas de ce riche car sa conversion, elle n’est qu’apparente. Est-ce que, dans l’au-delà, vous l’avez entendu demander pardon pour sa conduite si égoïste ? Rien, pas un mot, pas l’ombre d’une demande de pardon adressée à Lazare ! Dans sa vie, comme tous les riches, il avait l’habitude de commander et tout le monde lui obéissait …eh bien, il continue de commander dans l’au-delà et il veut se servir de Lazare comme un boy qui pourrait adoucir ses souffrances. Rien, dans cette attitude ne laisse voir la moindre prise de conscience qui pourrait témoigner d’un début de conversion. On n’entend pas le moindre regret pour sa mauvaise attitude et les souffrances infligées à Lazare à cause de son égoïsme. Il n’y a pas, non plus, la moindre expression d’une lucidité qui lui ferait dire qu’il a été lamentable et qu’il est vraiment misérable. Quel dommage que cet endurcissement dans le péché !
Ce riche, il entre donc dans la catégorie des hommes mauvais, de ceux qui se détournent du Seigneur et dont Jérémie faisait une description bien négative dans la 1° lecture. Et nous voyons bien que ce que Jérémie annonçait se vérifie, ce riche, il est pris dans un cercle vicieux, une spirale tellement infernale qu’elle le conduit en enfer, le mot spirale infernale n’aura jamais aussi bien mérité son nom ! Il y a vraiment une conséquence logique à nos actes, qu’on résume habituellement par ce dicton : qui sème le vent récolte la tempête !
Pourtant cette logique infernale aurait pu être brisée, il aurait suffi à cet homme riche de se reconnaître misérable pour bénéficier de la miséricorde. La miséricorde ne peut venir que là où la misère est reconnue. Miséricorde et misère s’emboite si bien ! C’est ce qu’a fait le bon larron au calvaire et c’est ainsi qu’il s’est retrouvé comme le 1° accueilli en paradis, bénéficiant des fruits du sacrifice de Jésus sur la croix. C’est ce qu’avait fait, en son temps, Marie-Madeleine. Le pape Benoit XVI l’avait affirmé avec force dans son encyclique « Deus caritas est » et François ne cesse de le répéter : la miséricorde est le nom de Dieu. Voilà pourquoi il est inutile de flipper ! Flipper, c’est même contraire à la foi, en effet, le contraire de la foi n’est pas le doute mais la peur car la foi est fondamentalement confiance. Et la peur vient quand on a une idée déformée de Dieu.
Mais alors, me direz-vous, faisons comme le bon larron : profitons de la vie et il sera bien temps de faire appel à la miséricorde quand nous serons en situation de danger de mort, ainsi nous serons sauvés ! Comment pourrions-nous agir ainsi sous le regard du Dieu d’amour infini, ce serait grave puisque ça reviendrait à se moquer de Lui. Mais surtout, raisonner ainsi, c’est ignorer que faire du bien, être bon, c’est tellement bienfaisant. Et nous avons tous fait cette expérience que nous étions les premiers bénéficiaires du bien que nous faisons aux autres puisque ce bien nous rend aussi fécond qu’un arbre planté près des eaux.