34° Dimanche : fête du Christ Roi

Je ne sais pas comment vous réagissez quand vous entendez ce texte d’Evangile bien connu qu’on appelle le jugement dernier. Une question qui peut vite se poser et qui peut aussi vite devenir angoissante, c’est la suivante : de quel côté, le roi va-t-il me demander d’aller ? Du côté des brebis ou du côté des boucs ? Oh bien sûr, nous avons quand même un certain nombre de bonnes actions en réserve, tous, d’une manière ou d’une autre, nous avons aidé des pauvres, visité des malades et souvent, nous avons su le faire dans la discrétion, sans chercher à nous glorifier du bien que nous faisions.

Seulement voilà, nous ne faisons pas que du bien, ou plutôt nous ne faisons pas toujours tout le bien que nous pourrions faire, nos péchés les plus réguliers et les plus graves sont finalement des péchés par omission. Alors, la 2° sentence du Roi nous fait froid dans le dos : « chaque fois que vous ne l’avez pas fait à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous ne l’avez pas fait. » Alors, comment va-t-il s’y prendre, le Roi, pour déterminer de quel côté nous serons ? Est-ce qu’il va faire l’addition de toutes nos bonnes actions et l’addition de toutes nos omissions pour voir de quel côté penchera la balance et déterminer ainsi notre sort éternel ?

Personnellement, je ne peux pas imaginer un seul instant que Jésus ait raconté cette parabole pour nous plonger dans l’angoisse permanente de notre salut éternel. Ça serait un peu comme si nous nous sentions forcés à faire du bien, non pas pour faire du bien à ceux qui en auraient besoin, mais pour être sûrs de ne pas aller griller en enfer ! Le bien n’a de valeur que s’il est fait par amour et amour désintéressé, sans calcul. Si nous ne faisons du bien que pour être sûrs de nous retrouver du bon côté, ce bien est extrêmement égoïste donc sans valeur. Jésus n’a pas raconté cette histoire pour nous faire peur, Jésus n’a jamais cherché à faire peur, il est venu pour annoncer l’Evangile, or le mot Evangile vient du grec et signifie bonne nouvelle, il nous faut donc chercher quelle est la bonne nouvelle contenue dans cette histoire que Jésus raconte. 

Et puis, de toutes façons, Jésus n’a jamais agi comme il est dit dans l’histoire, il n’a jamais condamné personne à perpétuité ! A plusieurs reprises, il va prononcer des paroles comme : « Je ne suis pas venu pour condamner le monde mais pour le sauver. » ou encore : « La volonté de mon Père, c’est que je ne perde aucun de ceux qu’il m’a donnés. » Et tout cela, juste avant de mourir, il va montrer que ce ne sont pas que des paroles ; à ce bandit qui lui demande de se souvenir de lui, Jésus dit : « aujourd’hui-même, tu seras avec moi en paradis. » Mais alors, si Jésus, et Dieu le Père avec lui, veulent que nous soyons sauvés, pourquoi a-t-il raconté cette histoire finalement assez inquiétante ? Eh bien, il me semble qu’il y a plusieurs raisons pour cela.

1° raison, Jésus a voulu nous faire prendre conscience que faire du mal, c’est grave ou plutôt que de ne pas faire tout le bien que nous pouvons, c’est grave. Les pauvres, les malades, ce ne sont pas des pourcentages, des statistiques, ce sont des personnes qui souffrent et meurent sans que ça n’inquiète ceux qui sont à l’abri de la nécessité. Et pour bien nous faire comprendre qu’un être humain, chaque être humain, est très important, il s’identifie à chacun. Ce que vous avez fait ou ce que vous n’avez pas fait à ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait ou pas fait. Faire du mal, ne pas faire suffisamment de bien, c’est grave, c’est ce que Jésus veut nous faire comprendre en racontant cette histoire qui vient nous réveiller et nous inviter à sortir d’une trop bonne conscience dans laquelle nous pouvons vite nous installer en pensant que si tout le monde faisait déjà autant de bien que moi, ça serait déjà pas mal ! Cette histoire, Jésus la raconte donc pour nous réveiller et, comme pour nous dire : si le roi du monde te traitait comme tu traites les autres, ça serait terrible pour toi !

Je voudrais souligner encore une 2° raison pour laquelle, il me semble que Jésus a voulu raconter cette histoire. Il a aussi voulu souligner qu’il y a beaucoup de bien qui se fait. Oui, c’est vrai qu’il y a beaucoup d’indifférence dans le monde, mais il n’y a pas que de l’indifférence. On serait étonné de voir tout le bien qui se fait chaque jour si on arrivait à faire la liste de tous ceux qui, chaque jour, font quelque chose de bien, de bon pour des personnes qu’ils connaissent ou ne connaissent pas. Et ces personnes qui font du bien, elles ne sont pas toutes chrétiennes, elles seront sûrement étonnées de voir, en comparaissant devant le Roi du monde, que c’est à lui qu’elles faisaient du bien dans tous leurs gestes de fraternité, de solidarité. Du coup, elles regretteront sûrement de ne pas en avoir fait plus, de ne pas avoir fait tout ce qu’elles auraient pu faire. Parce que c’est vrai, en matière de générosité ce qui compte, ce n’est pas de savoir ce que nous donnons, mais ce que nous gardons. La somme que nous donnons, pour évaluer sa valeur, il faut toujours la mettre en rapport avec ce que nous gardons. Je deviens généreux non pas quand je donne beaucoup, mais quand ce que je garde n’est pas démesuré par rapport à mes besoins. Si tout le monde raisonnait ainsi, le monde serait tellement plus beau !

Enfin, je veux souligner une 3° raison pour laquelle Jésus a raconté cette histoire. Dans cette histoire, Jésus nous annonce une bonne nouvelle extraordinaire : le mal ne franchira pas les portes de l’éternité. Finalement, dans ce jugement dernier, le Roi du monde ne va pas faire le tri entre les bons et les méchants car personne n’est totalement bon, comme personne, d’ailleurs, n’est totalement mauvais. Le Roi du monde, c’est dans nos cœurs qu’il va faire le tri un peu comme un chirurgien qui vous enlève une méchante tumeur pour qu’elle ne vienne plus vous empêcher de vivre. Passer entre les mains du Roi du monde au moment du jugement dernier, c’est comme passer entre les mains du grand chirurgien de l’amour qui ne veut pas que nous gardions en nous la trace et les conséquences du mal que nous avons pu faire. Tout au long de notre vie nous nous sommes battus avec le désir de faire le bien sans toujours le faire assez, c’est ce que disait St Paul dans cette formule célèbre : « le bien que je voudrais faire, trop souvent, je ne le fais pas et le mal que je ne veux pas faire, trop souvent, je le fais. » Eh bien, la bonne nouvelle, c’est que, dans l’éternité, ce combat, il sera fini. Passant entre les mains du grand chirurgien de l’amour, nous serons débarrassés de tout le mal que nous avons fait, des conséquences négatives du bien que nous n’avons pas assez fait.

Je crois qu’il y a, dans le texte, un détail qui nous invite à le lire de cette manière. Nous spontanément, dans la 2° partie, nous pensons que le Roi qui rejette les mauvais leur dit : « Allez-vous-en loin de moi, vous les maudits, dans le feu éternel préparé pour vous ! » Or ce n’est pas ce que dit le Roi, il dit : « Allez-vous-en loin de moi, vous les maudits, dans le feu éternel préparé pour le diable et ses anges. » C’est bien le mal que le Roi du monde veut supprimer en jetant enfin dans feu éternel le diable et tous ceux qui sont à service. Le Seigneur nous promet bien que le mal ne franchira pas les portes de l’éternité, il nous annonce que ce ne sont pas les pécheurs qui seront condamnés mais que c’est le mal et le malin qui seront condamnés. Nous, nous serons purifiés pour que nous puissions goûter pleinement l’éternité d’amour à laquelle nous sommes appelés, eux, le mal et le malin, ils seront supprimés. Quelle bonne nouvelle !

Je termine en soulignant rapidement deux points qui me semblent importants.

Peut-être que certains se disent : mais avec une telle manière de lire ce texte, est-ce que, finalement, nous ne risquons pas de prendre à la légère le jugement dernier et ne pas faire tout ce que nous devrions faire pour collaborer à notre Salut ? Je ne crois pas ! D’abord, je l’ai dit, Jésus raconte cette histoire qui a, quand même, un ton un peu violent pour nous dire que le mal est grave, que ne pas faire tout le bien que nous pouvons, c’est grave. Et puis, si on a compris que le jugement dernier, c’est passer entre les mains du grand chirurgien de l’amour, alors nous allons essayons de lui faciliter la tâche. Au passage, on peut dire que l’image de l’opération qui vise à nous débarrasser de la tumeur du mal, c’est une belle image pour parler du purgatoire. Si donc le jugement, c’est comme cette opération, nous prenons conscience qu’il serait bien de faciliter la tâche du grand chirurgien de l’amour en ne laissant pas cette tumeur proliférer en nous. Du coup, nous ne ferons plus le bien de manière égoïste pour assurer notre salut éternel mais par véritable amour de nos frères et aussi par amour du Seigneur pour ne pas lui compliquer la tâche quand nous passerons entre ses mains.

Enfin, ce texte nous l’avons lu, juste avant d’entrer dans le temps de l’Avent, ce temps qui va nous préparer à Noël, ce grand mystère qui dit justement que Dieu a tant aimé le monde qu’il a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger et condamner le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. Quelle chance nous avons d’avoir un tel Roi de la terre et du ciel ! La prise de conscience de cette chance doit nous encourager à évangéliser pour, justement, faire partager cette chance.

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