Il y a quelques années, j’ai pu participer à une retraite à La Flatière qui était prêchée par le Cardinal Barbarin pour des prêtres. Le père Jean-François m’avait demandé, avec un autre confrère d’assurer l’accueil spirituel des prêtres. J’en ai évidemment profité pour écouter ses enseignements car le cardinal est un très bon exégète. D’ailleurs maintenant qu’il n’a plus de charge pastorale, entre autres missions, il est redevenu professeur de séminaire pour enseigner l’Ecriture Sainte qu’il aime tant.
J’ai retenu ce qu’il avait dit au début de l’enseignement qu’il faisait sur le Magnificat. Il avait expliqué que la traduction liturgique française avait assez mal rendu le texte, pour que nous en soyons convaincus, il nous renvoyait à la version latine qui a d’ailleurs donné son nom au chant de Marie. En latin, on dit : Magníficat ánima méa Dóminum, c’est pour cela que le chant de Marie s’appelle le Magnificat. Mais en latin, dans le mot magnificat, il y a le mot magnus qui veut dire grand. Ce qui signifie que Marie, quand elle rencontre Elisabeth et qu’elle entonne son chant d’action, de grâce, la 1° parole qui lui vient sur les lèvres, c’est pour dire que « son âme chante que Dieu est grand. » Tiens, tiens, « Dieu est grand », c’est la proclamation qu’on entend 5 fois par jour dans les hauts-parleurs des mosquées, mais eux, ils ne le disent pas en latin, ils le disent en arabe : Allahu akbar. Ce qui veut dire que, sans le savoir, quand les musulmans lancent leur cri de foi, en fait, ils ne font que reprendre les premières paroles du Chant de Marie. C’est à la fois très étonnant et très beau ! Très beau, parce que, c’est sûr, nous pouvons difficilement parler de Jésus avec les musulmans. Certes, ils le considèrent comme un prophète, mais ce n’est pas simple d’avoir un dialogue en profondeur avec eux sur Jésus.
Par contre, avec eux, nous pouvons facilement parler de Marie qu’ils appellent Maryam. Ce que je viens de dire, ils ne le savent pas, ils ne savaient pas que leur cri de foi est la reprise des paroles de Marie. Moi, dans les rencontres que j’avais, une fois par an, pendant le ramadan, avec les musulmans dans ma paroisse, je leur ai expliqué. Mais j’ai été délicat, je ne leur ai pas dit qu’ils avaient copié les paroles de Marie, je leur ai dit que Marie et eux avaient le même cri de foi émerveillé devant Dieu. Oui, Marie peut vraiment devenir un pont qui nous permet d’avoir un dialogue avec eux.
Chez vous, j’imagine que ce dialogue est très important puisque les musulmans sont plus que majoritaires, mais chez nous aussi, ça devient urgent tellement le nombre des musulmans a grandi et l’incompréhension s’est installée, surtout avec la jeune génération. Quand on s’engage dans un dialogue et que l’on sait que ce dialogue va être difficile, souvent, on fait appel à un médiateur. Eh bien, dans notre dialogue avec les musulmans, Marie peut devenir cette médiatrice, ce pont qui nous aidera à nous rencontrer et peu à peu à mieux nous comprendre.
Je viens de parler du cri de foi de Marie qu’ils ont repris. Mais vous savez sans doute que, dans le Coran, le nom de Marie, c’est à dire bien plus que dans tout le Nouveau Testament. Il y a une sourate presque entière, la sourate 19, qui est consacrée à Marie, on l’appelle d’ailleurs dans l’Islam la « sourate de Marie ». Dans tout le Coran, aucune autre femme n’est nommément citée : ni la mère du prophète, ni son épouse, ni sa fille. Par contre de Marie, il est dit, entre autres choses : qu’elle a reçu « bonne nouvelle » d’une « parole » lui venant de Dieu (3, 45), qu’elle est donc devenue enceinte sans concours d’homme « sous l’action de l’esprit de Dieu. » Vous voyez donc à quel point Marie est importante et peut devenir cette médiatrice.
D’ailleurs, en 630, lorsque Mahomet détruisit les images des idoles, car pour lui, toutes les représentations dans les églises étaient des représentations d’idoles, il prit une icône de Marie dans ses mains en disant aux émissaires qu’il envoyait pour accomplir ce travail « Effacez toutes les peintures, exceptée celles qui représente la femme que protègent mes mains. » Etonnant !
Et puis il n’y a pas que dans le Coran que Marie tient une grande place, dans la vie des musulmans aussi, surtout pour les femmes. Je me rappelle, il y a quelques années, je faisais un pèlerinage en Turquie et on avait visité à Ephèse ce qu’on appelle la maison de la Vierge, cette maison dans laquelle St Jean aurait recueilli Marie. Eh bien, j’avais été frappé par le nombre de femmes musulmanes qui venaient visiter et prier dans cette maison. À Lourdes, selon les responsables du sanctuaire, les musulmans représentent 5% des pèlerins. Sur 6 millions de personnes qui passent chaque année, ça commence à faire pas mal de monde, 5% ! L’archevêché de Lyon était juste en face de la basilique de Fourvière, une basilique qui domine la ville et qui est dédiée à Marie. Il n’est plus ici, désormais. Le cardinal Barbarin nous racontait aussi qu’il lui arrivait donc souvent de traverser la route pour aller se recueillir ou célébrer dans la basilique. Comme il était très connu à Lyon pour être un ami des musulmans, grâce aux relations très fraternelles qu’il entretenait avec le Président Régional du Culte Musulman, eh bien, des femmes qui portaient un bébé dans leurs bras l’arrêtaient souvent en disant : Mr le Cardinal, bénissez notre enfant que nous sommes venus présenter à Maryam ! Alors, il bénissait, sans invoquer le nom de Jésus, sans faire de signe de croix pour les respecter, mais il imposait les mains et invoquait le Dieu Tout-Puissant, très miséricordieux. Vous voyez encore combien Marie peut être cette médiatrice entre nous.
Enfin un dernier indice de la place de Marie dans l’Islam et donc de la mission de pont qu’elle peut jouer dans le dialogue islamo-chrétiens, c’est ce qui s’est passé au Liban. Vous savez que le Liban est une nation dans laquelle il est nécessaire de respecter en permanence un difficile équilibre entre principalement les chrétiens et les musulmans. On ne sait pas si ça va encore être possible très longtemps, le pays est plongé dans une telle crise depuis pas mal de temps, crise renforcée encore par la terrible explosion. Il y a une bonne dizaine d’années, ils ont cherché à trouver une date qui convienne à tout le monde, toutes les religions, pour fixer le jour de la fête nationale. Eh bien, c’est le jour de la fête de l’annonciation qui a été retenu, ce qui signifie que, seule Marie, pouvait mettre tout le monde d’accord !
Dans ces jours qui nous séparent de Noël et puisque l’occasion nous en est donnée avec ce chant du Magnificat, confions à Marie nos relations avec les musulmans, ici chez vous où la cohabitation semble se passer assez bien, mais aussi partout où elle est difficile quand ce n’est pas impossible ! Parce que, s’il y a une chose qui est sûre, c’est que Jésus a été envoyé par le Père pour sauver tous les hommes, y compris les musulmans. Jésus dira : « La volonté de mon Père, c’est que je ne perde aucun de ceux qu’il m’a donnés. » Parmi ceux qui ne doivent pas être perdus, mais sauvés, il y a les musulmans. Que Marie joue son rôle de médiatrice pour qu’un jour nous puissions chanter ensemble que Dieu est grand.
AMEN ! AMEN ! AMEN !