Depuis mon arrivée dans ce sanctuaire marial, je suis gâté car les fêtes mariales se succèdent ! Nativité de la Vierge le 8 septembre, Saint Nom de la Vierge le 12 et, aujourd’hui, Notre Dame des douleurs. Je ne ferai pas, comme hier, une partie historique car on comprend bien qu’au lendemain de la fête de la Croix Glorieuse de Jésus, on célèbre Notre Dame des douleurs puisque Marie a été associée de si près à la passion de son Fils. Dans ce sanctuaire marial et avec toutes ces fêtes mariales, je ne suis pas du tout dépaysé puisque je viens des Foyers de Charité, et dans les Foyers, Marie est beaucoup prié. Marthe Robin, qui en est la fondatrice, avait une formule que je trouve tellement équilibrée pour résumer ce que doit être la spiritualité mariale, elle aimait répéter qu’il s’agit pour nous d’aimer Jésus comme Marie l’aimait et aimer Marie comme Jésus l’aimait. Tout est dit et tout est tellement bien dit ! Si nous aimons Jésus comme Marie l’aimait, alors notre foi sera toujours ardente et si nous aimons Marie comme Jésus l’aimait, alors notre dévotion restera parfaitement équilibrée.
Je ne dis que quelques mots de la 1° lecture tirée de la lettre aux Hébreux qui remet sous nos yeux l’obéissance de Jésus, cette obéissance qui le conduit jusqu’à la croix. Mais attention, il ne faudrait pas nous méprendre car un contresens dramatique pourrait être fait. Ce n’est pas Dieu qui a décidé que Jésus devait mourir et mourir de cette manière si ignoble. Dieu a envoyé son Fils dans le monde pour sauver le monde et Jésus a dit oui à cette mission en acceptant, par avance, toutes les conséquences. C’est cela l’obéissance, ce mot vient du latin « audire » c’est-à-dire écouter. Jésus a entendu la souffrance du cœur de son Père qui voyait ses enfants se perdre, il a entendu son Père qui sans cesse répétait : qui enverrai-je ? Jésus a entendu la souffrance des hommes perdus dans leurs impasses, défigurés par la conséquence de leurs choix tordus. Alors, il a répondu à son Père : me voici, envoie-moi ! Et il a répondu dans une obéissance sans faille même quand les hommes qu’il était venu sauver ont décidé de le faire mourir dans les pires souffrances, car ce sont les hommes et non pas Dieu qui ont choisi cette forme de mort. Mais, comme toujours, de ce mal, Dieu, par l’obéissance de Jésus a pu tirer un bien supérieur, notre Salut. Nul doute que l’obéissance de Jésus a été soutenue par la présence discrète et la prière inlassable de sa mère. C’est ce que nous célébrons en cette fête de Notre Dame des douleurs.
Venons-en à l’Evangile qui nous présente justement la présence de Marie au pied de la croix de Jésus. C’est pour moi, le plus beau texte parlant des relations de Jésus à sa mère, celui qui nous montre avec le plus d’intensité et de justesse la force de ces liens qui unissaient le Fils à sa Mère. Je relis la Parole de l’Evangile : Jésus, voyant sa mère, et près d’elle le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : « Femme, voici ton fils. » Puis il dit au disciple : « Voici ta mère. » Je voudrais m’arrêter sur l’ordre des dernières paroles de Jésus.
Jésus commence par s’occuper de sa mère puis il s’occupera de Jean et, à travers lui, de l’Église. Il commence par donner un fils à sa mère, il commence par donner une nouvelle mission à sa mère : Femme voici ton fils. Dans l’Évangile, nous ne voyons pas beaucoup de moments de tendresse entre Jésus et sa mère, on a même parfois l’impression qu’il ne s’en occupe pas beaucoup ! Là, toute son attention est pour elle. Jésus mesure la souffrance de sa mère. Depuis le début de ce cauchemar que constitue la passion, elle avait dû rêver que la vérité éclate, que tout le monde réalise enfin qui il était. Mais rien ne s’est arrêté, il a fallu qu’elle aussi boive le calice jusqu’à la lie ! Marie devait être complètement retournée. Comme Syméon l’avait annoncé, un glaive est en train de transpercer le cœur de sa Mère, c’est pourquoi Jésus s’occupe d’elle en premier. Il ne va pas lui murmurer des mots tendres et consolants, mais c’est comme une nouvelle annonciation qui se réalise puisque Jésus sollicite un nouveau Oui de Marie pour lui confier l’Église. Elle va perdre le corps de son Fils, alors Jésus lui confie ce corps qu’est l’Eglise. Et Marie ne pose même plus de question comme à l’annonciation, elle aurait pu dire : mais comment est-ce que ça va être possible dans l’état où je suis et dans l’état où est ton Église ? Marie, selon la belle expression du concile, est au somment de son pèlerinage de foi, ce nouveau fiat est prononcé sans un mot, dans une confiance absolue, sans doute son regard a-t-il été suffisant pour que Jésus entende ce fiat silencieux
Et, ensuite, Jésus, en confiant Marie à St Jean, s’occupe de l’Église. L’Eglise, c’est son Église, et dans une dernière volonté, il donne à cette Église une Mère et quelle Mère ! Ainsi donc, nous pouvons comprendre que la spiritualité mariale n’est pas une spiritualité à option, c’est le désir de Jésus. Bien sûr, il faudra toujours vérifier comment se vit cette spiritualité mariale, mais elle n’est pas matière à option. Et c’est là que la parole de Marthe Robin est précieuse pour nous garder dans un bel équilibre : aimer Jésus comme Marie l’aimait et aimer Marie comme Jésus l’aimait. Cette parole de l’Evangile nous révèle donc le double cadeau que Jésus fait sur la croix : il donne des fils à sa mère par une mission nouvelle et il donne une mère à son Église. Voilà son testament, ses affaires sont en règle, il pourra mourir. Maintenant, il faut aussi avoir une lecture réaliste de cette parole : Jésus s’est préoccupé de ce que sa mère allait devenir et il a demandé à St Jean de s’en occuper et Jean s’en occupera. Quand on va en pèlerinage en Turquie, à Ephèse, on visite la maison de Marie, attestant que Jean ne l’a jamais abandonnée.
Vous avez entendu que Jésus appelait Marie : « Femme. » Parfois ça nous choque, parce que ce terme de « Femme » semble marquer une distance entre Jésus et sa Mère. Mais, il n’en est rien, c’est au contraire le plus beau titre que Jésus pouvait donner à Marie ! « Femme », ce titre, il le lui avait déjà donné à Cana. Et il me plait de penser que c’est peut-être quand elle entend Jésus que l’appelle « Femme » que Marie a été encouragée à prononcer cette parole d’audace : Faites tout ce qu’il vous dira ! Ce titre n’est absolument pas méprisant, au contraire ! C’est le titre qui manifeste que Marie est la nouvelle Eve, la nouvelle Femme, la Femme par excellence. Par Eve, le péché était entré dans le monde, par Marie qui donne Jésus le Salut est entré dans le monde. Mais pour cela, il faudra que Marie accepte de donner Jésus sans jamais le retenir pour elle. Et c’est justement parce qu’à la croix, Jésus voit le don sans retenue de Marie qu’il lui donne le titre de Femme et l’institue en quelque sorte, Mère de l’Eglise.
Enfin je termine en évoquant le nom de cette fête : Notre Dame des Douleurs ou Notre Dame des 7 douleurs. Je pense que vous les connaissez ces 7 douleurs, je les énumère quand même, elles pourront nourrir votre méditation. Ceux d’entre vous qui resteront ici pourront les méditer au cours de la procession mariale de cette après-midi.
La 1° de ces 7 douleurs, c’est la prophétie de Syméon qui annonce qu’un glaive de douleurs transpercera le cœur de Marie. La 2°, c’est la fuite en Egypte, où la sainte famille connaîtra la difficile condition des réfugiés. La 3°, c’est la disparition de Jésus au moment de leur pèlerinage à Jérusalem, dans ce moment d’angoisse, Marie, épaulée par la présence de Joseph, connait la situation de tant de parents qui ont perdu leur enfant, ceux qui sont morts trop tôt, de manière tragique mais aussi ceux qui sont perdus dans des pratiques mortifères. La 4°, c’est cette rencontre éprouvante sur le chemin de la Croix, rencontre au cours de laquelle Marie vit douloureusement l’impuissance de ces mères qui accompagnent leurs enfants souffrants et ne pouvant rien faire pour eux. La 5°, c’est la présence au pied de la croix. Marie est « debout » nous dit la tradition, ce qui donnera naissance à ces magnifiques Stabat Mater. Marie est là, elle ne peut rien faire d’autre que d’être là au moment où tant de ceux que Jésus aurait aimé avoir à ses côtés ont fui. La 6° douleur, c’est la remise du corps de Jésus, ce corps mort, portant les stigmates de tant de souffrances, qu’elle tient entre ses bras comme jadis elle avait pu tenir le corps de ce petit bébé cadeau du ciel. La 7° douleur, c’est l’ensevelissement au tombeau et cette entrée dans la foi, une foi qui n’est plus nourrie par aucun signe sensible mais qui ne peut s’appuyer que sur la fidélité de Dieu à ses promesses.
Il y a eu bien d’autres souffrances dans la vie de Marie, ces sept-là ont été retenues parce que 7 est un chiffre parfait qui nous permet de comprendre que la vie de Marie a été une longue passion. Mais attention, ce mot de passion, il faut l’entendre dans les deux sens : la vie de Marie a été une passion parce que sa vie a été émaillée de beaucoup de souffrances. Mais la vie de Marie a aussi été une passion parce qu’elle a été passionnée par la mission qui lui avait été confiée. C’est l’intercession de cette Mère passionnée et infatigable que nous invoquons aujourd’hui pour nous et pour tous ceux qui portent des croix trop lourdes.