6 août : Transfiguration du Seigneur Tout ce qu’on peut dire à partir d’un silence !
Il n’y était pas à la Transfiguration, celui qui, dans l’Evangile d’aujourd’hui, nous rapporte cet événement inouï, je veux parler de Matthieu. Mais il y en a un qui était et qui, sans nous livrer le déroulé des événements, veut nous partager ce qu’il a vécu avec les deux autres apôtres qui l’accompagnaient, je veux parler de Pierre. Ce que nous avons entendu dans la 2° lecture est donc un témoignage de 1° main, il nous faut donc être extrêmement attentif à ce qu’il nous dit, aussi, permettez-moi de vous relire cette 2° lecture, comme elle n’était pas très longue, il n’y a pas de problème à le faire !
Ce n’est pas en ayant recours à des récits imaginaires sophistiqués que nous vous avons fait connaître la puissance et la venue de notre Seigneur Jésus Christ, mais c’est pour avoir été les témoins oculaires de sa grandeur. Car il a reçu de Dieu le Père l’honneur et la gloire quand, depuis la Gloire magnifique, lui parvint une voix qui disait : Celui-ci est mon Fils, mon bien-aimé ; en lui j’ai toute ma joie. Cette voix venant du ciel, nous l’avons nous-mêmes entendue quand nous étions avec lui sur la montagne sainte.
Pierre a donc conscience que, sur la montagne, ils ont été les témoins oculaires privilégiés de la grandeur de Jésus. Mais l’expérience qu’ils ont vécue est tellement particulière qu’il renonce à la décrire. Oh, lui ou les deux autres, ont bien dû raconter pour que les 3 évangélistes synoptiques puissent rapporter l’événement avec quelques détails. Mais, Pierre, lui, il ne donne que quelques indices qui nous laissent imaginer ce qui s’est passé, il parle de grandeur, de gloire. Par contre, il y a un élément qu’il tient à rapporter, c’est la voix venue du ciel, la voix du Père :Celui-ci est mon Fils, mon bien-aimé ; en lui j’ai toute ma joie. On comprend sans difficulté qu’ils aient été saisis d’entendre la voix du Père éternel, le Dieu invisible qui tient toute chose dans sa main. Cette voix si rare, elle restera à tout jamais gravée en lui. Mais alors, se pose une question, pourquoi n’a-t-il pas rapporté la totalité de la Parole que Dieu a fait entendre ? En effet, si l’on en croit les synoptiques, Dieu a dit plus que : Celui-ci est mon Fils, mon bien-aimé ; en lui j’ai toute ma joie. Il a dit : Celui-ci est mon Fils, mon bien-aimé ; en lui j’ai toute ma joie, écoutez-le ! Les 3 évangélistes synoptiques ne sont pas tout à fait d’accord entre eux sur le contenu de la parole, tous ne parlent pas de la joie, mais, par contre, tous mentionnent ce que Pierre ne rapporte pas, c’est le dernier verbe : écoutez-le ! S’ils mentionnent tous les 3 ce « écoutez-le ! » c’est qu’il faisait forcément partie des paroles prononcées par la voix du Père, les témoins ont dû le dire avec certitude. Alors, pourquoi Pierre, alors qu’il y était, ne rapporte-t-il pas ce « écoutez-le » ?
J’espère que vous n’êtes pas en train de penser que je pinaille ! Parce que vous savez les paroles venant de Dieu lui-même sont tellement rares que ce n’est pas le moment d’en oublier la moitié ! Je pense que Pierre sait très bien ce qu’il fait quand, rédigeant sa lettre, il omet ce « écoutez-le ! » D’autant plus qu’au moment où il rédige sa lettre, des petits livrets circulent déjà comportant quelques récits évangéliques dont certains passages sont lus au cours du rassemblement des chrétiens pour la Fraction du Pain. Pierre a donc dû entendre, peut-être même a-t-il lu, lui-même, ce passage avec la totalité de la parole prononcée par le Père. Il sait donc pertinemment que cette parole se terminait par ces mots : écoutez-le ! Le suspens a assez duré, voilà donc comment, moi, je comprends, mais vous avez légitimement le droit d’avoir une autre interprétation !
Paradoxalement, je pense que le fait que Pierre n’ait pas rapporté ce « écoutez-le ! » donne encore plus de poids à cette parole. En ne le rapportant pas, Pierre savait que ses lecteurs seraient obligés de se poser la question du sens, de la portée de ce silence. Il savait que tout le monde comprendrait très vite que, lui, Pierre n’avait pas rapporté ces mots pour la simple raison qu’il n’avait pas écouté Jésus. En effet, nous le savons, Pierre, Jacques et Jean, Jésus les prendra, à nouveau avec lui quand, à Gethsémani, il va vivre ces moments si douloureux. Jésus a tellement peur de les affronter seul qu’il demande à Pierre, Jacques et Jean de l’accompagner au plus près et surtout de veiller et prier avec lui car son âme est triste à en mourir. Quelle confidence de la part de Jésus : mon âme est triste à en mourir ! Ces simples paroles auraient dû suffire à garder Pierre, Jacques et Jean éveillés dans une prière de soutien, de compassion.
Mais ils ont dormi et Jésus a eu beau les réveiller, à chaque fois, ils se sont rendormis. Il leur avait dit : veillez et priez avec moi et ils ne l’ont pas écouté ! Terrible ! Mais encore plus terrible pour Pierre, car Jésus l’avait prévenu également quand il fanfaronnait. Il lui avait dit : cette nuit même, avant que le coq chante, tu m’auras renié trois fois. Jésus l’avait prévenu et il ne l’a pas écouté. Ainsi donc, on comprend que Pierre n’ait pas pu rapporter la parole céleste dans sa totalité, il gardera jusqu’à la fin de ses jours, dans son cœur cette blessure : il n’a pas écouté Jésus ! Jésus l’avait prévenu et il ne l’a pas écouté ! Bien avant ces événements, le Père du ciel avait brisé le silence dans lequel il se tenait habituellement pour dire à Pierre, Jacques et Jean : vous l’écouterez quand il vous parlera et ils ne l’ont pas écouté au moment le plus décisif … et comme je viens de le dire, c’est encore plus grave pour Pierre.
Mais, attention, n’allez surtout pas penser qu’en passant sous silence cette parole, Pierre cherche à trafiquer la vérité, qu’il cherche à arranger l’histoire en sa faveur. Non, comme on aime le dire, aujourd’hui, ce silence est un silence assourdissant, c’est-à-dire un silence qui en dit long. Puisque tous les chrétiens savent, en lisant les Evangiles, que Dieu a dit : écoutez-le, quand ils lisent Pierre et qu’ils entendent ce silence, ils entendent comme des sanglots dans ce silence, les sanglots de la blessure de Pierre, une blessure jamais fermée qui tiendra Pierre dans l’humilité jusqu’à son dernier souffle. Oui, il y a des silences qui disent ce que des paroles ne peuvent exprimer et, là, nous sommes en présence de l’un de ces plus beaux silences ! A travers ce silence, Pierre nous livre une confidence douloureuse pour que nous en tirions profit, il nous dit : je ne l’ai pas écouté et je suis tombé, il en sera ainsi pour vous, à chaque fois que vous ne l’écouterez pas, vous aussi, vous tomberez. Il ne peut en aller autrement. Gardons la leçon enseignée par ce silence !
Maintenant, Pierre a tenu, quand même, à rapporter une parole que les synoptiques ne rapportent pas tous et s’il a tenu à la rapporter, c’est parce qu’il est sûr qu’elle a été prononcée par la voix du Père, il l’a entendu dire : Celui-ci est mon Fils, mon bien-aimé ; en lui j’ai toute ma joie. Il y a deux vérités à entendre dans cette parole, reprenons-les successivement.
- Celui-ci est mon Fils, mon bien-aimé. La voix du Père ne dit pas que Jésus est un homme extraordinaire que Dieu aurait repéré et qu’il aurait « accrédité » parce qu’il reconnaitrait en lui tout ce qu’il aimerait voir vivre chez les hommes. Je dis cela car, au moment où Pierre écrit, il y a déjà des hérésies qui circulent à propos de Jésus. Toutes ces hérésies peuvent se résumer dans une formule très pratique et très facile à retenir : humanité truquée, divinité tronquée. Soit on présentait Jésus comme n’étant pas un homme véritable, il faisait semblant, c’est l’humanité tronquée. Soit on le présentait comme n’étant pas totalement Dieu, c’est la divinité tronquée. Non, la voix du ciel atteste que Jésus est le Fils bien-aimé. Et cela, les 3 témoins l’ont entendu et ils ont eu comme une preuve dans ce qu’ils ont vu et qu’ils essaient de rapporter en décrivant comment était Jésus dans ce moment de la transfiguration : son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements, blancs comme la lumière. Dans cette parole du Père, confirmée par l’apparence transfigurée de Jésus, il y a comme tout le Credo qui est déployé : Il est Dieu, né de Dieu, lumière, née de la lumière, vrai Dieu, né du vrai Dieu, engendré non pas créé, consubstantiel au Père. C’est tellement grand que Pierre prend bien soin de préciser : ce ne sont pas des récits imaginaires, nous avons été les témoins oculaires de cette grandeur.
- Celui-ci est mon Fils, mon bien-aimé et la voix du Père rajoute : en lui j’ai toute ma joie. J’aime entendre parler de la joie du Père et comprendre ce qui fait la joie du Père. Le Premier Testament nous fait souvent entendre combien Dieu souffre de l’ingratitude du peuple à son égard. Il a tellement souffert qu’il nous est bon d’entendre qu’il a aussi de la joie ! Sa joie, celui qui fait sa joie, c’est son Fils bien-aimé. Gardons aussi cette parole gravée dans nos cœurs : nous pouvons faire la joie de Dieu quand nous nous comportons en fils bien-aimés. Comme j’aimerais que le rituel du Baptême soit complété et qu’on y ajoute cette parole pour que chaque nouveau baptisé se sente comme responsable de faire la joie de son Dieu !