2 septembre : jeudi 22° semaine ordinaire. Prendre des hommes pour les rendre plus vivants … ça te branche !

La 1° lecture nous a donné à entendre la 2° partie de l’adresse de la lettre que Paul écrit aux colossiens suite à ce que Epaphras est venu lui partager. Hier nous avions entendu la 1° partie de cette adresse et j’en avais profité pour donner quelques repères permettant de lire cette lettre aux Colossiens. J’avais souligné le fait que les lettres de Paul sont toujours l’expression de sa charité pastorale. On l’entend bien cette charité pastorale dans la lecture d’aujourd’hui : « Depuis le jour où nous avons entendu parler de vous, nous ne cessons pas de prier pour vous. » On peut imaginer le soutien que ça représente pour ces jeunes chrétiens de Colosse que d’entendre que ce géant de l’évangélisation qu’est Paul prie sans cesse pour eux ! La charité pastorale se vit aussi dans la prière pastorale qui est une invitation à ne pas vivre la prière comme une introspection nombrilisante mais à porter devant le Seigneur ceux qui sont confiés à notre sollicitude.

Hier, j’ai aussi insisté sur le fait que la communauté fondée par Epaphras était confrontée à de réelles difficultés car les chrétiens de Colosse, étant des gens simples, se révélaient influençables. Ils étaient en train de se laisser séduire par ceux qui voulaient donner aux anges et aux esprits invisibles un rôle déterminant et par ceux qui voulaient leur laisser croire qu’on ne peut entrer dans la connaissance plénière du mystère de Dieu que par une série d’initiations, ce qui donnera naissance à la gnose. Dans cette 2° partie de l’adresse, tous ces problèmes sont évoqués, discrètement certes, mais réellement. C’est pour cela qu’il faut toujours lire avec attention les adresses des lettres de Paul, elles contiennent un résumé de toute la problématique de la lettre. Dans les correspondances que nous échangeons, il faut souvent sauter les premières lignes pour connaître le cœur du sujet de la lettre que nous écrivons. Les premières lignes sont souvent des formules de politesse, des demandes de nouvelles, tout cela étant sympathique mais pas déterminant, le plus sérieux vient ensuite ! Avec Paul, il ne faut jamais lire trop vite ces 1° versets d’une lettre qu’on appelle l’adresse parce que la problématique de la lettre se trouve précisément dans ces versets.

On peut facilement reconnaître les problèmes que j’évoquais et auxquels Paul veut répondre dans cette formule : « Nous demandons à Dieu de vous combler de la pleine connaissance de sa volonté, en toute sagesse et intelligence spirituelle. » La volonté de Dieu ne sera pas révélée aux Colossiens au terme d’initiations ou de consultations angéliques. Non ! Sa volonté, Dieu ne la révèle pas à des initiés privilégiés, mais à tous ceux qui veulent bien l’accueillir. Et ce n’est pas en passant des seuils initiatiques qu’on progressera dans la connaissance de cette volonté, mais, comme le dit Paul, « c’est par tout le bien que vous ferez que vous progresserez dans la vraie connaissance de Dieu. »

Tout ce qu’on essaie de faire croire aux Colossiens est un piège qui leur laisse entendre qu’ils ont entre leurs mains les moyens d’entrer plus pleinement dans la connaissance de Dieu et qu’il suffit qu’ils apprennent à bien se servir de ces moyens. C’est un piège parce que, à terme, ça va diviser la communauté, il y aura d’un côté les initiés, ceux qui savent et de l’autre côté, ceux qui ne savent pas, les pauvres qui ne comprennent rien. Non, la connaissance n’est pas réservée aux initiés, elle est donnée gratuitement à tous par Dieu. « C’est lui qui nous arrache au pouvoir des ténèbres, et nous place dans le Royaume de son Fils bien-aimé : car c’est dans ce Fils bien-aimé que nous avons la rédemption, le pardon des péchés. » Et demain, Paul nous donnera de le contempler ce Fils bien-aimé, de contempler son œuvre. Finalement, c’est comme si Paul demandait aux Colossiens pourquoi ils se mettent une telle pression alors que Jésus a déjà tout fait, tout donné et qu’il suffit que, par la foi, nous ouvrions nos cœurs pour accueillir tous les bienfaits du Salut.

Avec l’Evangile, nous voyons Jésus qui continue la mise en œuvre du discours programmatique prononcé à la synagogue de Nazareth. Dans ce discours, il disait qu’il était venu annoncer aux captifs leur libération et remettre en liberté les opprimés. Nous avons vu comment Jésus a accompli ces paroles, en libérant le possédé dans la synagogue de Capharnaum, en libérant la belle-mère de sa fièvre et en guérissant à la suite tous les malades qu’on lui apportait. Et nous avions quitté Jésus, hier en l’entendant justifier son désir de partir de Capharnaum par ces mots : « Aux autres villes aussi, il faut que j’annonce la Bonne Nouvelle du règne de Dieu, car c’est pour cela que j’ai été envoyé. » 

Ces paroles étaient encore l’explicitation du discours programmatique qui l’envoyaient Porter la Bonne Nouvelle aux pauvres. Je pense que vous avez compris que tous les éléments de la prophétie d’Isaïe qui sont devenus le discours programmatique de Jésus sont en fait une déclinaison de tous les aspects du Salut. C’est quoi le Salut ? Que va faire Jésus pour nous sauver ? « Porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération, et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés, annoncer une année favorable accordée par le Seigneur. » Mais cette mission, Jésus ne pourra pas l’accomplir seul. Certes, c’est lui et lui seul qui apportera le Salut, mais il aura besoin d’être entouré pour le temps de son ministère public et pour la suite. Et, aujourd’hui, nous le voyons commencer à constituer son groupe d’apôtres. Je ne sais pas comment vous entendez ce texte, mais moi, j’ai l’impression que ça n’a pas très bien commencé. Cette première rencontre officielle entre le prêcheur et le pêcheur a été un peu particulière.

Je vous avoue que j’aurais bien aimé voir la tête de Simon quand Jésus a décidé de monter dans sa barque pour enseigner cette foule qui se pressait autour de lui. On apprendra par la suite que Simon avait passé toute la nuit à travailler sans rien prendre. Un pêcheur bredouille n’est déjà jamais de très bonne humeur, et ça ne pouvait donc que se gâter quand, en plus, il se rend compte qu’il ne va pas pouvoir aller se coucher tout de suite ! Simon était en train de ranger, de réparer les filets pour la prochaine pêche et avant qu’il n’ait fini, le prêcheur monte dans sa barque. Des barques, il y en avait d’autres, eh bien non, c’est la sienne qu’il a choisi ! Décidément, c’est une drôle de journée qui commence après une drôle de nuit … enfin drôle, pas drôle pour tout le monde et surtout pas pour Simon. C’est important de redonner du réalisme à notre manière de lire l’Evangile ! 

Et on peut continuer à lire ce texte avec le même réalisme. En effet, quand le prêcheur a fini, au lieu de libérer la barque, lui qui n’y connait rien, il se permet de donner des conseils et même plus que des conseils, carrément des ordres aux pêcheurs : « Avance au large et jette les filets ! » On voit bien qu’il n’y connait rien ! Quand on n’a rien pris la nuit qui est pourtant le moment le plus favorable pour la pêche, c’est inutile d’insister le matin qui est un moment bien moins favorable. Et voilà que ce pauvre Simon, au lieu de pouvoir aller se coucher, va devoir lui démontrer par A+B au prêcheur que les belles paroles ça ne remplit pas les filets ! Enfin, moi, c’est comme ça que je comprends la réponse de Simon, je ne suis pas sûr que ses paroles soient déjà un acte de foi. Quand il dit à Jésus : « Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre ; mais, sur ta parole, je vais jeter les filets. » Je pense que Simon veut plutôt lui montrer qu’il n’y connait rien : les prêches, oui, la pêche, non ! Il y a des vocations qui commencent par un grand coup de foudre, je n’ai pas l’impression que ça ait été le cas pour Simon … mais Jésus est tenace et ne se laissera jamais décourager par des débuts difficiles !

Par défi, Simon va donc jeter les filets. Et voilà que rien ne se passe comme prévu, contre toute attente, les filets sont pleins, tellement pleins qu’il faut appeler les autres restés sur la plage. Les autres, en observant la scène, ils devaient bien rigoler en se disant : « On a eu de la chance qu’il ne monte pas dans notre barque, mais Simon, lui il n’a pas eu de chance, après une nuit blanche et un retour bredouille, il a dû s’occuper du prêcheur ! » Tous ces pêcheurs un peu sceptiques vont faire l’expérience d’une pêche miraculeuse qui va complètement les retourner, retourner leurs sentiments, c’est ce que les paroles de Simon exprimeront : « Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur. » Et c’est là que Jésus va les appeler pour qu’ils soient associés à sa mission, au moins, il sait à qui il a à faire ! Jésus a déjà vu leurs limites, il a compris que ça ne sera pas simple tous les jours mais ça ne change rien à sa décision. Parce que des gars qui passent toute une nuit à la pêche sans rien prendre et qui n’abandonnent pas, c’est un sacré signe, c’est vraiment des gars comme eux qu’il lui faut ! 

Et, à travers la promesse faite à Pierre, c’est à tous les autres que Jésus s’adresse : « Sois sans crainte, désormais ce sont des hommes que tu prendras. » Vous êtes-vous déjà interrogés sur le sens de cette expression : devenir pêcheurs d’hommes ou prendre des hommes. Est-ce que c’est une expression très positive ? Les poissons quand ils sont pêchés, ils meurent et finissent grillés !

Quelle perspective pour une mission ! Oui, c’est vrai, un poisson, quand vous le sortez de l’eau il meurt parce que l’eau, c’est son milieu naturel. Mais si Jésus a gardé cette image de la pêche, c’est pour dire que l’eau, ce n’est pas du tout le milieu naturel de l’homme … je ne parle pas d’un bon bain de mer ! Sortez un poisson de l’eau, il meurt, sortez un homme de l’eau, il vit. Surtout que pour les hébreux, la mer n’avait aucune connotation positive, c’était le siège des forces du mal. En marchant sur les eaux, Jésus montrera qu’il domine les forces du mal. Pêcheurs d’hommes, c’est donc une mission exaltante, c’est permettre aux hommes de devenir des vivants. C’est sans doute pour cela que la tournure grecque est si étonnante. Littéralement, Jésus dit à Simon : désormais ce sont des hommes vivants que tu prendras. On pourrait sans doute traduire : désormais ce sont des hommes que tu prendras pour les rendre plus vivants. Derrière cette parole étonnante, nous pouvons en deviner une autre, comme écrite en filigrane : je suis venu pour que les hommes aient la vie et la vie en abondance. C’est pour accomplir cette mission de Salut qu’aujourd’hui, comme hier, Jésus appelle. Si ta passion c’est de rendre les hommes plus vivants, Jésus t’appelle et il saura faire avec ton mauvais caractère comme il a su faire avec celui de Simon !

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