Je suis allé très souvent au Carmel de Mazille que vous connaissez peut-être, il se trouve en Saône-et-Loire, pas loin de Taizé et j’y ai souvent conduit des groupes de jeunes. A chaque fois, nous avions l’occasion de rencontrer 2 ou 3 sœurs et les jeunes leur posaient habituellement la question : mais qu’est-ce qui vous a poussé à venir vous enfermer ici ? Leur question était d’autant plus forte qu’ils avaient devant eux des jeunes femmes qui n’avaient pas choisi le carmel parce que personne n’avait voulu d’elle, elles étaient très belles. Alors, pourquoi des femmes aussi belles peuvent-elles choisir de s’enfermer pour vivre cette vie, à leurs yeux, parfaitement improductive ?
La réponse, elle était gravée au-dessus de la porte d’entrée de la partie communautaire du monastère et c’est le verset que nous avons lu dans la première lecture et qu’elles ont résumé par ces mots : nous avons connu l’amour et nous y avons cru ! Contrairement à ce que pensaient spontanément ces jeunes, elles n’avaient pas renoncé à l’amour, elles l’avaient découvert en Christ et avaient décidé de lui donner toute leur vie. Cette dimension amoureuse, sponsale pour faire savant, de la vie religieuse féminine est toujours un aspect qui m’émerveille. Forcément, nous ne pouvons pas parler tout à fait dans les mêmes termes qu’elles de notre relation au Christ. Certains Pères de l’Eglise pour garder la beauté de cette dimension sponsale de l’engagement pour les hommes l’ont développé en direction de l’Eglise.
Quoiqu’il en soit nous sommes interrogés sur la dimension passionnelle de notre ministère. En effet, comme je l’ai dit plusieurs fois dans mes enseignements, nous n’avons pas offert notre vie pour défendre des idées, pour nous faire les promoteurs d’un art de vivre, aussi beau soit-il. Je vous rappelle cette puissante parole de Benoit XVI que François a voulu citer dans son exhortation sur l’évangélisation : « À l’origine du fait d’être chrétien il n’y a pas une décision éthique ou une grande idée, mais la rencontre avec un événement, avec une Personne, qui donne à la vie un nouvel horizon et par là son orientation décisive ». Nous avons connu l’Amour et nous y avons cru !
Replacer la mission d’évangélisation dans cette perspective, c’est reprendre conscience qu’elle n’a rien à voir avec le prosélytisme. Aujourd’hui sort un livre d’entretiens du pape François sur l’évangélisation et j’ai lu, dans la présentation de la Croix, qu’il dénonçait à nouveau tout ce qui s’apparentait à du prosélytisme. J’ai vu en Afrique les dégâts que pouvaient faire certaines sectes évangéliques qui font souffrir mes amis pasteurs avec qui j’en ai parlé. Eux, ils sont dans le prosélytisme pur et dur en répandant ce qu’ils appellent l’évangile de la prospérité : si tu crois en Jésus, tu deviendras riche. Ça nous parait complètement fou que des gens puissent croire à ça, mais quand tu es très pauvre, que tu as une grande famille et que tu ne sais pas comment les nourrir, tout ce qu’on te promet, tu es prêt à l’entendre. C’est également ce que font les musulmans qui donnent des sacs de riz aux convertis. Dans son livre, François parle d’un christianisme qui ne peut se répandre que par attraction. Je cite un extrait : « l’attraction se fait témoignage, le témoin montre ce que l’œuvre du Christ et de son Esprit a vraiment accompli en lui. » Qu’avons-nous à montrer ?
Sur l’évangile, je voudrais m’arrêter sur deux points.
Le 1°, c’est pour nous rappeler qu’une vie sans tempête, ça n’existe pas. Mais je pense que les années de vie et de ministère se sont chargées de nous l’enseigner. Et l’évangile nous permet de préciser que, de manière habituelle, les tempêtes ne sont pas le signe que nous nous sommes égarés. Certes, il peut y avoir des tempêtes qui sont les conséquences de nos mauvais choix, de nos mauvais comportements, nous connaissons le dicton : qui sème le vent récolte la tempête ! Mais ce n’est pas toujours le cas et ce n’était pas le cas dans cet évangile puisqu’il nous est dit : « Jésus obligea ses disciples à monter dans la barque et à le précéder sur l’autre rive. » C’est donc par obéissance à la parole du Seigneur qu’ils se trouvent dans cette situation difficile. Il y a un grand réalisme dans l’évangile qui va précisément à l’encontre des mensonges du prosélytisme : suivre le Seigneur, répondre à son appel, ce n’est pas l’assurance d’une vie sans tempête, ce n’est pas le meilleur moyen de vivre comme des planqués !
Dans le 2° point qui vient compléter le précédent, je voudrais dire que, si Jésus ne nous a pas promis une vie sans tempête, il nous promet de nous rejoindre au cœur de nos tempêtes. Le texte nous dit que Jésus a vu qu’ils étaient en difficulté, alors il arrête la prière et vient les rejoindre … de manière un peu particulière, c’est vrai ! Quand la tempête survient, il y a plusieurs manières de réagir possibles :
- La politique de l’autruche, je ne veux pas voir et même je cherche à oublier, au moins pour quelques instants dans des compensations de toutes sortes. Mais cette attitude conduit à une plus grande déprime car lorsque la réalité s’impose à nouveau à moi, je suis devenu plus faible.
- 2° manière : Le gémissement perpétuel qui, à la manière du petit Gibus dans la guerre des boutons nous fait dire ou au moins penser : si j’avais su j’aurais pas venu ! Et, dans notre tête, commence à se construire des scénarios de sortie pour quitter le navire !
- La 3° attitude, c’est celle à laquelle nous invite l’évangile, elle consiste à croire que la promesse du Christ n’était pas du bidon quand il disait : Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps !
Les tempêtes, elles ne se traversent que par un surcroit de foi et vous connaissez aussi la maxime de Nietzsche qu’on tronque souvent et qui dit « Appris à l’école de guerre de la vie : ce qui ne me tue pas me rend plus fort. » Ceux qui acceptent la réalité, sachant qu’elle exige un combat, sortiront plus forts. Aujourd’hui, on aime parler de résilience à propos de toutes ces expériences et nous ne manquons pas de beaux témoignages à ce sujet. Je vous laisse avec une autre maxime que j’ai transformée parce qu’au départ, elle voulait parler du rire et moi, je l’ai adapté pour la foi : la foi c’est comme les essuie-glaces d’une voiture, ça n’empêche pas la pluie de tomber, mais ça permet d’avancer ! Que cette retraite nous fortifie, nous qui avons connu l’amour et qui y avons cru, qu’elle vienne fortifier notre foi pour que nous puissions avancer même par gros temps.
je peux rajouter : Dans chaque évènement je ne perds jamais, soit je gagne soit j’apprends !
C’est juste !