Tout au long du temps pascal, les premières lectures ont été tirées du livre des Actes des Apôtres. Le temps pascal touche à sa fin, il se terminera avec la fête de Pentecôte, donc la lecture en quasi-continu du livre des Actes doit aussi se terminer. C’est pour cela que les rédacteurs du lectionnaire de la liturgie ont été obligés de nous faire sauter pratiquement deux chapitres que vous pourrez lire dans vos bibles pour ne rien rater des aventures trépidantes de Paul. Aujourd’hui, nous sommes proches de la fin puisque Paul a été arrêté. Il sentait bien que ça allait devenir inévitable puisqu’hier dans son émouvant adieu aux anciens d’Ephèse, il leur avait dit qu’ils ne reverraient plus son visage ce qui avait déclenché une grande séquence émotion parmi ces anciens d’Ephèse. Eh bien, voilà, c’est donc fait, il est arrêté, premier acte d’une série d’événements qui le conduiront à Rome puisqu’il fera valoir sa qualité de citoyen romain et, donc, son droit à être jugé par l’empereur.
Pour comprendre ce qui se joue dans cette lecture que nous avons entendue, il est encore nécessaire de savoir qu’il y avait plusieurs courants dans le judaïsme. Le texte parle particulièrement des pharisiens et des saduccéens. Je dis d’abord quelques mots sur chacun.
- Ça va peut-être vous étonner, mais les pharisiens étaient plutôt des gens biens ! Vous allez me dire que c’est étonnant parce qu’on entend souvent Jésus ferrailler avec eux. Oui, c’est vrai qu’il ferraillait souvent avec eux, mais c’est justement parce qu’il trouvait que c’étaient des gens biens, qu’il les reprenait si souvent. Ce courant pharisien, il était un peu né comme le Renouveau Charismatique. Il y a eu un moment dans l’histoire du judaïsme où ceux qui avaient reçu la charge d’accompagner la vie spirituelle du peuple de Dieu avaient complètement déraillé. Je veux parler des prêtres, bien sûr dont la fonction spirituelle était évidente mais aussi du roi et de ses conseillers qui avaient également un rôle spirituel. On dira du roi qu’il était le lieutenant de Dieu, pas celui qui devait tenir la place de Dieu, mais celui qui devait garder la place de Dieu au sein du peuple. Eh bien, tout ce beau monde, prêtres et gouvernants avaient déraillé et étaient plus préoccupés de leur place à eux que de la place de Dieu, plus préoccupés de leur réussite y compris économique que de l’épanouissement spirituel du peuple. Ça ne pouvait plus durer, c’est alors que le St Esprit a mis dans le cœur d’un groupe de laïcs de prendre la tête d’un mouvement de renouveau qui contesterait la manière dévoyée dont se vivaient la foi. C’est comme s’ils avaient dit aux responsables : dans la religion, vous prenez ce qui vous arrange et vous laissez ce qui vous dérange, nous, on prend tout ! Et ils sont revenus à la pureté de la loi, redécouvrant sa radicalité. Le problème, c’est que, ce qui était bien parti, au long du temps, va se trouver gâté par le légalisme et c’est contre cette déviance que Jésus va lutter, pas contre les pharisiens en tant que tels. D’ailleurs, on l’a entendu, Paul était plutôt fier de pouvoir se présenter comme étant un pharisien, fils de pharisien.
- Les saduccéens, je vais être plus rapide pour les présenter, nous pouvons retenir qu’ils représentaient tout ce que les pharisiens avaient en horreur. C’étaient des prêtres, ils faisaient donc partie de ceux qui s’étaient arrangés avec la religion et continuaient de s’arranger avec elle recherchant d’abord leurs intérêts. Tous les prêtres n’étaient pas saduccéens, ce courant recrutait uniquement dans l’aristocratie sacerdotale, donc ceux qui étaient issus des meilleures familles qui avaient réussi en défendant parfaitement leurs intérêts.
Avec ce que je viens de dire, vous comprenez déjà que les pharisiens et les saduccéens ne risquaient pas de passer leurs vacances ensemble ! Mais en plus de cet antagonisme séculaire, il y avait aussi la doctrine qui les séparait profondément. Il faudrait beaucoup de temps pour expliquer ce point, je ne fais que l’évoquer, c’était la foi en l’au-delà. Que se passait-il après la mort ? Les saduccéens refusaient de croire en la résurrection alors que les pharisiens y croyaient fermement.
Voilà, j’ai fini la séquence formation biblique, mais elle n’était pas inutile puisque, souvent, dans les Evangiles, nous entendons parler des pharisiens et saduccéens. Maintenant voyons en quoi toutes ces vieilles histoires, ces vieilles querelles peuvent nous intéresser.
Vous avez bien compris que si j’ai pris le temps de vous expliquer tout cela, c’est parce que Paul va se servir de cette animosité entre pharisiens et saduccéens pour essayer de se sortir de la mauvaise passe dans laquelle il se trouve. Il est arrêté, l’officier romain qui doit l’entendre ne comprend rein à ces histoires de religion, il convoque donc les membres du grand conseil juif pour se faire expliquer où est le problème avec Paul. Si les membres de ce conseil avaient été unis, Paul aurait été condamné immédiatement, c’est ce qui s’est passé pour le procès de Jésus, c’est peut-être le seul moment où ils ont été capables de se mettre d’accord, unis pour tuer le Fils de Dieu, quel drame ! Mais, là, comme ils ne sont pas unis, Paul va subtilement jouer sur cette division pour que les membres du conseil se querellent entre eux et s’intéressent un peu moins à lui. C’est pour cela qu’il lance le sujet de la résurrection des morts, il était sûr de son coup, ils allaient se chamailler entre eux et lui, il aurait un peu de répit !
Je vous avoue que j’aime beaucoup ce côté rusé de Paul. L’Esprit-Saint ne nous rend pas benêts, naïfs au contraire et nous le voyons bien avec Paul. Jésus avait dit à ses disciples : « Soyez rusés comme des serpents et purs comme des colombes. » Mt 10,16 On se demande souvent comment il est possible d’allier ces deux qualités qui nous semblent si opposées eh bien, dans ce texte, Paul nous montre que c’est possible et que c’est l’action du Saint-Esprit en nous qui nous permettra, nous aussi, de devenir rusés comme des serpents et purs comme des colombes.
Venons-en à l’Evangile, on pourrait prendre cette prière sacerdotale de Jésus comme fil rouge d’une semaine de retraite tant la prière de Jésus est dense et riche. Je vais juste m’intéresser à ce que Jésus demande avec insistance au Père pour ses disciples : « Que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. » Cette demande de Jésus, nous la connaissons bien, nous la méditons chaque année de manière plus particulière au moment de la semaine de prière pour l’unité des Chrétiens. Mais quand on regarde lucidement ce qui se passe autour de nous, il pourrait parfois nous arriver de penser que l’unité entre les différentes confessions chrétiennes risque d’arriver plus vite que l’unité au sein de nos paroisses, de nos communautés, de nos familles ! Que tous soient un, c’est loin d’être gagné et peut-être même qu’en entendant cela, on a envie de dire : mission impossible et de répondre à Jésus : Seigneur, on va déjà essayer de se supporter, comme le demandait l’intention de prière de ce matin. Oui, mais Jésus nous répond : ça ne me suffit pas quand je prie pour que vous soyez unis, ma demande n’est pas que vous vous supportiez mais que vous deveniez supporter les uns des autres, ça s’écrit pareil, mais ça ne se prononce pas de la même manière et ça change tout ! Seulement en entendant cela, immédiatement, monte sur nos lèvres le refrain qui aurait pu être le thème de cette retraite : j’voudrais bien, mais … j’peux point !
Mais si Jésus nous le demande, c’est que c’est possible ! Oui, c’est possible, mais pas par nos propres forces. L’unité que Jésus demande ne viendra pas au bout de nos efforts, elle ne sera possible que si, reconnaissant notre pauvreté, notre incapacité à l’atteindre, nous la demandons et l’accueillons comme un don. C’est d’ailleurs ce que suggère la manière dont Jésus a formulé cette demande et pour vous le faire comprendre, je vais être obligé de faire encore un peu de grec. Quand Jésus dit : « Que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. » Il est intéressant de s’arrêter sur le petit mot « comme ». En grec, il y a deux mots pour dire comme, os et kathos, mais peu importe. Il y a deux mots parce qu’en français, ce mot a deux sens différents. Soit il désigne l’imitation : j’aimerais grimper en montagne, comme le père Gaspard, eh bien, il me faudra faire beaucoup d’efforts pour y parvenir et je ne suis pas sûr d’y arriver ! Mais ce mot « comme » il peut aussi désigner un rapport de causalité : j’ai les yeux bleus comme maman et c’est vrai, ma mère m’a donné ses yeux bleus et là, je n’ai eu aucun effort à faire, elle me les a donnés ! Vous avez déjà compris que lorsque Jésus prie en disant : Que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi, Jésus n’utilise pas le comme d’imitation, mais de causalité. C’est donc comme s’il disait : qu’ils accueillent l’Esprit-Saint qui nous unit et c’est lui qui les conduira à l’unité. Vivre l’unité, c’est un grand défi, Jésus le précise bien, l’enjeu de l’unité, c’est que le monde puisse croire.
Ce défi peut nous sembler impossible à atteindre et, de fait, il l’est par nos seules forces, mais si nous prenons la perche du St Esprit, nous parviendrons à passer cette barre qui nous dépasse, nous parviendrons à devenir supporter les uns des autres et le monde pourra croire. Dans le groupe œcuménique auquel je participais, nous aimions commencer notre rencontre en chantant : Tous unis dans l’Esprit, tous unis en Jésus, nous prions que bientôt ce qui divise ne soit plus. Et le monde saura que nous sommes chrétiens par l’amour dont nos actes sont empreints. Qu’il en soit ainsi !