31 juillet, lundi 17° semaine ordinaire. Quelle histoire absolument dramatique que cet épisode du taurillon d’or !

C’est compliqué en ce moment de commenter les Evangiles dans les messes de semaine ! En effet, les passages que nous lisons, ces jours, dans la lecture continue que nous faisons de l’Evangile de Matthieu correspondent à ceux que nous lisons le dimanche puisque, en cette année A, nous lisons aussi l’Evangile de Matthieu. C’est sans doute un appel à consacrer plus de temps au commentaire de la 1° lecture, c’est ce que je fais très volontiers car ce sont des textes que j’ai travaillés assez récemment et qui m’ont beaucoup intéressé.

Vendredi, nous lisions le décalogue. Vous vous rappelez en quels termes ce texte fondateur commençait : « Je suis le Seigneur ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, de la maison d’esclavage. Tu n’auras pas d’autres dieux en face de moi. Tu ne feras aucune idole, aucune image de ce qui est là-haut dans les cieux, ou en bas sur la terre, ou dans les eaux par-dessous la terre. Tu ne te prosterneras pas devant ces dieux, pour leur rendre un culte. Car moi, le Seigneur ton Dieu, je suis un Dieu jaloux. » Avec le récit d’aujourd’hui, on perçoit bien que Dieu a bien fait de mettre, avec tant de précision, les points sur les « i » ou sur les iotas, ces iotas dont pas un seul ne doit disparaitre de la Loi, selon les paroles de Jésus.

Moïse n’est pas encore redescendu de la montagne où il vient de recevoir ces 10 Paroles de vie, que le peuple, trouvant que l’absence de Moïse dure trop longtemps, va opérer une régression terrible par rapport à tout ce qu’il avait pu vivre dans son compagnonnage si extraordinaire avec le Seigneur qui l’avait libéré d’Egypte, lui avait fait traverser la mer Rouge, l’avait nourri de la manne et accompagné de sa présence qui le guidait. Tout cela est oublié, on l’entend bien dans la demande qu’ils adressent à Aaron : « Fais-nous des dieux qui marchent devant nous. Car ce Moïse, l’homme qui nous a fait monter du pays d’Égypte, nous ne savons pas ce qui lui est arrivé. » Terrible parole ! Ils parlent comme si Dieu, n’avait pas marché devant eux alors qu’il était nuée, le jour, et colonne de feu, la nuit, qui les guidait. Et ils parlent de Moïse comme s’il était devenu un inconnu pour eux : Ce Moïse, l’homme qui nous a fait monter du pays d’Égypte ! Tout semble oublié ! Et ce que Dieu a fait pour eux et ce que Moïse aussi a pu faire. L’oubli, est un drame de la vie spirituelle, Dieu en fera souvent le reproche à son peuple. Du coup, on comprend que ce n’est pas un hasard si Jésus présente l’Esprit-Saint comme celui qui nous fera nous souvenir de toutes les paroles de tous les bienfaits du Seigneur. (Jn 14,26) 

Evidemment, je parle de la mémoire spirituelle, pas de l’autre mémoire qui peut nous jouer des tours sans que la mémoire spirituelle ne soit atteinte. L’importance de cette mémoire spirituelle, on la voit bien dans la parabole du père et des deux fils. Pourquoi le fils décide de revenir ? Où trouve-t-il l’énergie de se lever et de rentrer à la maison du père ? On dit souvent que c’est la faim qui va le pousser, ce n’est pas parfaitement exact ! La faim va l’obliger à rentrer en lui-même. Toutes les épreuves nous obligent à entrer en nous-mêmes, à ne plus « rester au seuil de notre âme » comme nous avons pu nous en contenter aux jours d’abondance. Mais rentrant en nous-mêmes, c’est là que la mémoire spirituelle va être déterminante. Si je peux me rappeler et si j’ai de bonnes raisons pour m’en rappeler que Dieu est bon, qu’il ne m’a jamais repoussé, alors je peux trouver l’énergie de me lever et de chercher à retrouver ses bras. Mais, si j’ai perdu cette mémoire spirituelle, il ne me reste plus beaucoup de solutions : mener une vie absurde jusqu’à ce que quelqu’un puisse me prendre par la main pour me conduire dans ces bras que je cherche sans le savoir ou bien en finir parce que tout est trop absurde. 

Dans cette 1° lecture, nous assistons en direct au drame que constitue le fait de perdre la mémoire spirituelle. Le peuple va entrer dans un grand n’importe quoi et, hélas, il ne trouvera pas en Aaron un guide digne de son nom. En effet, c’est lui qui va proposer de fondre de l’or et ce qu’il dit ensuite est tellement étonnant : Ils m’ont donné leur or, je l’ai jeté au feu, et il en est sorti ce veau. On a quand même du mal à croire à sa version, il jette de l’or en morceaux, en pièces, dans le feu et cet or s’agglutine pour former, comme ça, la forme d’un veau. Soit il ment pour essayer de se disculper autant qu’il le peut, mais il ne sait vraiment pas mentir parce que c’est trop gros, soit il dit vrai et alors, ce qui s’est passé est proprement diabolique.

En effet, le mot hébreu qui est utilisé, ici, semble désigner un jeune taurillon. Je l’ai souvent dit, je ne connais pas l’hébreu, mais je fais confiance à ceux qui le connaissent ! Vous vous rendez compte, la représentation de Dieu qui sort de ce feu, c’est un jeune taurillon, voilà l’image qu’ils ont de Dieu ! Pourquoi la nuance est importante ? Eh bien, parce que le taureau va revêtir une double caractéristique.

  • D’abord, il faisait partie des dieux qu’adoraient les Egyptiens. J’ai cherché sur Wikipédia ! Dans l’Egypte antique, le taureau était le symbole de la force physique, de la fertilité et de la puissance sexuelle, on trouve des traces de sa vénération sur les gravures rupestres préhistoriques et des Temples lui sont dédiés. La queue d’un taureau était même l’un des attributs du pharaon, elle était attachée à la ceinture du roi pour lui offrir la puissance de l’animal sacré. Quelle régression ! Ayant perdu la mémoire spirituelle, ils retournent en Egypte ! Ils y retourneront souvent quand ils regretteront les marmites d’oignons ! Nous aussi, à chaque fois que nous perdons la mémoire spirituelle, nous retournons dans nos Egyptes, ces Egyptes dont le Seigneur nous avait pourtant permis de nous éloigner en nous libérant, en faisant tout ce qu’il fallait pour que nous ne soyons plus des esclaves.
  • Et puis, le taureau, c’est le symbole d’une puissance, mais une puissance dévastatrice. Il y a souvent des dégâts dans les férias quand de jeunes taureaux sont lâchés ! Et plus ils sont jeunes, plus ils sont puissants et fous, c’est cette représentation qui sort du feu ! Cela signifie que le peuple a, sans doute, conscience de la puissance de Dieu, mais, pour eux, cette puissance se manifeste de manière arbitraire et destructrice. Cette puissance ils l’ont vue à l’œuvre, il y a peu de temps, quand Dieu leur avait permis de passer la mer à pieds secs. Cette puissance s’était révélée favorable à leur égard, mais défavorable à l’égard des Egyptiens … alors, ils s’interrogent : et si un jour cette puissance se retournait contre nous ? Et si Dieu changeait de camp ? Il faudra du temps pour comprendre que, par l’Alliance, Dieu s’est fait l’Allié de son peuple et que jamais il ne changera de camp et il faudra aussi du temps pour comprendre que cette toute-puissance est une toute-puissance d’amour ! Dieu n’est pas un taurillon fou, mais un Père plein d’amour.

On comprend que Dieu interdira formellement toute représentation de lui car toutes les représentations sont infirmes. Du moins toutes ces représentations seront interdites tant que Jésus n’aura pas brossé ce portait référence, grandeur nature, le seul pour lequel, selon les mots du père Baudiquey, Dieu aura accepté de prendre la pose, je parle de la parabole du Père et des deux fils. Et même après, l’Eglise restera toujours prudente et vigilante sur les représentations de Dieu.

Un dernier mot pour expliquer cette parole qui qualifie de Dieu comme jaloux. Je crois l’avoir déjà fait, mais la répétition n’est jamais mauvaise ! La jalousie, nous le savons fait partie des 7 péchés capitaux, alors comment Dieu peut-il être jaloux ? Eh bien parce qu’il y a une énorme différence entre la jalousie de Dieu et celle des hommes. C’est le père Cantalamessa qui m’a aidé à le comprendre. Chez l’homme ou la femme, la jalousie, c’est l’expression d’une faiblesse : ils craignent qu’un (ou une) qui soit meilleur qu’eux ne vienne leur enlever le ou la bien-aimée. Le jaloux craint donc pour lui de se retrouver seul et cette peur maladive peut conduire jusqu’à tuer le concurrent, et il y a tant de manière de réduire à néant quelqu’un ! Alors que la jalousie de Dieu exprime exactement l’inverse ! Dieu ne craint pas pour lui, mais pour nous ; il ne craint pas parce qu’il serait faible sans nous, mais il craint car il connait notre faiblesse sans Lui. Et c’est donc parce qu’il craint pour ce que nous risquons de devenir sans lui qu’il interdit le prosternement et le service des autres dieux, des faux dieux. En effet, dès qu’on sert d’autres dieux, des idoles (car il n’y a pas d’autres dieux, sinon ceux que nous nous fabriquons !) ces idoles que nous servons finiront toujours pour nous asservir. C’est la grande différence entre Dieu les idoles. Une hymne du bréviaire le dit : servir Dieu rend l’homme libre comme lui alors que servir les idoles asservit. Si vous voulez savoir comment s’exprimera la jalousie de Dieu, relisez le psaume qu’on a, à l’office des lectures, le mardi matin de la 3° semaine, il dit la puissance que Dieu veut déployer pour nous sortir de nos esclavages

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