22 janvier : 3° dimanche temps ordinaire. Dimanche de la Parole, une Parole plus sûre qu’une ficelle à ne pas lâcher !

Pendant des années, quand j’étais séminariste puis jeune prêtre, je suis allé, l’été, dans une maison de vacances pour des personnes adultes non-voyantes. J’ai beaucoup apprécié ces temps de fraternité simple et joyeuse. J’aimais également les activités, les jeux que nous pouvions vivre ensemble, épatés devant ce que certains étaient capables de faire malgré leur handicap, comme jouer aux cartes ou même aux boules, par exemple. Mais, ce que j’aimais par-dessus tout, c’étaient les « rallyes ficelles ». La maison était en bordure d’une forêt et, pour vivre ce jeu, une toute petite équipe d’animateurs, voyants, allait tendre des ficelles entre les arbres pour délimiter un parcours, avec, comme il se doit, des fausses pistes qui donnaient lieu à des gages pour ceux qui s’y étaient engagés ! Un certain nombre de ces personnes non-voyantes étaient assez habiles, surtout les plus jeunes, pourvus d’un bon sens de l’orientation qui compensait leur handicap. Quant à nous, les animateurs voyants, qui n’avions pas préparé le circuit, on nous bandait les yeux pour participer à égalité avec les autres. Je dois vous avouer que je mettais pas mal de temps pour arriver au but et que je me payais un certain nombre de gages en route ! C’était une expérience très instructive d’être plongés dans la nuit et, ainsi, devoir faire confiance à cette ficelle qu’il ne fallait surtout pas lâcher, sans quoi, on était vraiment perdu, sans repère ! Nous encore, les voyants, on pouvait enlever le foulard pour retrouver la ficelle et repartir, mais les personnes non-voyantes, elles, si, en tombant, par exemple, elles lâchaient la ficelle, elles devaient souvent appeler à l’aide.

C’est ce souvenir que le St Esprit a fait remonter à ma mémoire en méditant les textes de ce dimanche dans la perspective du dimanche de la Parole, institué par le pape François et que nous célébrons pour la 4° année, je le redis pour ceux qui auraient raté l’introduction de la messe ! Dans les lectures, vous l’aurez remarqué, il est beaucoup question de lumière : Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière. C’est le prophète Isaïe qui proclamait cela, c’est d’ailleurs la 1° lecture de la messe de la nuit de Noël. La naissance de Jésus est l’accomplissement de cette prophétie, c’est pourquoi, il reprendra lui-même les mots de cette prophétie dans l’Evangile. Et, vous avez remarqué que l’Evangéliste prend bien soin de préciser que l’installation de Jésus en Galilée est dans la droite ligne de l’accomplissement de la prophétie. Dès lors, Jésus ne calculera plus sa peine pour parcourir toute la Galilée ; enseigner dans les synagogues, proclamer l’Évangile du Royaume, guérir toute maladie et toute infirmité.

Il est tellement important, pour Jésus, que l’Evangile du Royaume puisse être porté partout qu’il choisit très vite des apôtres qu’il associera à son ministère d’évangélisation. Ces apôtres devront aussi le continuer quand il ne sera plus physiquement présent et il leur donnera l’Esprit-Saint pour qu’ils puissent accomplir cette tâche qui les dépasse totalement. Et, tant pis, si eux ne sont pas des lumières ! Tant pis, ou plutôt, tant mieux ! Car ceux qui sont appelés ne reçoivent pas mission de s’annoncer eux-mêmes, mais il leur est demandé de porter la lumière de la Parole jusqu’aux extrémités du monde, pas la lumière de leur éloquence, pas la lumière de leurs idées géniales, c’est la lumière de la Parole qu’ils doivent porter car elle seule est un guide vraiment sûr. 

Comme Jean-Baptiste qui n’était pas la Parole, mais seulement la voix qui relayait la Parole, la voix qui permettait à la Parole d’être entendue, nous avons, nous aussi, à la suite du Baptiste, des apôtres et de tous ceux qui ont été appelés, à devenir la voix qui porte cette Parole de Vie, cette Parole lumineuse à tous ceux qui dans les ténèbres. Cette mission est vraiment essentielle pour que le peuple qui continue de marcher dans les ténèbres puisse en sortir. Nous n’avons pas de mal à comprendre que la Parole de Dieu est un guide encore plus sûr que mes ficelles dans le jeu du rallye-ficelles ! Sans la Parole, nous risquons de nous retrouver perdus dans la nuit, sans points de repères, c’est l’état dans lequel se retrouvaient ceux qui avaient lâché la ficelle et qui erraient tant que quelqu’un ne les aidait pas à la retrouver ! Il y a tellement de gens déboussolés, aujourd’hui, qu’il est urgent de porter cette lumière de la Parole car elle guide sur le chemin de l’amour, du partage, de la paix, tout ce qui manque tant à notre monde. Alors, c’est vrai, l’Eglise, ses responsables et nous avec eux, ne savons pas toujours bien l’annoncer cette Parole, nous n’arrivons pas toujours à la laisser déployer sa puissance de libération parce que nous l’enfermons trop dans des normes contraignantes et décourageantes. Oui, cela est vrai et nous devrons toujours en demander pardon, mais ça n’empêche pas que la Parole porte en elle cette puissance de libération et de guérison, comme on l’a vu dans l’Evangile d’aujourd’hui.

Le pape François, dans son exhortation Evangelii Gaudium a exprimé cela de manière si juste, je vous cite ce passage, qui est pour moi l’un des passages les plus stimulants de son texte, je l’ai longuement commenté la semaine dernière dans la retraite que j’ai prêchée pour un groupe de prêtres de Lyon. Voilà ce qu’il dit, c’est un peu long, mais ça vaut le coup de l’entendre !

On ne peut persévérer dans une évangélisation fervente, si on n’est pas convaincu, en vertu de sa propre expérience, qu’avoir connu Jésus n’est pas la même chose que de ne pas le connaître, que marcher avec lui n’est pas la même chose que marcher à tâtons, que pouvoir l’écouter ou ignorer sa Parole n’est pas la même chose, que pouvoir le contempler, l’adorer, se reposer en lui, ou ne pas pouvoir le faire n’est pas la même chose. Essayer de construire le monde avec son Évangile n’est pas la même chose que de le faire seulement par sa propre raison. Nous savons bien qu’avec lui la vie devient beaucoup plus pleine et qu’avec lui, il est plus facile de trouver un sens à tout. C’est pourquoi nous évangélisons. Le véritable missionnaire, qui ne cesse jamais d’être disciple, sait que Jésus marche avec lui, parle avec lui, respire avec lui, travaille avec lui. Il ressent Jésus vivant avec lui au milieu de l’activité missionnaire. Si quelqu’un ne le découvre pas présent au cœur même de la tâche missionnaire, il perd aussitôt l’enthousiasme et doute de ce qu’il transmet, il manque de force et de passion. Et une personne qui n’est pas convaincue, enthousiaste, sûre, amoureuse, ne convainc personne. Evangelii gaudium n° 266 

C’est pour cela que tant de missionnaires de chez nous sont partis dans le monde entier parce que, comme le disait le Pape, ils étaient convaincus qu’avoir connu Jésus n’est pas la même chose que de ne pas le connaître, marcher avec lui n’est pas la même chose que marcher à tâtons, pouvoir l’écouter ou ignorer sa Parole n’est pas la même chose… Et maintenant, les missionnaires font le chemin inverse, ils nous viennent d’Afrique et de tant d’autres régions que nous avions évangélisées dans les siècles passés, parce que, désormais, c’est chez nous qu’il y a besoin d’évangélisateurs parce que la plupart des gens ont oublié qu’avoir connu Jésus n’est pas la même chose que de ne pas le connaître, marcher avec lui n’est pas la même chose que marcher à tâtons, pouvoir l’écouter ou ignorer sa Parole n’est pas la même chose… Ce sont eux qui viennent nous prendre la main et qui, par la prédication de la Parole, nous aident à sortir des ténèbres dans lesquelles s’engouffrent tant de nos contemporains.

Alors, bien sûr, il y aura toujours des gens qui nous objecteront que chacun est bien libre, ce qui est vrai, et qu’il ne faut donc respecter le chemin de chacun, ce qui est encore vrai et qu’il convient donc donc ne pas encombrer de notre foi ceux qui ont choisi de s’en libérer. Mais respecter chacun n’empêche pas de pouvoir témoigner et même de devoir témoigner du travail de la Parole accueillie chaque jour dans mon cœur. Sachant que la Parole, c’est Jésus, le Verbe s’est fait chair, accueillir la Parole, c’est donc accueillir, de tant de manière la présence de Jésus et cette présence est transformante. Que serions-nous devenus sans ce travail de la Parole en nous, sans la présence de Jésus en nous ? C’est de cela dont nous devons témoigner et après chacun reste libre, bien entendu. Mais quand quelqu’un qui meurt de soif entend quelqu’un lui parler d’une source jaillissante et bienfaisante, il aura sûrement envie d’aller goûter cette eau, rappelons-nous la Samaritaine.

Je termine en soulignant ce fait extrêmement significatif : le dimanche de la Parole est en plein cœur de la semaine de prière pour l’unité des chrétiens. De fait, il n’y a pas une Parole pour les catholiques, une autre pour les protestants, une autre pour les orthodoxes, les anglicans et tous les autres, il n’y a pas plusieurs Paroles parce qu’il n’y a qu’un seul Christ, un seul Verbe fait chair. C’est donc la même Parole qui nous a saisis et c’est la même Parole que nous annonçons. Porter cette Parole, évangéliser pourrait donc nous permettre de marcher plus vite, plus résolument vers l’unité à condition que nous ne nous annoncions pas nous-mêmes, mais que nous annoncions le Christ et sa Parole. Partageant une même passion pour la Parole, convaincus de la puissance de cette Parole, nous serons conduits progressivement à témoigner un plus grand amour à l’égard de tous ceux qui se donnent de la peine pour porter la Parole à tous ceux qui ont, pour des tas de raisons, lâché la ficelle et qui, n’ayant plus aucun guide, se retrouvent en grande difficulté et plongés dans les ténèbres.

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