21 septembre : fête de St Matthieu.  « Miserando atque eligendo »

Tout au long de l’Evangile, les choix de Jésus sont vraiment déconcertants, mais comme étaient déjà déconcertants les choix de Dieu dans le Premier Testament. Rappelons-nous le choix de David. Quand le prophète est envoyé chez le vieux Jessé parce que l’un de ses fils a été choisi comme roi pour succéder à Saül, Jessé amène en 1° le plus fort, celui qui présente le mieux, mais ce n’est pas lui qui a été choisi ! Ni le suivant, d’ailleurs, qui, lui aussi, avait fière allure, ni encore les suivants, c’est sur le petit dernier, David, un rouquin, un peu mis à part dans la famille, semble-t-il, que le choix de Dieu s’est porté. Avec ses choix déconcertants, Jésus est donc le digne Fils de son Père, mais ne dit-on pas : tel Père, tel fils ? C’est ainsi que la fête de St Matthieu va nous mettre devant l’un de ces choix extrêmement déconcertants de Jésus.

Moi, quand j’entends le récit de l’appel de Lévi-Matthieu, j’ai tout de suite, devant les yeux le fameux tableau du Caravage représentant cet appel, tableau que l’on peut voir à l’église St Louis des Français à Rome. Vous pourrez le regarder sur internet. Sur ce tableau, on voit bien que Matthieu n’arrive pas à croire que Jésus puisse l’appeler, lui, le collecteur d’impôts. Comment peut-il le choisir, lui qui, à l’image de Zachée n’était aimé par personne en raison de son métier qui lui faisait récolter l’argent des juifs pour le donner à l’occupant romain avec au passage une taxe sévère qui était prélevée pour que les collecteurs puissent bien vivre ! Ce tableau du Caravage montre l’étonnement de Matthieu devant Jésus qui le désigne du doigt, comme pour mieux lui dire : suis-moi ! Alors, très finement, Le Caravage nous montre Matthieu cherchant une confirmation auprès de Jésus en se montrant du doigt, comme pour lui dire : tu es sûr que tu ne t’es pas trompé en me montrant du doigt, en m’appelant à faire partie de tes apôtres ? Tu es bien sûr que c’est moi que tu veux ? Regarde qui je suis, quel métier je fais, tu ne sais donc pas que je suis rejeté par tous ? On sent bien devant ce tableau que Matthieu pense que Jésus doit faire erreur ! Ça, c’est l’interprétation du grand artiste qu’est Le Caravage.

Dans le texte d’Evangile, ce n’est pas Matthieu qui est étonné, mais ce sont les scribes et les pharisiens. Ce n’est pas dit dans le texte, mais il est bien possible que les autres apôtres aient été, eux aussi, déconcertés pour ne pas dire révoltés par le choix de Jésus. Zeffirelli quand il écrira le scénario de son magnifique film « Jésus de Nazareth » imaginera que Pierre devait une grosse somme à Matthieu, qu’il avait des impôts en retard et que Matthieu harcelait Pierre à chaque fois qu’il passait devant son bureau de change. Pourquoi pas ! Et si c’était le cas, on imagine facilement ce que l’appel de Matthieu a provoqué au sein du groupe des apôtres. 

C’est ce qui va obliger Jésus à mettre les points sur les i : « Ce ne sont pas les gens bien portants qui ont besoin du médecin, mais les malades. Je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs. » Et j’ai envie de rajouter que Jésus est toujours dans les mêmes dispositions ! J’aime citer cette parole qu’on trouve au chapitre 13 de la lettre aux Hébreux : Jésus est le même hier, aujourd’hui et à jamais. (Hb 13,8) C’est-à-dire qu’il n’a pas changé ! Ses manières de faire, il y a 2000 ans restent ses manières de faire aujourd’hui. Alors, si jamais nous n’avions pas encore compris pourquoi il nous a appelés, nous qui ne sommes pas meilleurs que les autres, à devenir ses amis, ses disciples nous avons là, une partie de l’explication : il nous a choisis parce qu’il n’est pas venu appeler des justes, mais des pécheurs.

Si je souligne cela, ce n’est pas pour nous rabaisser, mais pour nous aider à nous tenir dans la gratitude. En effet, la gratitude doit naitre de cet émerveillement : comment est-ce possible que tu aies pu vouloir avoir besoin de moi, de moi qui suis un vrai pauvre ? Rappelons-nous les paroles de pape Benoit XVI au jour de son élection qui traduise le même étonnement « Après le grand Pape Jean Paul II, Messieurs les Cardinaux m’ont élu moi, un simple et humble travailleur dans la vigne du Seigneur. Le fait que le Seigneur sache travailler et agir également avec des instruments insuffisants me console et surtout, je me remets à vos prières. » Quelle merveilleuse parole d’humilité ! Si Benoit XVI a su reconnaître qu’il était un instrument insuffisant, nous pouvons aussi le reconnaitre, nous aussi ! Mais quoiqu’instruments insuffisants, Jésus nous a choisis, nous pouvons nous tenir dans la gratitude et ne jamais nous prendre pour ce que nous ne sommes pas !

Dans cette perspective, il est bon de citer la devise du pape François , je ne sais pas si vous la connaissez, en latin, elle dit : « Miserando atque eligendo » cette devise est une citation d’un Père de l’Eglise, Bède le Vénérable, tirée d’un commentaire de cet Evangile de l’appel de Matthieu. Bède le Vénérable a dit : « Miserando atque eligendo »qu’on traduit souvent par : choisi parce que miséricordié. Matthieu a été choisi par Jésus et ce choix atteste de la miséricorde du Seigneur à son égard car sa vie n’avait quand même pas été extraordinaire jusque-là ! Le pape François a choisi cette devise en expliquant que sa vocation remonte à un jour où, adolescent, il était allé se confesser. Et c’est à la sortie du confessionnal qu’il a eu la certitude que le Seigneur l’appelait à devenir prêtre. Il était appelé parce que miséricordié, et c’est bien vrai puiqu’il venait juste de recevoir la miséricorde … or s’il venait de recevoir la miséricorde, c’est parce qu’il était pécheur ! C’est fou cet amour du Seigneur pour les pécheurs ! Un amour qui se manifeste à chaque page de l’Evangile et qui continue de se vérifier dans l’histoire de l’Eglise. Ces citations des deux derniers papes l’attestent et s’il fallait une preuve supplémentaire, nous pourrions nous référer à notre propre appel, à tous. En effet, il faut que nous en soyons bien conscients : nous sommes tous appelés à une mission particulière, il n’y a pas que les prêtres, les religieux ou religieuses qui sont appelés, nous sommes tous appelés à tenir la place que le Seigneur nous donne, à remplir la mission qu’il nous confie : que ce soit au sein de la famille, de la paroisse, au travail ou dans les loisirs. Là où nous sommes, le Seigneur compte sur nous pour que nous devenions ses témoins. Eh bien, le fait que le Seigneur compte sur nous manifeste bien qu’il aime toujours autant les pécheurs et qu’il sait comment faire avec les instruments insuffisants que nous sommes !

Alors, évidemment, ça va sans le dire, mais ça va encore mieux en le disant, ce que le Seigneur aime chez les pécheurs, ce n’est pas le péché, mais c’est l’humilité dans laquelle doit nous tenir la conscience de notre péché. Comme le dit le psalmiste : Moi, mon péché, je le connais, ma faute est toujours devant moi. (Ps 50,5) J’avais lu un jour, que les premiers papes avaient mis dans leur emblème un coq pour qu’ils n’oublient jamais leur fragilité puisqu’ils sont les successeurs de Pierre qui a renié son Seigneur après lui avoir pourtant promis d’être fidèle jusqu’à la mort ! Je trouve cela vraiment très beau. 

Nous pourrions nous en inspirer, nous aussi, pour rester dans l’humilité, une humilité confiante. Je ne sais pas si vous savez que Blaise Pascal, le grand philosophe, avait fait coudre dans le revers de sa veste le texte du fameux mémorial qui raconte le moment de son illumination, cette nuit de feu, cette rencontre éblouissante avec le Seigneur qui a fait basculer sa vie. Ce papier sur lequel il a écrit ce qui s’est passé, il l’a donc fait coudre dans le revers de sa veste pour ne jamais oublier ce que le Seigneur lui avait donné de vivre. Des témoins racontaient qu’à certains moments où sa foi devait être plus difficile, il caressait le revers de sa veste comme pour actualiser les bienfaits de cette visite du Seigneur. Je ne sais pas ce qu’il faudra nous faire coudre dans le revers de notre veste ou garder dans notre poche, peut-être notre dernière liste de péchés ! Le but serait que, jamais nous ne puissions jamais oublier que « Miserando atque eligendo » c’est-à-dire que nous avons été choisis parce que le Seigneur est venu appeler non pas les justes ou ceux qui se croient justes, mais ceux qui ont l’humilité de reconnaitre qu’ils sont pécheurs pardonnés et qu’ils restent et resteront toujours des instruments insuffisants.

Ne l’oublions jamais, particulièrement les jours où notre médiocrité nous accable, rappelons-nous que le Seigneur aime les pécheurs, il n’aime pas le péché, il aime les pécheurs et n’a pas peur de les appeler. Que notre médiocrité ne nous accable donc jamais mais qu’elle nous tourne vers Celui qui ne se fatigue pas de faire miséricorde. Aux jours de réussite, ne l’oublions pas non plus ! Quand nous avons l’impression que rien ne nous résiste soyons bien convaincus que nous sommes et resterons des instruments insuffisants et que tout ce que nous réussissons, nous le réussissons parce que sa grâce nous accompagne. Notre Dame de Laghet garde-nous dans cette humilité confiante.

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