Quand je vous disais la semaine dernière que le roi Achab était un bien triste paroissien, vous en avez la confirmation dans la lecture que nous avons entendue ! Il faut dire qu’il n’était pas aidé par sa femme Jézabel parce que, en effet, c’est elle qui a monté toute cette histoire qui a conduit à la lapidation du pauvre Naboth. Et tout ça pour une histoire de potager ! Le roi qui a tout ce qu’il veut désirait la petite vigne de Naboth pour en faire son potager. Naboth qui n’était pas attiré par la richesse a refusé de la lui céder même contre une bonne somme, cette vigne était son héritage, elle revêtait donc comme un caractère sacré puisqu’elle lui venait de ses pères qui l’avaient eux-mêmes reçue en héritage. Il n’aurait sûrement pas été compliqué pour le roi de trouver un autre terrain pour en faire son potager, mais tel un enfant gâté, c’est ce terrain qu’il voulait. Jézabel, reine païenne, ne s’encombrant d’aucun scrupule va faire ce qu’il faut pour que le terrain devienne disponible et le drame, c’est que le roi ne fera rien pour l’en empêcher, il ne lui fera aucune remontrance sur les procédés inadmissibles qu’elle a mis en œuvre. Ce couple, c’était vraiment une association de malfaiteurs ! Mais vous vous rappelez des leçons de morale de l’école primaire : bien mal acquis ne profite jamais, c’est ce que nous verrons demain !
Venons-en à l’Evangile et à cette parole étonnante de Jésus qui nous met toujours un peu mal à l’aise : si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l’autre. J’ai eu la chance de pouvoir la comprendre grâce à un homme extraordinaire que j’ai rencontré quand j’étais au séminaire, c’est dire si ça date puisque ça fait 38 ans que j’ai la joie d’être prêtre. Il s’agit de Jean Goss, cet homme est mort en 1991 et il est le père de la non-violence active en France. Je donnerai l’explication de cette phrase de l’Evangile qu’il nous avait donnée, mais auparavant, je veux le présenter car sa vie apporte déjà une belle lumière pour comprendre cette parole de l’Evangile. Jean Goss était un homme issu d’une famille très pauvre qui a dû travailler très jeune en faisant des métiers difficiles pour aider sa famille à survivre. Témoin de tant d’injustices dans le monde du travail, il est devenu un syndicaliste acharné et donc assez violent à l’égard de ceux qu’il avait classé dans la catégorie des exploiteurs. Et voilà qu’un jour il fait une expérience spirituelle assez étonnante, il rencontre Jésus, pas d’apparition, pas d’extase, mais une certitude dans le cœur que Jésus l’aime et qu’il est venu pour le sauver, lui, Jean Goss et sauver tous les hommes et qu’il a payé très cher le prix de ce salut. Jésus n’a pas fait payer aux hommes les conséquences de leurs péchés, il est venu prendre sur lui le mal pour que les hommes en soient libérés … et il a accepté d’aller jusqu’au bout en donnant sa vie. Là-dessus la guerre éclate, Jean Goss est dans un régiment très opérationnel et se retrouve en 1° ligne, obligé de tuer pour défendre son pays et sauver sa peau !
Il va être fait prisonnier, ce qui lui donnera le temps de réfléchir. Il ne supportera pas de repenser à tout ce qu’il a fait et décidera désormais de ne plus agir sans s’être posé cette question : qu’est-ce que Jésus aurait fait à ma place ? Jésus n’a jamais été violent, mais Jésus n’a jamais non plus toléré l’injustice, il convient donc de s’inspirer de ce qu’il a dit et surtout de ce qu’il a fait. Dans ce camp de prisonnier, l’occasion va lui être donnée assez vite de mettre tout ça en pratique. Ce qu’il nous avait raconté m’avait tellement marqué que ses paroles restent gravées dans ma mémoire ! Le soir après que les soldats allemands aient compté les prisonniers pour vérifier qu’aucun ne s’était échappé dans la journée, l’officier nazi responsable du camp avait pris l’habitude de faire sortir des rangs 2 ou 3 prisonniers pour les tabasser à coup de cravaches devant tout le monde, sans raison et parmi eux, il y avait souvent le même gars, un pauvre type pas très futé. Jean Goss qui était un chrétien fraichement converti ne pouvait pas supporter cela. Il racontait qu’il avait envie d’aller tabasser l’officier pour qu’il arrête cette injustice, mais il se disait : si Jésus était là, il n’irait pas tabasser cet officier, mais il ne resterait pas non plus à regarder cette injustice sans broncher. Il n’arrêtait pas de prier en demandant que la lumière lui soit donnée pour qu’il comprenne ce que Jésus ferait s’il était à sa place et qu’il ait le courage de le faire quand il aurait compris.
Un matin, il se lève tout heureux, enfin, il a compris ce que Jésus ferait et il est bien décidé le soir à le mettre en œuvre. Comme d’habitude, l’officier demande à 3 gars de sortir des rangs dont ce pauvre homme, toujours le même. Et à ce moment-là, Jean Goss sort des rangs et il dit : « Monsieur l’officier, si ce soir, en conscience, vous pensez devoir tabasser quelqu’un, je veux que ce soit moi que vous frappiez ! » L’officier lui dit : « ah tu veux être frappé, eh bien, tu vas être servi, approche ! » Jean Goss lui répond : « Non, vous m’avez mal compris, je ne veux pas être frappé, mais je vous dis que, ce soir, si en conscience, vous pensez devoir frapper quelqu’un, je vous demande de laisser ce pauvre homme et les deux autres et de vous déchainer sur moi ! » L’officier lui répond : « la conscience, ça n’existe pas, c’est de la m… ! » Et Jean Goss ose lui tenir tête en lui disant : « Je ne pense pas, Monsieur l’officier et je vais vous en donner la preuve, si vous me frappez après ce dialogue que nous avons, je suis sûr que vous dormirez très mal cette nuit parce que votre conscience vous le reprochera toute la nuit. » L’officier est parti et n’a plus jamais frappé un prisonnier du camp. Victoire de la non-violence, mais victoire risquée, Jean Goss aurait pu se faire frapper à mort, c’est vrai, mais comme chrétien, il ne pouvait pas rester sans réagir et pour réagir puisqu’il était devenu chrétien, il ne pouvait réagir qu’en prenant Jésus comme modèle. La non-violence évangélique, pour être active doit accepter d’être rédemptrice, c’est à dire que ceux qui la pratiquent, à la suite de Jésus et avec la force de Jésus acceptent de prendre sur eux le mal et la violence qu’ils veulent éradiquer.
Nous pouvons maintenant revenir à cette parole de Jésus : « Vous avez appris qu’il a été dit : Œil pour œil, et dent pour dent. Eh bien ! moi, je vous dis de ne pas riposter au méchant ; mais si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l’autre. » C’est vrai que cette parole est dure à entendre parce que, mal comprise, elle pourrait laisser entendre qu’il faut tout accepter sans broncher et accepter de s’en prendre plein la tête en disant : continue, j’aime ça ! Faut-il être maso pour être chrétien ? Evidemment non ! C’est justement là que la non-violence active peut nous aider à entrer dans une meilleure compréhension du sens des paroles de Jésus. Pour les comprendre, il faut savoir que dans les civilisations orientales, on ne frappe qu’avec le dos de la main, l’intérieur de la main est fait pour donner des marques d’affection, des caresses.
Un droitier va forcément frapper avec la main droite ; or s’il gifle l’autre sur la joue droite et ce n’est pas pour rien que le texte d’Evangile précise qu’il s’agit de la joue droite, eh bien, il est obligé de le gifler avec le dos de la main. Et si l’autre, appliquant la consigne de Jésus, tend l’autre joue, celui qui a giflé ne peut plus le faire avec le dos de la main, il faut qu’il se serve de la paume. Or, je vous l’ai dit, la paume, pour Jésus ne peut pas frapper, elle ne peut donner que des marques d’affection. Donc, quand Jésus dit qu’il faut tendre l’autre joue, il ne nous invite pas à nous réjouir d’en prendre plein la tête, il nous invite à désarmer l’autre. C’est comme s’il disait : quand l’autre t’a frappé, réveille l’étincelle d’humanité qui dort en lui, pousse-le sur le chemin de la réconciliation en l’obligeant à te caresser après t’avoir frappé, désarme-le par un excès d’amour. Seul un excès d’amour pourra désarmer un accès de violence.
Mais maintenant, c’est sûr que tu prends quand même un risque ! Si l’autre se fiche pas mal des conventions et te frappe avec la paume de la main, tu auras reçu une bonne claque ! Oui, mais il n’y a qu’en prenant des risques et en acceptant, s’il le faut, d’aller jusqu’au bout, qu’on pourra désarmer la violence. Si tu te sauves devant celui qui veut te frapper ou pire si tu répliques, tu laisses l’autre dans sa violence et il recommencera avec toi ou avec d’autres. Il faut le désarmer pour que le cercle infernal de la violence soit cassé. C’est ce qu’avait fait Jean Goss avec l’officier nazi, il l’avait désarmé en réveillant la petite étincelle d’humanité qui restait en lui. A chacun de nous de voir comment il peut vivre cela concrètement. En tout cas, la question de Jean Goss est une bonne question à se poser : comment Jésus aurait-il réagi à ma place ?
« Seul un excès d’amour pourra désarmer un accès de violence » …
Wouwwww… Merci !