15 juillet : samedi 14° semaine ordinaire. Ce n’est pas en tirant sur les feuilles de salades qu’on les fait pousser !

Dernier épisode de la grande saga de Joseph qui a nourri notre méditation une partie de cette semaine. Hier, nous avons assisté, tout ému aux retrouvailles entre Joseph et son vieux père Jacob, mais jeudi, j’avais terminé l’homélie en entretenant le suspens puisque je vous avais dit qu’avec de belles paroles, Joseph, quand il s’était fait reconnaître à ses frères, en avait sans doute trop dit. Je vous rappelle ces paroles : Je suis Joseph, votre frère, que vous avez vendu pour qu’il soit emmené en Égypte. Mais maintenant ne vous affligez pas, et ne soyez pas tourmentés de m’avoir vendu, car c’est pour vous conserver la vie que Dieu m’a envoyé ici avant vous. C’est beau parce que Joseph explique que, finalement, ses frères ne doivent pas se culpabiliser de l’avoir vendu puisque c’est ainsi qu’il a pu se retrouver en Egypte et sauver tous les siens de la famine. Magnifique : Dieu écrit droit avec des lignes courbes ! Oui, mais les mots que Joseph utilise pour le dire ne sont pas tout à fait justes !

En effet, en faisant cette relecture généreuse, Joseph est en train de voler la responsabilité de ses frères. Vous n’y êtes pour rien, c’est Dieu qui avait tout prévu, c’est la Providence ! Non, ce n’est pas juste de dire cela et ce n’est tellement pas juste que ça va avoir une conséquence dramatiquement négative que le texte va nous dévoiler. Avant de le voir, réfléchissons quelques instants pour comprendre pourquoi les paroles de Joseph ne sont pas justes. Elles ne le sont pas pour deux raisons.

  • La 1° c’est que ce n’est jamais bon de voler la responsabilité des gens. Déresponsabiliser quelqu’un ce n’est pas l’aider à grandir. On le voit, par exemple, avec certains éducateurs qui sont toujours en train d’excuser les jeunes dont ils s’occupent, ils font des bêtises, mais ce n’est pas leur faute, c’est la faute de la société qui ne les comprend pas ! Chacun doit apprendre à porter le poids de sa responsabilité et assumer ses actes. Au niveau de la foi, chacun doit pouvoir reconnaître son péché, comme le psalmiste qui dit : moi, mon péché je le connais, ma faute est toujours devant moi Ps 50,5. En disant à ses frères qu’ils n’y sont pour rien, que Dieu a téléguidé les événements, Joseph ne permet pas à ses frères d’aller jusqu’au bout du chemin qui aurait dû leur faire reconnaître leur péché et demander pardon.
  • La 2° raison pour laquelle les mots de Joseph ne sont pas tout à fait justes, c’est que la Providence, ce n’est pas Dieu qui téléguide tout ! Dieu n’a pas voulu que des frères vendent leur frère pour préparer des jours plus heureux des dizaines d’années après. Non, Dieu ne peut vouloir une chose aussi abjecte, Dieu ne peut pas vouloir le mal pour faire advenir un bien. Dieu n’est pas marxiste, pour lui, la fin ne justifie pas les moyens ! D’autant plus que lorsqu’on lit le livre de la Genèse on voit tout ce que Joseph a dû soufferir en Egypte avant de devenir l’intendant de Pharaon. Non, Dieu n’a pas pu vouloir toute cette souffrance ! Par contre, Dieu s’est décarcassé pour que, de ce mal, puisse sortir un bien et c’est cela la Providence. Dieu n’a pas voulu le mal, mais il n’a pas voulu non plus que le mal ait le dernier mot et il a mis le paquet pour que de ce mal puisse surgir un bien. C’est cela la Providence.

Alors quelle conséquence malheureuse va avoir cette parole de Joseph ? En cette conception erronée de la Providence, volant la responsabilité de ses frères, va compliquer le dénouement de l’affaire et retarder le processus de réconciliation ? Eh bien, on le voit dans le stratagème inventé par les frères à la mort de leur père. C’est l’histoire de ce testament inventé. Je relis les paroles de la lecture : Voyant que leur père était mort, les frères de Joseph se dirent : « Si jamais Joseph nous prenait en haine, s’il allait nous rendre tout le mal que nous lui avons fait… » Ils firent dire à Joseph : « Avant de mourir, ton père a exprimé cette volonté : “Vous demanderez ceci à Joseph : De grâce, pardonne à tes frères leur crime et leur péché. Oui, ils t’ont fait du mal, mais toi, maintenant, pardonne donc le crime des serviteurs du Dieu de ton père !” » Or nous avons entendu les dernières paroles de Jacob, il n’a rien dit concernant l’attitude de Joseph à l’égard de ses frères. Si les frères inventent ce testament, ça signifie qu’ils ont encore peur de Joseph, ce qui est le signe que la réconciliation n’a pas pleinement abouti. D’ailleurs, ils n’osent même pas paraitre devant Joseph pour lui parler de ce testament inventé, ils envoient quelqu’un le dire à leur place : Ils firent dire à Joseph, notait le texte. Manifestement la réconciliation n’a pas pleinement abouti, la confiance n’est pas réinstallée dans la fratrie, les frères ont peur de leur frère, la fraternité reste en échec. En plus, quand les frères osent paraître devant Joseph, il est dit qu’ils gardent une attitude de soumission vis-à-vis de lui.

Puis ses frères vinrent eux-mêmes se jeter à ses pieds et lui dire : « Voici que nous sommes tes esclaves. » On est loin d’une attitude fraternelle ! Pourquoi la réconciliation n’a-t-elle pas pleinement abouti ? Sans doute parce que Joseph, à la fin, a voulu accélérer le processus, il n’en pouvait plus de cette situation, il a voulu aller plus vite pour se faire reconnaître et pouvoir enfin serrer ses frères dans ses bras en sachant que c’est ainsi qu’il pourrait aussi revoir son père avant qu’il ne meure. 

C’est-à-dire que Joseph a imposé son rythme, sans peut-être suffisamment respecter le rythme de ses frères qui auraient encore eu besoin d’un peu de temps pour nommer leur faute et reconnaître l’ampleur de leur péché. En les dédouanant de leur responsabilité et en expliquant que c’est Dieu qui a tout décidé, Joseph a tout cour-circuité. Il a joué au grand seigneur en donnant le pardon à ses frères qui ne l’avaient pas encore demandé. Les frères entrainés dans ce pardon donné à marche forcée, sont donc à la traine, du coup, ils ont encore peur et sont obligés d’inventer un testament qui les protège car ils ne font toujours pas confiance à Joseph, ils ne croient pas en la vérité de son pardon. Si le pardon avait été donné après une demande en bonne et due forme qui reconnaissait l’ampleur du péché, ce pardon aurait été accueilli à sa juste mesure et il aurait chassé définitivement toute crainte, il aurait établi cette fratrie dans la confiance et l’amour.

Voilà une histoire finement racontée dans le livre de la Genèse qui est pleine d’enseignements pour tous ceux qui vivent en fraternité, que ce soit à l’intérieur d’une famille ou d’une communauté. Dès que l’on vit à plusieurs, la question du pardon se pose vite, cette histoire nous apprend qu’il ne faut rien brusquer, ce n’est pas en tirant sur les feuilles de salades qu’on les fait pousser !

Nous allons partir, mais nous partons avec cette promesse entendue le 1° jour dans l’histoire de Jacob : je marcherai avec toi sur le chemin où tu marcheras, quel que soit ce chemin ! Et cela nous est confirmé dans l’Evangile que nous avons entendu. Je n’ai plus le temps de le commenter dans son ensemble, mais je voudrais juste souligner une parole de Jésus qui est une si belle confirmation de cette promesse. Hélas la traduction ne nous permet pas d’entendre cette confirmation de la promesse. Je ne me prends pas pour pas un spécialiste du grec, mais j’en ai assez fait au séminaire pour comprendre et surtout, j’ai un Nouveau Testament avec le texte grec et la traduction française sous chaque phrase grecque, le Nouveau Testament interlinéaire, tellement pratique ! 

Pour nous assurer de l’importance que nous avons aux yeux de Dieu, Jésus dit, du moins c’est ainsi que la traduction de la liturgie l’a transcrit : « Deux moineaux ne sont-ils pas vendus pour un sou ? Or, pas un seul ne tombe à terre sans que votre Père le veuille. » Et il rajoute : « Soyez donc sans crainte : vous valez bien plus qu’une multitude de moineaux. » Moi, ça m’a toujours chagriné d’entendre que les moineaux tombaient quand Dieu l’avait décidé. Ce n’est pas que j’ai une tendresse particulière pour les moineaux, mais ça laisserait entendre que Dieu décide de tout, qu’il tire toutes les ficelles. Alors certaines traductions ont essayé d’arranger ça en disant qu’aucun moineau ne tombait sans que le Père ne le sache. Mais ce n’est guère mieux ! A quoi sert un Dieu qui sait qu’il m’arrive du malheur et qui ne fait rien ?

Il y a quelques temps, j’ai donc pris le taureau par les cornes et je suis allé voir le texte grec pour voir ce qui était réellement écrit et là, grande surprise en grec, il n’y a pas de verbe. Il n’est pas dit que Dieu sait ou que Dieu veut que les moineaux tombent, il est dit : aucun moineau ne tombe sans votre Père ! Cette traduction littérale est tellement belle que je me demande pourquoi certains se sont sentis obligés de rajouter un verbe ! « Aucun moineau ne tombe sans votre Père ! » ça veut dire que Dieu accompagne les moineaux qui tombent. Je le dis encore autrement : il ne laisse aucun moineau tomber seul, il a trop peur que cette chute ne lui apparaisse comme une descente aux enfers, alors Dieu l’accompagne ! Du coup, nous comprenons mieux l’extraordinaire promesse qui est derrière cette parole : si Dieu accompagne la chute des moineaux pour qu’ils ne se fracassent pas, nous qui valons tellement plus que les moineaux, nous n’avons pas d’inquiétude à avoir ! Nous ne tomberons jamais trop bas, tellement bas que les bras de Dieu ne pourraient plus amortir la chute ! C’était la promesse du 1° jour et nous partons avec cette promesse : je marcherai avec toi sur le chemin où tu marcheras, quel que soit ce chemin !

Cette publication a un commentaire

  1. wilhelm richard

    Père, vous êtes tout feu, tout flamme ! Avec vos homélies, un vrai feu d’artifice : MERCI.
    Mais je vous recommande de rester AINble : sinon vous risquez de perdre votre maillot jaune. La roue TOURne, car la victoire humaine est cyclique, la vie sur cette terre est effetMÈRE même si un deuxième déTOUR est prévu dans votre département la semaine prochaine !!!
    Oui, je sais, vous allez me dire que tout ce que je vous raconte est bidon !!!!
    c’est normal, je n’en pneu plus… je suis crevé !!!!!!!

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