C’est un beau cadeau que la liturgie nous fait en nous proposant ce passage de la lettre aux Romains au cœur de cette journée pour Dieu dans laquelle nous réfléchissons à la question du Mal : Notre Père, délivre-nous du mal ou si Dieu est Père pourquoi le Mal ? Et le mal, ces derniers jours, il a été dévoilé de manière extrêmement choquante pour nous tous avec la publication du rapport Sauvé. Je me permets de faire un résumé très rapide de mon intervention. Quand on parle de mal, il y a au moins deux grandes catégories que nous ne pouvons pas aborder de la même manière. Tout d’abord le mal qui a une explication rationnelle : je fume, j’ai un cancer du poumon, bien sûr c’est dramatique, mais je ne vais quand même pas rendre Dieu responsable de ce qui m’arrive. Mais il y a aussi des formes de mal inexplicables comme les cataclysmes qui n’ont pas attendu le réchauffement climatique pour se manifester et, là, face à ces drames, ils sont nombreux ceux qui pointent un doigt accusateur en direction du ciel. Nous avons aussi vu que face au mal, il y a différentes manières de se situer, de réagir selon que nous sommes victimes, témoins ou acteurs. Nous avons ensuite regardé ce que Jésus nous révèle de l’attitude de Dieu face au mal en partant de ce grand principe théologique : qui me voit, voit le Père. En regardant Jésus, en l’écoutant, on sait exactement comment Dieu se situe et comment il réagit face au mal. Enfin, nous avons évoqué la place du Malin dans ce mystère du mal puisque la demande du Notre Père nous fait dire explicitement : délivre-nous du Mauvais. Nous avons essayé d’articuler l’action du Malin et la responsabilité des hommes.
Et je terminais mon intervention en disant que cette lutte contre le mal ne se fait pas à armes égales. En disant cela, je ne visais pas notre combat contre le Malin et donc nos faiblesses. Je visais plutôt le fait que le Malin est mal barré parce que Dieu a décidé de faire de ce combat, son combat. Je citais cette parole du 2° livre des Chroniques au chapitre 20, le verset 15. Dieu voit que son peuple ne va pas s’en sortir, alors il va permettre qu’une parole prophétique soit prononcée disant : « Ce combat n’est plus le vôtre, désormais c’est le mien. » Ah si nous nous mettions à croire en la puissance de cette parole : nous ne sommes plus seuls dans le combat contre le mal, nous pouvons nous appuyer sur le Seigneur qui non seulement combat avec nous, mais combat pour nous. Le témoignage des saints martyrs du Canada que nous fêtons aujourd’hui est de ce point de vie éclairant : voilà ce qui devient possible quand on se met à croire en la puissance de la Parole du Seigneur. Vous aurez bien compris que ça ne veut pas dire qu’on ne laissera pas quelques plumes dans ce combat et parfois plus que des plumes, mais nous en sortirons vainqueurs, le mal n’aura pas le dernier mot.
Eh bien, il me semble que la première lecture éclaire de manière extraordinaire tout ce que je viens de dire ! Quelle belle confirmation de constater que Paul pense comme moi ! Oui, ce combat contre le mal et le Malin, le Seigneur en a fait son affaire. C’est bien ce que nous dit le texte en mettant en parallèle le péché et le Salut. Le Malin pensait avoir gagné la victoire en faisant entrer par un homme, Adam, le péché dans le monde et, avec le péché, la mort. C’était sans compter sur la réaction du Seigneur, action/réaction qui n’a pas réglé le problème en punissant l’homme pour sa désobéissance mais en envoyant son Fils pour sauver l’humanité. Ce chapitre 5 de l’épitre aux Romains à partir duquel l’Eglise a construit sa réflexion sur le péché originel est comme un tableau en noir et blanc. Il y a beaucoup de noir, Paul est réaliste, le mal et le Malin n’ont pas fait les choses à moitié. Mais ce noir, finalement, n’est là que pour mieux faire ressortir le blanc ou la lumière qui jaillit au cœur de cette noirceur. Alors que le Malin en déstabilisant le merveilleux équilibre harmonieux de la création pensait avoir réussi son coup, voilà que Dieu en envoyant Jésus récupère le coup et fait même bien mieux que récupérer le coup.
Oui, pour Paul, il y a 2 convictions qui sont très claires et que je veux développer rapidement :
Première conviction : La victoire n’est pas pour le monde des ténèbres parce que, évidemment, Dieu est plus fort. C’est pour cela que je disais que ce combat ne se fait pas à armes égales. Et il est important de le redire car il y a des personnes qui n’ont pas beaucoup de formation et qui pensent qu’il y a d’un côté une force du bien, Dieu et de l’autre une force du mal, le diable et qu’ils se battent à armes égales comme deux principes de même force. Alors, tantôt le bien est vainqueur et tantôt, c’est le mal. La foi chrétienne n’a rien à voir avec ces théories dualistes. Le diable, comme principe du mal, existe, mais il n’a comme puissance que celle que nous acceptons de lui donner. Non vraiment ce combat n’est pas à armes égales, les effets du combat du Malin pour fairte régner le mal et les effets du combat du Seigneur pour faire triompher le bien n’ont rien à voir. Avez-vous remarqué que plusieurs fois dans ce texte, Paul l’affirme, je reprends quelques versets en insistant à la lecture sur le déséquilibre en faveur du combat mené par le Seigneur : « Si la mort a frappé la multitude par la faute d’un seul, combien plus la grâce de Dieu s’est-elle répandue en abondance sur la multitude. » ou encore : « Si, en effet, à cause d’un seul homme, par la faute d’un seul, la mort a établi son règne, combien plus, à cause de Jésus Christ et de lui seul, régneront-ils dans la vie. » et enfin cette si belle déclaration que nous connaissons bien : « Là où le péché s’est multiplié, la grâce a surabondé. » C’est donc extrêmement clair pour Paul, la victoire est à l’amour.
Deuxième conviction que je souligne à partir du développement de Paul dans ce passage. Dieu fait bien mieux que réparer ce qui avait été abimé par le péché et ce que suggère justement la belle formulation que je viens de citer : « là où le péché a abondé, la grâce a surabondé. » La surabondance, c’est bien plus qu’une réparation. Il y a certaines présentations du Salut qui laisse croire que c’est comme une rustine sur un pneu crevé ! Non ! On en a comme une illustration dans les guérisons que Jésus opère dans les Evangiles : des malades viennent lui demander la santé et lui, il leur donne le Salut, c’est le sens de ces mots qu’il prononce souvent à la fin de la guérison : « va, ta foi t’a sauvé ! » Il demandait la santé, il a reçu le Salut avec la guérison, c’est bien plus fort ! C’est vraiment d’un tout autre ordre qu’une rustine sur un pneu crevé ! Et je signale au passage que c’est exactement ce qui se passe dans le sacrement du pardon. Nous n’y allons pas en demandant au Seigneur de colmater les fuites, ni même pour une opération lessive qui ferait disparaître les taches qui font tache ! Non, ce que le Seigneur opère par la grâce de ce sacrement, c’est bien mieux, c’est une recréation : la grâce va surabonder, là où le péché avait abondé. Vous connaissez forcément cette parabole qu’on attribue à un rabbin qui expliquait que chacun de nous est relié à Dieu par un fil. Chaque péché vient rompre ce fil et couper la relation, chaque pardon demandé et reçu vient faire un nœud pour restaurer la relation et ainsi, grâce au nœud, nous nous retrouvons plus près de Dieu. Tout est grâce, même le péché quand il conduit au repentir et au pardon. C’est bien le sens de ce que nous chantons dans l’Exultet au début de la nuit pascale : bienheureuse faute d’Adam qui nous valut un tel Rédempteur. Oui, c’est bien vrai : « là où le péché a abondé, la grâce a surabondé. » La victoire est bien à Dieu.
Mais me direz-vous et je terminerai par là, si la victoire est à Dieu, pourquoi tous ces combats encore si violents aujourd’hui, combats dans lesquels le mal et le Malin semblent l’emporter si souvent dans nos vies, dans l’Eglise et dans le monde ? C’est sans doute parce qu’il sait qu’il a perdu la bataille qu’avant de disparaître, dans un ultime combat désespéré, il jette ses dernières forces et nous empoisonne la vie. Mais la bonne nouvelle, c’est que ça ne va pas durer aussi longtemps que les impôts ! Enfin, soyons clairs, pour le monde, le combat durera jusqu’au retour glorieux du Christ qui mettra un terme au combat puisque Paul dit dans la 1° épitre aux Corinthiens qu’à ce moment, il mettra sous ses pieds tous ses ennemis. Oui, ça c’est pour le monde, mais pour nous ça ne durera pas aussi longtemps ! La bonne nouvelle, c’est qu’à notre mort, le combat cessera faute de combattant puisque les portes du ciel seront fermées au Malin !