C’est assez rare que, dans les Evangiles, Jésus se fasse défenseur de la Loi ! Nous pouvons donc être étonnés de l’entendre dire : « Ne pensez pas que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abolir, mais accomplir. » ou encore : « pas un seul iota, pas un seul trait ne disparaîtra de la Loi. » C’est vrai qu’on a plus l’habitude de le voir ferrailler avec les pharisiens, les docteurs de la Loi, précisément sur ce sujet de la Loi. Mais en fait, quand on regarde bien, ce n’est jamais la Loi que Jésus remet en question, comment pourrait-il d’ailleurs le faire puisque la loi a été donnée par Dieu ? En fait, c’est au légalisme que Jésus s’attaque car il ne supporte pas le légalisme qui, dans son esprit, est une véritable maladie, cette maladie que le Pape François ne cesse, à son tour de condamner si souvent. Mais, pour autant, Jésus n’est pas non plus un partisan de la débandade morale, il ne manquerait plus que ça ! Cette déclaration au cœur du discours sur la montagne va donc permettre à Jésus de redonner un bel équilibre concernant la place de la Loi. Il ne donne pas de grandes explications, mais c’est par un choix de mots extrêmement judicieux qu’il va opérer.

Jésus nous dit qu’il n’est pas venu abolir la loi, mais l’accomplir. Cette formule pourrait rester énigmatique si nous n’avions pas, dans la lettre aux Romains, cette précision si importante de Paul qui dit que l’accomplissement parfait de la Loi, c’est l’amour. En utilisant ce verbe accomplir, Jésus recadre donc les légalistes qui ne sont intéressés que par la lettre de la loi et son application pointilleuse… surtout pour les autres d’ailleurs ! Il est venu accomplir la loi, c’est-à-dire qu’il est venu montrer qu’il n’y a pas de plus belle manière d’accomplir la Loi que de donner sa vie dans l’amour. Et nous savons qu’il n’est pas venu seulement le montrer, il l’a vécu. Mais il recadre aussi les laxistes qui mettent comme priorité dans leurs choix l’épanouissement égoïste de leurs désirs, de leurs passions. C’est donc l’amour qui doit éclairer tous nos choix, toutes nos décisions puisque l’accomplissement parfait de la Loi, c’est l’amour.

Seulement l’amour, nous en avons tous fait l’expérience, ce n’est pas aussi évident que cela. Nous voulons tous vivre dans l’amour, être des semeurs d’amour, mais nous n’y parvenons pas à chaque instant, loin de là ! C’est la fameuse expérience de Paul : le bien que je voudrais faire, je ne le fais pas assez souvent et le mal que je ne voudrais pas faire, je le fais trop souvent ! La loi a été donnée comme pour prendre les hommes par la main pour leur baliser le chemin de l’amour et même pour mettre de gros panneaux « danger » voire carrément « sens interdit. » Si les hommes n’avaient pas été pécheurs, il n’y aurait pas eu besoin de la loi, nous serions naturellement portés à faire le bien, tout le temps avec tout le monde mais notre expérience quotidienne est là pour nous rappeler que ce n’est pas le cas, nous avons besoin de lois. C’est bien pour cela que nous allons passer un certain temps à réfléchir sur les lois canoniques et règlements qui régissent la vie dans nos Foyers. Du coup le texte d’Evangile de ce jour est une bénédiction puisqu’il nous rappelle providentiellement que nous ne devrons jamais perdre de vue que l’accomplissement parfait de la loi, c’est l’amour.

Et, nous devrons toujours nous méfier car les glissements sont incidieux. On le voit bien avec la Loi juive devant laquelle je nous invite à nous émerveiller quelques instants. Vous savez que ce qu’on appelle la loi, ce sont les 10 paroles de vie qu’on devrait appeler ainsi et non pas les 10 commandements car c’est ainsi que nos frères juifs les désignent. Donc, la loi, ce sont les 10 Paroles de vie plus les 613 prescriptions qui ont été rajoutées pour expliciter cette loi générale. Les 10 Paroles de vie sont comme les grandes autoroutes, mais on ne peut pas rouler que sur l’autoroute, il faut bien des routes plus étroites qui nous conduisent à un but précis. Les juifs qui aiment jouer sur les nombres disent que 613, c’est 365 + 248 ! Or, dans les 613 prescriptions, il y a 365 prescriptions négatives et 248 obligations. Pour eux et leur passion des nombres, ça devient très intéressant car 365, vous n’avez pas de peine à le deviner, c’est le nombre de jour de l’année. C’est un peu comme si la loi disait : chaque jour, tu dois rester vigilant pour ne pas franchir la ligne rouge et rester dans l’amour, aucun jour pour te relâcher, tout doit être vécu dans l’amour, c’est le sens des 365 prescriptions négatives. Et, 248, ça va vous paraître bizarre, on considérait, à l’époque, que c’était le nombre de parties qui composaient le corps humain. Si vous additionnez les deux oreilles, le nez, les dents, les 10 doigts de la main et les 10 doigts de pieds et tout le reste, ça fait 248 ! 

Et puisque 248, c’est le nombre d’obligations, c’est un peu comme si la loi disait : tout ton corps doit être engagé dans le respect de la loi, il n’y a pas un seul organe de ton corps qui soit dispensé de bien se comporter, tout ton corps est mobilisé dans le combat de l’amour ! Il y a une parole de Marthe qui me semble bien résumer l’esprit de la loi, cette parole est affichée dans la galerie de La Flatière : La fidélité à l’amour par l’exactitude dans l’accomplissement des petites choses. 

Vraiment on peut dire que c’est très beau et ça ne pouvait pas être étonnant puisque, pour les juifs, la loi est un don de Dieu. Dieu ne peut pas faire des cadeaux empoisonnés ! Oui, Dieu ne peut pas faire des cadeaux empoisonnés, mais les hommes d’hier et d’aujourd’hui, à cause de leur péché, peuvent vite gâter ce que Dieu leur donne. L’étroitesse d’esprit, la soif de pouvoir, le manque d’amour fraternel et le manque d’attention pour les plus petits, tout cela et tant d’autres perversités pourront conduire à des tas de déviations dans l’interprétation et l’application de la loi dont le légalisme, mais pas que. Il y a ceux qui vont se servir de la loi pour s’en tenir au minimum syndical s’estimant en règle tant qu’ils n’enfreignent pas le règlement. Il y a ceux qui savent très bien l’appliquer aux autres et s’en dispenser eux-mêmes. Et puis, il y a tellement de prescriptions dans la loi, qu’elle finira toujours par pointer un doigt accusateur sur l’une ou l’autre de nos insuffisances. La loi avait été donnée pour nous aider à vivre dans l’amour chaque jour en nous engageant totalement, mais, nous le voyons bien, ce n’est pas évident.

Constatant que la loi n’était pas évidente à vivre, Jésus avait deux possibilités : soit, il annulait la loi soit il la perfectionnait. Parce qu’il connait le cœur de l’homme mieux que quiconque, Jésus ne voulait pas annuler la loi. Cat il sait qu’une société ou une communauté qui vit sans lois ajustées laisse immédiatement la place à une autre forme de loi qu’on appelle la loi de la jungle dans laquelle seuls les plus forts réussissent à vivre et souvent en se nourrissant des plus faibles. Parce qu’il a une grande ambition pour les hommes, Jésus n’a donc choisi ni d’annuler la loi, ni de la rabaisser, il a choisi la voie de l’exigence, c’est bien ce que montre sa déclaration : je ne suis pas venu abolir la loi mais l’accomplir, la perfectionner et l’accomplissement parfait de la loi, la perfection ultime de la loi, c’est l’amour. 

Tout cela c’est très beau, mais ça pourrait rester encore très extérieur comme une belle exigence, mais tellement au-dessus de nos forces. Comme je le disais, Jésus n’est pas venu seulement nous dire des choses sur la loi, mais il l’a vécue jusqu’au bout et puisque l’accomplissement parfait de la loi, il a vécu l’amour jusqu’au bout en donnant sa vie dans l’amour. « Ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, Jésus les aima jusqu’à l’extrême. » Et il ne s’est pas contenté de nous laisser un modèle de vie réussie, il nous a donné l’Esprit-Saint. Il disait d’ailleurs à ses apôtres : « il vous est préférable que je m’en aille pour que vous receviez le Saint-Esprit. » En effet, sans le Saint-Esprit tout ce que Jésus a dit et a fait resterait un modèle merveilleux mais parfaitement inaccessible. Or, comme dans la Trinité, l’Esprit-Saint, il est l’amour, c’est lui qui nous donne de pouvoir marcher jour après jour sur le chemin de l’accomplissement parfait de la Loi qui est l’amour. Nous tous qui sommes des pauvres, même si nous en avons le désir, nous ne pourrons jamais le faire par nos seules forces. Nous avons besoin du Saint-Esprit, nous avons besoin de la grâce. J’aime beaucoup citer cette parole de St Augustin qui disait : « La loi a été donnée pour que soit recherchée la grâce et la grâce a été donnée pour que soit observée la Loi. » Une parole qu’on résume parfois ainsi : Dieu donne ce qu’il ordonne. Cette citation d’Augustin, on peut encore la compléter par celle si lumineuse du concile de Trente : « Dieu, en te donnant la grâce, te commande de faire ce que tu peux et de demander ce que tu ne peux pas ! » L’objectif est élevé, mais, en nous donnant le Saint-Esprit, le Seigneur ne nous laisse pas démunis pour l’atteindre.

Puisque nous célébrons la fête de St Ephrem, je termine en rappelant l’une de ses paroles qui nous invitera à communier avec plus de foi encore : « À travers la communion à son corps et à son sang, le Christ nous communique aussi son Esprit. Saint Éphrem écrit : « Il appela le pain son corps vivant, il le remplit de lui-même et de son Esprit. […] Et celui qui le mange avec foi mange le Feu et l’Esprit […]. Prenez-en, mangez-en tous, et mangez avec lui l’Esprit Saint. C’est vraiment mon corps et celui qui le mange vivra éternellement ». Vous avez entendu : il a rempli le pain de lui-même, c’est la présence réelle. Mais il ne l’a pas rempli seulement de sa présence, il l’a rempli aussi de l’Esprit, du coup, celui qui mange avec foi reçoit la grâce, la puissance de l’Esprit et donc la capacité de vivre la loi comme accomplissement de l’amour.