Ce texte d’Evangile que nous venons d’entendre, en le méditant au bord de la mer au cours de mes vacances, il m’a semblé que nous pourrions le recevoir comme le décalogue du disciple-missionnaire. Au moment d’envoyer ces 72 disciples qu’il vient d’appeler car les 12 ne suffisent pas, la moisson est tellement abondante, Jésus leur donne un certain nombre de consignes et assez vite, je me suis aperçu qu’on pourrait les regrouper sous 10 têtes de chapitre. Alors, c’est sûr que quelqu’un d’autres pourrait n’en trouver que 8 ou 9 ou carrément 11 ou 12, mais vous comprenez facilement pourquoi il m’a plu de les regrouper en 10, précisément pour faire un décalogue. Alors peut-être que certains n’aiment pas ce mot décalogue qui évoque les 10 commandements, si vous êtes dans ce cas, rappelez-vous que les juifs ne parlent jamais de commandements mais de 10 paroles de Vie qui sont comme des balises qui tracent le chemin de vie afin que nous ne dérapions pas. Eh bien, il me semble que, dans cet Evangile, il y a comme un décalogue à destination de ceux qui veulent répondre à l’appel de Jésus, que ne cesse de relayer le pape François, appel à devenir des disciples-missionnaires. Un décalogue pour les disciples -missionnaires, c’est donc une charte de vie, une série de 10 balises qui donnent les conditions pour que la mission puisse devenir féconde. Je me suis donc amusé à reformuler les 10 consignes de Jésus à la manière dont sont formulées les 10 Paroles de Vie dans le Premier testament. Pour certaines, je ferai un petit commentaire, pour d’autres, la formulation me semble suffisamment explicite.
1° balise La mission, jamais seul tu ne l’accompliras ! Oui, ce n’est pas pour rien que Jésus envoie ses disciples 2 par 2. Nous pouvons parfois être tentés de faire cavalier seul, mais nous connaissons tous le dicton : seul on va plus vite, ensemble on va plus loin ! Deux ce n’est pas pour qu’il y en ait toujours un qui surveille l’autre, qui corrige l’autre, deux, c’est pour qu’il y en ait toujours un qui prie quand l’autre parle !
2° balise : Ta personne, jamais en avant ne la mettras, mais de Jésus toujours tu témoigneras et sa venue dans les cœurs tu prépareras. Avant d’expliciter le contenu de la mission, Jésus prend bien soin d’en donner l’esprit. Il les envoie en avant de lui, en toute ville et localité où lui-même allait se rendre. Il a besoin de toujours plus d’ouvriers car il veut visiter tous les cœurs, mais il y a tellement de cœurs qui se sont fermés à cause de trop grandes blessures subies que Jésus demande à ses disciples de préparer le chemin pour qu’un jour la rencontre avec lui soit possible.
3° balise : Les ouvriers qui se proposeront, jamais tu ne les décourageras et toujours tu prieras le Père d’en envoyer encore d’autres. Jésus leur dit :« La moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux. Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers pour sa moisson. Il y a des personnes qui sont terribles, elles sont devenues propriétaires de la mission qui leur a été confiée et elles ont tellement peur de la perdre qu’elles découragent toutes les bonnes volontés qui se présentent. Ces situations, en paroisse, par exemple, sont extrêmement compliquées à gérer car elles obligent à prendre des décisions douloureuses. Mais il n’y a sûrement pas que dans les paroisses que certaines personnes ont fait d’une responsabilité leur chasse gardée !
4° balise : La fleur au fusil, jamais tu ne partiras, réaliste mais confiant, tu resteras. Jésus dit : Allez ! Voici que je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups. Ce n’est pas parce que c’est pour l’Evangile que nous travaillons qu’un tapis rouge sera en permanence déroulé devant nous … c’est même le contraire ! L’Adversaire n’est jamais très heureux de trouver sur son chemin des évangélisateurs enthousiastes ! Donc pas d’illusions naïves, mais en même temps, restons dans la confiance car l’Adversaire n’a que le pouvoir de nuisance que nous lui accordons !
5° balise : Ta sécurité, jamais dans des moyens matériels ne mettra ! Jésus dit : ne portez ni bourse, ni sac, ni sandales, et ne saluez personne en chemin. Le témoin de Jéhovah est l’antithèse du disciple-missionnaire. Eux, même s’ils peuvent faire illusion en allant deux par deux, ils ont un cartable dans lequel il y a la bonne réponse à toutes vos objections. Jésus nous demande d’évangéliser « les mains nues » en faisant confiance à l’Esprit-Saint donc pas besoin de cartable-sac pour trouver les bonnes réponses, pas besoin de bourses pour acheter les conversions.
Pas besoin de sandales non plus, les sandales étaient réservées aux riches, c’est donc comme si Jésus disait : ne cherchez pas à impressionner, à paraître comme des gens biens, osez vous présenter comme des pauvres puisque vous êtes des pauvres.
Quant à l’invitation à ne saluer personne, évidemment, Jésus ne demande pas aux disciples-missionnaires de se comporter comme des ours ! Voilà comment je comprends : vous savez qu’en arabe, on se salue en se disant : « salāmʿalaykum » et que ce mot a fini par donner salamalec, ces salutations exagérées, onctueuses. C’est de ces salamalecs que Jésus ne veut pas. Le pape aime dire qu’il y a trop de personnes qui sont onctueuses alors qu’elles devraient chercher à être sous l’onction !
6° balise : Les salamalecs éviteras, mais la paix largement distribueras ! Jésus dit : Mais dans toute maison où vous entrerez, dites d’abord : ‘Paix à cette maison.’S’il y a là un ami de la paix, votre paix ira reposer sur lui ;sinon, elle reviendra sur vous. Je ne fais pas de grands commentaires car cette 6° balise est la formulation positive de l’interdiction des salamalecs ! Je souligne juste que, dans l’Evangélisation, Jésus ne nous demande pas de donner de petites consolations, il nous demande de le donner, lui, en cadeau à ceux que nous visitons car il est la Paix, c’est déjà ce qu’annonçait le prophète Michée (5,4). Du coup, j’aime rappeler cette parole de Benoit XVI qui disait : « celui qui ne donne pas Dieu donne trop peu. » (Message carême 2006)
7° balise : La maison des autres, point ne craindras d’habiter. Ce que l’on te donnera, avec reconnaissance, l’accepteras. Jésus disait : Restez dans cette maison, mangeant et buvant ce que l’on vous sert ; car l’ouvrier mérite son salaire. Ne passez pas de maison en maison. Dans toute ville où vous entrerez et où vous serez accueillis, mangez ce qui vous est présenté. On pourrait commenter longuement cette consigne, je retiens deux choses. D’abord, pour évangéliser, il faut aller à la rencontre des autres, ne pas rester sur le seuil, entrer, se rendre compte de ce qu’ils vivent et apprendre à parler leur langage. Cette attitude va générer de la gratitude de la part de ceux qui se sentent ainsi reconnus et aimés, alors il faut accepter ce qu’ils voudront nous donner en comprenant bien que c’est le Seigneur qui nous envoie qu’ils veulent honorer en nous honorant.
8° balise : Les malades, les pauvres et les petits en priorité tu visiteras. Jésus disait : Guérissez les malades qui s’y trouvent et dites-leur : ‘Le règne de Dieu s’est approché de vous.’ La tentation est toujours grande de vouloir faire tomber la pluie, là où c’est déjà bien mouillé ! C’est ainsi que des prêtres vont chercher de bonnes paroisses bien cathos et que des laïcs vont être tentés de vivre dans l’entre-soi. Jésus envoie vers ceux qui en ont le plus besoin ; ce n’est pas ma satisfaction que je dois chercher mais je suis invité à rendre le Règne de Dieu proche de ceux qui en ont le besoin.
9° balise : La rancune jamais avec toi n’emporteras ! Jésus disait : Mais dans toute ville où vous entrerez et où vous ne serez pas accueillis, allez sur les places et dites : ‘Même la poussière de votre ville, collée à nos pieds, nous l’enlevons pour vous la laisser. Toutefois, sachez-le : le règne de Dieu s’est approché.’ Je vous le déclare :au dernier jour. Sodome sera mieux traitée que cette ville.’ C’est ainsi que je comprends cette invitation à secouer la poussière des pieds. Devant un refus, on peut garder de l’amertume et même de la rancune qui finit par nous pourrir la vie. Eh bien, secouer la poussière des pieds, c’est laisser sur place notre rancune et c’est oser partir en disant que ceux qui ont refusé de nous accueillir ne savent pas ce qu’ils ont perdu car c’est le Règne de Dieu qui cherchait à s’approcher. L’allusion à Sodome me semble obliger l’Evangélisateur à ne proférer aucun jugement par lui-même sur ceux qui lui semblemnt mauvais. C’est Dieu qui a jugé Sodome, c’est Dieu qui jugera ceux qui ont refusé de m’accueillir, ce n’est pas à moi de le faire.
Enfin, 10° balise : Ta joie, jamais dans tes réussites ne mettras exclusivement, c’est de savoir ton nom inscrit dans les cieux qui te réjouira. Je ne cite pas les versets de la dernière partie de l’Evangile qui m’ont inspiré cette dernière consigne car ils sont trop longs. Bien sûr, Jésus ne nous interdit pas de nous réjouir quand nous constatons que l’Evangile a été accueilli et a changé les cœurs. Il veut juste nous mettre en garde : si vous ne savez vous réjouir que lorsque ça marche, vous risquez de traverser de longues périodes de de tristesse. Par conte si votre joie, c’est de savoir que vos noms sont inscrits dans les cieux, alors pas un seul jour, la joie ne vous manquera !
Conclusion : Evidemment, le programme de ce décalogue nous dépasse totalement, comme celui des 10 Paroles de vie, d’ailleurs. Dans la retraite que je vais prêcher à partir de ce soir, je vais citer une belle parole d’Augustin, je vous l’offre, elle ouvre de si belles perspectives : « La loi a été donnée pour que soit recherchée la grâce et la grâce a été donnée pour que soit observée la Loi. »