La fête de St Marc, célébrée samedi, ne nous a pas permis d’entendre la 1° lecture prévue pour le samedi de la 2° semaine de Pâques, lecture qui racontait l’institution des diacres. Je le dis parce que, aujourd’hui, nous sommes déjà dans les événements qui annoncent le martyr d’Etienne que nous lirons demain, mais comme demain, je vous parlerai de St Pierre Chanel, il me faut récupérer samedi et anticiper demain !
L’institution des diacres, vous le savez, va être rendue nécessaire par une difficulté de la vie de la communauté de Jérusalem, une difficulté qui montre bien que la résurrection du Christ et le don du St Esprit n’ont pas tout réglé. Je crois vous avoir déjà partagé cette boutade de Luther qui disait, avec son langage direct, que le baptême avait noyé le vieil homme, mais le problème, c’est que, le salaud, il savait nager ! Eh bien, nous en avons une illustration avec ce qui a conduit à la nécessité d’instituer des diacres : c’est un problème de discrimination raciale. Les veuves de langue grecque étaient moins bien traitées que les veuves de langue hébraïque. Pour remédier à ce scandale, les apôtres vont donc instituer un service de la charité en choisissant des hommes d’origine grecque, chargés d’organiser cette charité de manière équitable et c’est ainsi qu’ils deviendront les premiers diacres. Dans le climat, devenu très vite difficile, où les apôtres étaient sans cesse arrêtés, normalement, ces diacres ne risquaient rien puisqu’ils étaient affectés à un service interne. Or, ils ont à peine été institués qu’Etienne deviendra le premier martyr, comment le comprendre ?
Eh bien, l’explication nous est donnée dans le 1° verset de la lecture d’aujourd’hui : « Étienne, rempli de la grâce et de la puissance de Dieu, accomplissait parmi le peuple des prodiges et des signes éclatants. » Mais comment ça se fait qu’il accomplissait ces signes et prodiges alors qu’il avait été affecté à l’organisation de la charité, en interne ? En plus, selon les reproches qui lui sont faits à la fin du texte, il semble qu’il prêchait assez régulièrement. Est-ce que ça veut dire que cette mission d’organiser la charité ne lui plaisait pas et que, très vite, il l’avait abandonnée pour s’en donner une plus honorifique qui lui permettrait d’être plus en vue ? Evidemment non ! Il me semble qu’il y a deux explications possibles.
- La première explication que je donnerai est la suivante : c’est dans l’exercice de la charité, qu’on voit s’épanouir les belles personnalités. Je crois vraiment que l’exercice de la charité permet un épanouissement plus rapide des charismes cachés. Dans la mission reçue, Etienne a montré de belles qualités, du coup, très vite, il a été mis en situation de devoir donner beaucoup plus et c’est pour cela qu’on le retrouve prêchant et accomplissant des signes et des prodiges.
- La deuxième explication complémentaire, c’est que, pour exercer ce service de la charité, il faut une belle générosité. Du coup, Etienne, quand il avait fini son job, ne disait pas : j’ai fait ce que je devais faire, pour le reste, que les autres se débrouillent, ce n’est plus mon problème ! Etienne devait être un homme qui aimait se donner, son regard ne devait pas être fixé sans arrêt ni sur le sablier (puisqu’à l’époque il n’y avait pas de pendule. !), ni sur sa feuille de route pour être bien sûr de ne pas en faire trop !
Pour moi, tout cela est une merveilleuse illustration d’une très belle parole du curé d’Ars qui disait : « On reconnait les amis du Bon Dieu au fait qu’ils font ce qu’ils ne sont pas obligés de faire. » C’est presque naïf comme parole, mais c’est tellement profond ! Faire ce que je dois faire, c’est normal, faire ce que je ne suis pas obligé de faire, ça commence à devenir de l’amour. C’est un exemple qui peut devenir stimulant dans la vie communautaire à condition de garder une double vigilance.
- 1/ Il ne s’agit pas d’empiéter sur la mission des autres, mais de repérer ce que personne ne fait et de le faire dans un acte de pure gratuité, c’est à dire sans faire sonner le tambour pour que tout le monde se rende bien compte que c’est moi qui l’ai fait !
- 2/ Il ne s’agit pas non plus de faire tout ce que les autres ne font pas et d’oublier de faire ce que je dois faire, c’est-à-dire mon devoir d’état. Je le voyais bien quand j’étais vicaire général, parmi les prêtres, il y en a toujours qui étaient très forts pour être là où ne leur demandait pas d’être et qui étaient bien trop peu présents et agissants là où on les avait envoyés !
Venons-en à l’Evangile. « Que nous faut-il faire pour travailler aux œuvres de Dieu ? » Voilà une belle question qui prolonge bien ce que je viens de dire, c’est la question que posent des cœurs généreux : Seigneur, qu’est-ce que je peux faire pour travailler pour toi ? Si la question nous rejoint, la réponse doit donc être écoutée avec attention d’autant plus qu’elle est assez déconcertante. Vous aurez remarqué que, dans sa réponse, Jésus passe du pluriel au singulier : il ne parle pas des œuvres de Dieu, mais de l’œuvre de Dieu. Et, dans sa réponse, du moins, c’est ainsi que, moi, je l’entends, c’est comme s’il inversait les choses et disait : c’est très bien, c’est très généreux de ta part de t’interroger pour savoir comment tu pourrais travailler pour Dieu, mais il y a quelque chose de plus fondamental, de plus essentiel, c’est qu’il faut d’abord que tu te demandes : est-ce que j’accepte que Dieu travaille en moi ? A ceux qui lui demandent : « Que nous faut-il faire pour travailler aux œuvres de Dieu ? » Jésus répond : « L’œuvre de Dieu, c’est que vous croyez ! »
Pour moi, dans sa réponse, Jésus opère un véritable renversement qui lui permet de mettre en premier la foi et en second les œuvres. J’ai bien dit que les œuvres sont secondes, pas secondaires ! Mais elles devront toujours découler de la foi, c’est la grande leçon de l’épitre aux Romains sur laquelle Luther nous aura obligés à ré-ouvrir les yeux. Et ce n’est pas d’abord un débat théologique, c’est absolument vital, c’est un enjeu de chaque instant. Parce que si les œuvres ne découlent pas de la foi, on va vite se retrouver confronté à quelques difficultés. J’en cite deux qui me paraissent les plus redoutables.
- Première difficulté, on ne fera que les œuvres qu’on se sent en mesure de faire. Dans cette perspective, jamais les Foyers de Charité n’auraient vu le jour ! Comment une jeune handicapée, clouée sur son lit, pourrait-elle lancer pareille aventure ? Il a bien fallu la foi en premier, il a fallu que Marthe accepte de croire en ce que Jésus lui demandait, il a fallu qu’elle accepte de se laisser travailler par Dieu pour se rendre capable de travailler pour Dieu !
- Deuxième difficulté si les œuvres sont premières, alors l’Eglise se transforme en une ONG. Si vous lisez régulièrement ce que le pape dit, vous connaissez cette mise en garde qu’il ne cesse de faire. Et il faut vraiment entendre cette mise en garde de la bouche de ce pape qui ne cesse d’inviter l’Eglise à s’engager plus courageusement aux côtés des pauvres. Ce n’est pas du tout contradictoire, c’est seulement l’illustration de ce que je viens de dire : si nous voulons travailler pour Dieu de manière juste et que ce travail devienne un témoignage rendu à sa Gloire, il nous faut d’abord accepter de nous laisser travailler par Dieu.
Parce que, vous voyez-vous, le risque d’une ONG, même les meilleures, c’est de devoir travailler à leur auto-promotion. Les ONG, si elles veulent recueillir des fonds, il faut qu’elles soient connues et même reconnues plus performantes que telle ou telle autre. L’Eglise ne devra jamais travailler pour son auto-promotion, elle ne devra jamais être auto-référencée comme le dit le Pape. Et pour éviter ce risque, il faut se laisser travailler par Dieu afin de mieux travailler pour Dieu.