11 octobre : mardi 28° semaine ordinaire. Nous avons le choix entre deux jougs !

Vous avez facilement remarqué que la 1° lecture fait immédiatement suite au passage entendu hier. D’ailleurs les rédacteurs du lectionnaire liturgique ont voulu le signifier clairement en reprenant le dernier verset du texte d’hier sur lequel je m’étais longuement arrêté : « c’est pour que nous soyons libres que le Christ nous a libérés. »

Hier, je nous invitais à profiter de cette retraite pour reconquérir notre liberté intérieure, il me semble que le passage d’aujourd’hui nous donne quelques précisions pour comprendre comment nous pourrons la reconquérir. J’ai parlé de ces résolutions que nous prenions chaque matin et que nous n’usions pas dans la journée ! On pourrait d’ailleurs en dire autant des résolutions que nous prenons dans une retraite ! Toutes ces résolutions nous font croire que c’est notre détermination, notre volonté qui nous feront progresser et, un jour, mériter le Salut. Nous avons beau faire l’expérience que ça ne marche pas, nous y revenons sans arrêt ! Mais alors, est-ce à dire qu’il n’y a plus d’efforts à faire ? Est-ce à dire que le meilleur endroit pour vivre la foi, c’est la chaise longue ? Bien évidemment, non ! Le pape n’arrête pas d’inviter les jeunes à sortir de leurs canapés, c’est aussi à nous que ses paroles toniques s’adressent ! Toutefois, il convient de bien comprendre où doivent se situer nos efforts, sur quoi doivent porter nos résolutions.

C’est dans ce contexte que je propose d’entendre Paul nous dire ce qu’il disait aux Galates : « Tenez bon, ne vous mettez pas de nouveau sous le joug de l’esclavage. » Pour comprendre la portée de cette parole, il est nécessaire de se rappeler le coup de sang qu’a pris Paul au début du chapitre 3, c’était la lecture de jeudi dernier. Les chrétiens de Galatie avaient fait sa joie en comprenant mieux que tous les autres ce que Paul aimait appeler son Evangile, l’Evangile de la grâce qu’il expose en long, en large et en travers dans la lettre aux Romains : à savoir le salut par la foi, indépendamment des œuvres de la Loi. Les Galates avaient expérimenté cette foi libératrice et ils en avaient vécu, mais patatrac, sans doute sous l’influence de ceux que les Actes appellent « les judaïsants » ils avaient complètement régressé en faisant à nouveau plus confiance à la pratique de la loi qu’à la puissance de la grâce. C’est dans ce contexte que Paul prononce cette sévère mise en garde : ne vous mettez pas de nouveau sous le joug de l’esclavage. 

Et c’est très intéressant d’entendre Paul utiliser le terme de joug car, dans l’Evangile, il y a aussi un passage qui nous parle du joug. Or, même si les Evangiles n’étaient pas encore écrit de manière définitive, Paul connaissait les paroles de Jésus qui lui avaient été enseignées. Il connaissait donc cette parole de Jésus qui disait : venez à moi vous tous qui n’en pouvez plus et je vous procurerai le repos, et pour cela, prenez sur vous mon joug ! Oui, ça devient très intéressant parce qu’on se rend compte qu’il y a deux sortes de joug, un joug qui fatigue et qui rend esclave, c’est le joug de la Loi et un joug qui procure le repos et qui libère., c’est le joug que Jésus nous propose qui n’est rien de moins que l’Esprit-Saint. En effet, certains Pères de l’Eglise, quand ils commenteront l’invitation de Jésus à prendre sur nous son joug, expliqueront que le joug dont parle Jésus, le joug qui donne le repos, c’est l’Esprit-Saint. En effet, c’est l’Esprit-Saint qui nous lie au Christ. Et c’est bien cela la fonction d’un joug, c’est de lier deux bœufs pour qu’ils puissent faire ensemble le travail qu’un seul ne pourrait pas faire sans s’épuiser et finir par mourir à à la tâche. 

Eh bien, voilà, nous dit Paul : vous avez le choix ! Soit vous vous chargez du joug de la loi en pensant et en enseignant que c’est par les efforts héroïques qu’on parvient au Salut et là vous allez vous épuiser et épuiser les autres. Soit vous demandez au Saint-Esprit de vous lier au Christ pour qu’Il travaille avec vous et ainsi vous irez beaucoup plus loin, beaucoup plus vite sur le chemin de l’amour et du service sans vous épuiser. J’aime rappeler que ce mot joug a donné le mot « conjoint ». A notre ordination, mais c’est aussi ce qui se passe pour tous ceux qui consacrent leur vie au Christ, nous nous sommes engagés à nous unir d’une manière toute particulière au Christ, à devenir comme des conjoints, unis par le lien du Saint-Esprit. Eh bien, c’est là que doit désormais porter notre unique effort, c’est la seule résolution que nous avons à prendre, mais elle n’est pas mince et elle nécessitera souvent des choix crucifiants : ne jamais fuir ce joug et donc prendre chaque jour les moyens de rester liés au Christ de manière absolument indéfectible.

Soyons précis, Paul qui est juif, et si fier de l’être, n’avait rien contre la loi. Jésus non plus, et ça serait faire une lecture caricaturale de l’Evangile d’aujourd’hui que de tirer la conclusion que Jésus s’affranchit allègrement de la loi. Dans cette réflexion sur le rapport entre la foi et la Loi, il faut se garder de toute simplification paresseuse. Paul n’a rien contre la loi, parce que, comme tout bon juif, il sait qu’elle est un don de Dieu et que Dieu ne peut pas faire des cadeaux empoisonnés ! Mais Paul a vite compris, parce qu’il s’y est lui-même cassé les dents, que, si la loi montre le bien, elle ne donne pas la force de l’accomplir. Sans le don du Saint-Esprit, la loi est inopérante, comme il le dira dans l’épitre aux Romains, elle sert à montrer le péché. Mais avec le St-Esprit, tout change et nous pourrions retenir cette merveilleuse synthèse qu’opère St Augustin en disant : « La loi a été donnée pour que soit recherchée la grâce et la grâce a été donnée pour que soit observée la Loi. »

C’est bien ce que disait Paul dans la suite de la lecture, même si, comme à son habitude, il le dit en des termes qui exigent quelques explications : « Nous, c’est par l’Esprit, en effet, que, de la foi, nous attendons la justice espérée. » Je traduis à ma manière : ce ne sont pas nos résolutions et les maigres efforts inconstants qui nous ajusteront à Dieu, c’est l’Esprit-Saint. « Nous, c’est par l’Esprit, en effet, que, de la foi, nous attendons la justice espérée. » Quand est-ce que nous allons y croire vraiment ? Vous savez l’Esprit-Saint, c’est un peu comme un ordinateur, du moins pour moi qui ne suis pas un spécialiste en informatique. Je dois utiliser à peu près 20% des capacités de mon ordinateur et encore ! Eh bien l’Esprit-Saint, c’est pareil, nous n’utilisons qu’un infime pourcentage de sa puissance, cette puissance qui est pourtant mise à notre disposition pour nous permettre de tutoyer les sommets de l’amour et de ne plus nous contenter des collines du dévouement honnête.

Ce n’est pas moi qui l’invente, c’est Paul qui le dit avec des mots d’une puissance inouïe dans la lettre aux Ephésiens dont nous commencerons jeudi la lecture : « Que le Dieu de notre Seigneur Jésus Christ, le Père dans sa gloire, vous donne un esprit de sagesse qui vous le révèle et vous le fasse vraiment connaître. Qu’il ouvre à sa lumière les yeux de votre cœur, pour que vous sachiez quelle espérance vous ouvre son appel, la gloire sans prix de l’héritage que vous partagez avec les fidèles, et quelle puissance incomparable il déploie pour nous, les croyants : c’est l’énergie, la force, la vigueur qu’il a mise en œuvre dans le Christ quand il l’a ressuscité d’entre les morts et qu’il l’a fait asseoir à sa droite dans les cieux. » Eph 1,17-20 Est-ce que vous avez bien entendu ? Je redis cette parole en mettant les groupes de mots dans un ordre un peu différent pour que nous réalisions mieux : « l’énergie, la force, la vigueur qu’il a mise en œuvre dans le Christ quand il l’a ressuscité d’entre les morts, cette puissance incomparable il la déploie pour nous, les croyants ! » Vous avez entendu : cette puissance incomparable il la déploie pour nous, les croyants. Est-ce que nous y croyons vraiment ? J’avais fait une retraite avec un vieux père jésuite qui régulièrement tapait sur la table et hurlait presque en demandant : Est-ce que vous croyez ou est-ce que vous croyez que vous croyez ? Bonne question ! Est-ce que nous croyons que « l’énergie, la force, la vigueur qu’il a mise en œuvre dans le Christ quand il l’a ressuscité d’entre les morts, cette puissance incomparable il la déploie pour nous, les croyants en nous donnant le Saint-Esprit ? »

Il ne me reste que quelques secondes pour parler de l’Evangile. Celui de demain sera dans la même tonalité, peut-être aurai-je plus de temps pour en parler ! Nous comprenons bien que cette mise en garde de Jésus s’adresse encore à nous aujourd’hui : vous purifiez l’extérieur de la coupe et du plat, mais à l’intérieur de vous-mêmes vous êtes remplis de cupidité et de méchanceté. C’est vrai qu’il peut nous arriver d’être plus soucieux de l’image que nous donnons de nous que de la réalité du cœur que nous présentons au Seigneur. Prêchant un jour pour des jeunes filles, je leur disais que le Seigneur ne leur demandait pas d’abandonner leur miroir mais de passer au moins autant de temps avec lui qu’elles en passaient à se regarder dans la glace. Peut-être pourrions-nous garder le conseil, même si nous ne passons pas beaucoup de temps devant le miroir ! Nous, nous sommes moins soucieux de notre look, encore que ! En tout cas, pour nous, il s’agira de soigner avec autant d’exigence l’intérieur, le cœur, que nous voulons soigner l’image extérieure que nous donnons, le souci que nous portons de notre réputation, que sais-je encore ! 

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