18 mars : vendredi 2° semaine de carême. A quelles conditions Dieu peut-il écrire droit avec des lignes courbes ?

Ce sont deux drames terribles qui nous sont racontés dans les textes d’aujourd’hui. Parfois certains se demandent pourquoi il y a tant d’histoires tordues dans la Bible, histoires de violence familiale ou ethnique, histoires de viols et d’incestes et tant d’autres horreurs. S’il y a tout ça dans la Bible, c’est parce qu’il y a tout ça dans l’histoire des hommes. Et Dieu n’a pas fait alliance avec des anges, mais avec des hommes dont certains connaissaient des histoires extrêmement tourmentées, soit parce qu’ils commettaient eux-mêmes des turpitudes, soit parce qu’ils en étaient victimes. La Bible, la Foi prennent donc à bras le corps cette redoutable question du mal si présente dans la vie des hommes et l’actualité nous le confirme chaque jour en ce moment. Si la question du mal est prise à bras le corps, ce n’est pas pour l’expliquer, on ne peut expliquer l’inexplicable. C’est encore moins pour justifier le mal ou inviter les hommes à en prendre leur parti en disant que ça sera toujours comme ça. Non, si la Bible et la foi prennent cette question à bras le corps, c’est pour inciter les croyants à ouvrir un chemin de vie au milieu de tous ces actes horribles qui causent la mort de tant d’innocents. Et, dans les textes d’aujourd’hui, deux figures admirables nous sont présentées dont l’une annonce l’autre : Joseph et Jésus 

Dans la 1° lecture, c’est l’histoire de Joseph vendu par ses frères. Joseph, c’est l’arrière-petit-fils d’Abraham. Son père, nous l’avons entendu, c’était Jacob qu’on appelle aussi Israël, son grand-père c’était Isaac, le fils d’Abraham. Nous sommes donc dans les tout débuts de l’histoire de la Foi, de l’Alliance, commencée avec Abraham, le père de tous les croyants. Mais, dès le début, nous le voyons, c’est une histoire compliquée. La Bible ne cache rien des difficultés de la vie. Les frères de Joseph sont malades de jalousie parce que leur vieux père a un faible pour ce dernier fils, le fils de sa vieillesse qu’il a eu avec son épouse préférée mais restée stérile si longtemps. Un autre fils viendra plus tard de cette même femme, Benjamin, mais l’accouchement se passera mal et Rachel va mourir. Revenons à l’histoire de Joseph. Jacob vient de montrer cette préférence en offrant à Joseph une belle tunique. Mais dire qu’il préférait Joseph ne signifie pas qu’il n’aimait pas du tout ses autres fils. La preuve, il envoie Joseph auprès d’eux, sûrement pour leur porter à manger, à boire.

Seulement voilà, les autres fils, eux, ils sont malades de jalousie et quand ils voient arriver Joseph, ils décident de le supprimer. C’est vrai que Joseph n’a pas été très fin, non plus, il aurait pu venir habillé avec un autre vêtement qu’avec cette tunique de la discorde ! Dans les conflits, il y a toujours des torts partagés ! Heureusement, l’un d’eux, Roubène qui avait quand même une conscience plus en éveil que les autres se met en travers du projet, il ne veut pas que son frère soit tué. Joseph sera juste mis dans une citerne, il n’y séjourne que quelques heures. Une caravane de marchands passe, ils allaient commercer avec l’Egypte, Joseph leur est vendu et va donc se retrouver en Egypte. Je n’entre pas dans les détails car le texte laisse un flou, il n’est pas sûr qu’il ait été vendu directement par ses frères qui se sont peut-être fait rouler par des Madianites !

En tout cas, c’est vraiment une situation dramatique. Oui, mais de cette situation tordue, Dieu va savoir en tirer un bien. Quand nous continuons l’histoire de Joseph, nous nous rendons compte qu’il va tenir une place très importante en Egypte. Le pharaon a des songes et aucun de ses mages ne peut les interpréter, on apprend à la cour du pharaon que l’esclave hébreu a ce don d’interprétation, on le fait donc venir auprès de Pharaon. De fait, il interprète tous les songes de pharaon avec une étonnante justesse. Pharaon en est tellement content qu’il va faire de lui l’un des membres les plus importants de son administration. Et c’est ainsi qu’il va pouvoir, après bien des péripéties, sauver sa famille qui risquait de mourir de la famine qui sévissait dans leur patrie. J’arrête là l’histoire qui a occupé l’essentiel de la retraite que j’ai prêchée aux frères dominicains de Rennes.

La formule bien connue : Dieu écrit droit avec des lignes courbes est un bon résumé de cette histoire de Joseph même s’il ne faut pas l’utiliser trop vite. En tout cas, c’est vrai, de cette histoire tordue, Dieu a su en tirer parti pour continuer à écrire l’histoire du Salut. Sans la présence de Joseph en Egypte, sa famille serait morte de faim. Mais, je le redirai en conclusion, ce n’est pas automatique que Dieu puisse écrire droit avec les lignes courbes de notre vie, pour que ça soit possible, il faudra que des personnes acceptent de donner leur vie. Et c’est bien de cela que veut nous parler l’Evangile.

Cette nouvelle parabole de Jésus nous présente un autre drame. C’est en parabole que Jésus raconte ce qui va lui arriver, qu’il annonce sa mort et une mort qui sera particulièrement injuste et violente. Mais là encore, ce qui aurait pu rester un drame va devenir l’acte par lequel toute l’humanité sera sauvée, y compris ceux qui sont à l’origine de ce drame. D’ailleurs, c’est Jésus lui-même qui tire la leçon de cette histoire en reprenant une affirmation des Ecritures : « La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle, c’est là l’œuvre du Seigneur. »

Oui, c’est donc bien vrai, Dieu a cette capacité d’écrire droit avec des lignes courbes. Comme le disait Jésus, citant le psaume : c’est là l’œuvre du Seigneur. On pourrait traduire, c’est vraiment le génie de Dieu, cette capacité de tout récupérer. On donnera à cette capacité extraordinaire de Dieu, un nom, la Providence. Mais attention, il ne faudrait pas en conclure qu’on peut faire n’importe quoi puisque Dieu a cette capacité de pouvoir tirer du bien même à partir d’un mal. Non ! Je me souviens quand j’étais séminariste, la soeur qui nous faisait la cuisine préparait toujours des gâteaux pour la kermesse paroissiale … mais elle n’était pas une très bonne cuisinière ! Alors avec beaucoup de toupet, elle était allée voir le pâtissier voisin de la cure en lui demandant s’il pouvait « rattraper » ses gâteaux ratés ! Il avait accepté, du coup, elle ne s’appliquait plus du tout et quand on le lui faisait remarquer, elle disait : ce n’est pas grave, le pâtissier va me les rattraper ! Eh bien, il ne faudrait pas avoir le même comportement en vivant notre vie n’importe comment et en pensant que la miséricorde rattrapera tout ! En effet, rappelons-nous toujours que si Dieu a cette capacité extraordinaire de tirer du bien à partir d’un mal, il ne peut pas supprimer les conséquences de nos actes mauvais. Le mal commis cause des dégâts terribles. Joseph, vendu, va terriblement souffrir, son père Jacob souffrira de l’absence de ce fils qu’il croit mort et les frères souffriront des tourments infligés par leur conscience. Nos actes mauvais ont des conséquences réelles et dramatiques. Mais Dieu peut faire en sorte que là où la destruction, la mort semblaient devoir l’emporter, la vie puisse jaillir.

Cependant, comme je le disais, ça ne se fait pas automatiquement. Pour que la dramatique histoire de Joseph puisse ouvrir un avenir à son peuple, il a fallu que Joseph accepte de pardonner le mal qui lui a été fait. Pour que le meurtre de Jésus devienne source de Salut, il a fallu qu’il consente à donner sa vie en pardonnant à tous ceux qui l’avaient mis à mort et à tous leurs complices. Il a fallu qu’il offre la puissance de cet amour rédempteur pour tous les pécheurs de tous les temps, pour tous ceux qui ne le méritaient pas, c’est-à-dire pour vous et pour moi ! Oui, Dieu a cette capacité d’écrire droit avec des lignes courbes, mais il ne peut écrire de cette manière qu’avec l’encre de nos vies, c’est-à-dire que si nous sommes prêts à nous donner dans un amour sans limite. Là où des hommes se donnent, là où des hommes pardonnent, toutes les lignes courbes peuvent être redressées. Là où des hommes se donnent, là où des hommes pardonnent, de tout mal, Dieu peut tirer un bien. Mais il ne pourra jamais y parvenir sans la collaboration des hommes de bonne volonté.

Tout ce que je viens de dire est d’une terrible actualité. Oui, tous les actes mauvais ont des conséquences dramatiques, ce sont actuellement des milliers de morts innocents. Mais nous continuons de croire que Dieu pourra tirer de ce mal un bien. Alors, prions pour que se lèvent des hommes et des femmes de paix, car ce qu’il faut gagner, ce n’est pas la guerre, mais la paix. Et que l’Esprit-Saint nous inspire comment nous pouvons en devenant, ici, des hommes et des femmes de paix, collaborer à ce processus de paix. Car il serait totalement illusoire de prier pour une paix là-bas où elle parait si improbable si nous ne décidons pas de gagner la paix entre nous, puisque, là, elle semble tout à fait possible à gagner si nous acceptons de nous donner et de nous pardonner toujours mieux.

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