Nous le savons dans la 2° partie de la vie de Saint Curé d’Ars, les pèlerins ont commencé à affluer dans ce tout petit village. Ce qui est étonnant, d’ailleurs, c’est comment lui est venue cette notoriété. Il y avait une mission à Trévoux, le gros bourg du canton et le curé d’Ars y était invité. Mais, on ne lui demandait jamais de prêcher. Les curés du canton, eux, ils prêchaient à chacun leur tour, mais, lui, avec son manque évident de culture et d’instruction, on ne lui faisait pas confiance, alors, on le collait dans un confessionnal pendant que les autres allaient se partager les prédications.

Seulement voilà, les gens qui sortaient de son confessionnal, disaient à tout le monde : allez voir ce petit curé, il est exceptionnel, il confesse comme aucun prêtre ne m’a jamais confessé … en plus il donne de petites pénitences ! On sait, en effet, qu’il donnait de petites pénitences et qu’il faisait le reste et que c’est pour ça qu’il s’imposait de telles pénitences. Ce n’était pas par esprit de mortification ou par déséquilibre psychologique comme certains l’ont dit. Non, il était loyal vis-à-vis de l’Eglise, on sortait, à l’époque, de ce qu’on appelait la pénitence tarifée, c’est-à-dire qu’à tel type de péché, on donnait tel type de pénitence. Le curé d’Ars ne se serait jamais permis de ne pas respecter ce que demandait l’Eglise. Mais, comme il ne voulait pas accabler le pécheur qui avait déjà fait une démarche qui lui coûtait en venant se confesser, il donnait une petite pénitence et il faisait le reste … mais il faisait réellement le reste et ça se voyait dans ses privations, dans ses mortifications qui devenaient le signe le plus manifeste de sa charité pastorale.

Forcément, un prêtre habité par une telle charité pastorale, il se distinguait parmi tous les autres prêtres dont certains étaient loin d’être habités par une telle flamme. C’est donc ainsi qu’il se retrouve à la mission de Trévoux, où il va bien plus confesser que d’habitude à cause de la méfiance de ses confrères qui n’avaient pas voulu lui confier des prédications. Tous les pénitents qui sortent de son confessionnal font son éloge, du coup une file impressionnante se forme pour le rencontrer, il y a des pénitents pressés qui jouent des coudes pour passer plus vite et c’est ainsi qu’une bousculade va avoir lieu qui va provoquer l’effondrement du confessionnal ! Un confessionnal qui s’écroule parce qu’il est pris d’assaut, ça, pour un confesseur, c’est vraiment la plus belle marque de reconnaissance !

Du coup, on n’est pas étonné de cette réflexion d’un pèlerin qu’on interroge à son retour dans son village, ses amis lui demandent : alors qu’est-ce que tu as vu à Ars ? Et il répond : « J’ai vu Dieu dans un homme ! » Avec tout ce que je viens de dire et tout ce que vous connaissez vous-mêmes du Saint Curé d’Ars, vous n’avez pas de peine à comprendre la justesse de cette réponse : j’ai vu Dieu dans un homme. Oui, le curé d’Ars était si miséricordieux qu’on pouvait lire Dieu à livre ouvert dans sa vie, dans son regard, dans ce qu’il faisait.

Si je vous ai raconté tout cela, ce n’est parce que je serais en train de faire une crise de déprime qui me tournerait dans la nostalgie vers mon diocèse d’origine ! Non, c’est la méditation de l’Evangile qui m’a conduit à repenser au curé d’Ars. Parce que c’est ce que Jésus nous demande dans ce fameux évangile du jugement dernier : « chaque fois que vous avez fait du bien ou ne l’avez pas fait à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous l’avez fait ou que vous ne l’avez pas fait » dit Jésus. C’est donc trop clair, en nous demandant de pouvoir reconnaître sa présence dans chaque homme, il nous demande de devenir capable, comme ce pèlerin à son retour d’Ars, de voir Dieu dans tout homme.

Mais voir Dieu dans un homme comme le curé d’Ars ou dans les autres saints, ça n’est pas si difficile que cela, leurs vies sont tellement lumineuses ! Seulement voilà, vous aurez remarqué que Jésus ne nous demande pas seulement de voir Dieu dans les êtres d’exception, mais aussi de le voir dans les êtres les plus cassés, les plus défigurés, les plus rejetés. C’est d’ailleurs ce que faisait le curé d’Ars qui ne se contentait pas de bien traiter les pénitents. Sa charité pastorale ne se limitait pas au confessionnal, même si c’est là qu’il a acquis sa notoriété. C’est bien cette même charité pastorale qui lui permettaient d’accueillir tous les pauvres qui se présentaient à lui et qui lui faisait si généreusement redistribuer tout ce qu’on lui donnait. C’est parce qu’il était capable de voir Dieu dans tout homme qu’il traitait avec la même bonté les pénitents et les pauvres.

Voir Dieu dans un homme, c’est le secret pour mener une vie tout emprunte de charité. Quand je deviens capable de voir Dieu dans un homme, évidemment, ça change tout ! Ça va changer ma manière de le regarder, ça va déjà m’obliger à le regarder et non pas fuir ; ça va changer ma manière de lui parler, de m’intéresser à lui, de rester auprès de lui. Et les pauvres, ne les cherchons pas à l’autre bout du monde, même si, bien sûr, nous ne pouvons pas nous désintéresser de leur sort. Les pauvres, ne les cherchons même pas dans les rues de Chateauneuf, les pauvres en qui nous sommes invités à voir Dieu, ce sont d’abord ceux qui vivent avec nous, ceux qui, aujourd’hui, vont nous solliciter. Puissions-nous dire après chaque rencontre de ce jour : j’ai vu Dieu dans un homme … ou dans une femme. Puissions-nous en leur accordant un peu de notre temps, de notre bienveillance mesurer la chance que nous avons eu de servir Dieu à travers eux. 

Et ne nous y trompons pas, si Jésus nous demande de devenir capable de voir Dieu dans tout homme, ce n’est pas d’abord pour que nous puissions nous assurer de bonnes places dans l’au-delà, mais c’est pour que nous ayons un avant-goût de son Royaume ici-bas. Vous imaginez ce que deviendrait une communauté si chacun de nous était capable en regardant son frère et sa sœur de dire : j’ai vu Dieu dans un homme !