Nous commençons aujourd’hui la lecture du livre de Tobie qui nous occupera toute la semaine. Je commence donc par dire quelques mots pour situer ce livre dans la littérature biblique. Il appartient aux livres qu’on appelle deutéro-canoniques, c’est-à-dire qui ne faisaient pas partie du canon des Ecritures de la bible hébraïque. C’est la Septante, version grecque de la Bible, qui nous a donné ce livre et 6 autres comme lui : Judith,1er et 2ème livre des Maccabées, Sagesse, Siracide ou Ecclésiastique, Baruch, plus des passages en grec des livres d’Esther et de Daniel. Les protestants, à propos de ces livres parlent de livres apocryphes et c’est pour cela qu’on ne les retrouve pas dans les Bibles qui utilisent la traduction de Louis Segond ou d’autres traductions protestantes.
Ce livre appartient à la littérature de Sagesse car, d’un point de vue historique, il y a beaucoup d’incohérences. Il est donc à lire comme un enseignement sur la vie, sur la foi plus que comme l’histoire d’un personnage, Tobie, à partir de laquelle on pourrait tirer des renseignements sur l’histoire du peuple juif, même si des épisodes de cette histoire sont évoqués.
Le livre de Tobie, avec un « e » à la fin est donc l’histoire d’un homme qui est le fils de Tobith, avec un « t » et un « h » à la fin du nom ! Ce Tobith est un juif pieux qui a été en déportation et qui a cherché à rester fidèle à sa foi en terre païenne. C’est l’une des thématiques du livre : comment rester fidèle à sa foi quand on se retrouve immergé dans un contexte hostile. On pressent déjà que, de ce point de vue, le livre est d’une certaine actualité pour les chrétiens devenus très minoritaires et qui se posent cette même question. Dans ce livre, il y a un autre thème qui est traité, c’est la souffrance injuste du juste, cette thématique qui traverse tout le livre de Job est présente dans le livre de Tobie. En effet, ce Tobith qui a toujours tout fait pour plaire à Dieu se retrouve ruiné et aveugle. Or, on sait que dans le judaïsme, la richesse et la santé sont deux signes de la bénédiction de Dieu. Alors, pourquoi la fidélité de Tobith n’est-elle pas récompensée par Dieu ? Pourquoi n’obtient-il pas la bénédiction ? Je vous rappelle que bénédiction, dans les langues sémites, arabes, se dira baraka et que ce mot, aujourd’hui est utilisé pour dire la chance. Avoir la baraka, c’est avoir de la chance, tout sourit à celui qui a la baraka, précisément parce qu’il est béni de Dieu. Eh bien, ce pauvre Tobith, il n’a vraiment pas la baraka, ruiné et aveugle, pourquoi ? Au fil des pages du livre, il nous sera donné de voir comment il réagit à cette situation et comment il initie son fils Tobie à vivre dans la fidélité au Seigneur.
La lecture d’aujourd’hui, dans laquelle le vieux Tobith n’est encore pas aveugle, nous le montre prenant des risques pour enterrer un de ses compatriotes. Il avait déjà eu beaucoup de problèmes par le passé pour avoir bravé l’interdit du roi qui interdisait aux juifs de donner une sépulture décente à leurs compatriotes exécutés. C’est d’ailleurs à cause de ses actes de bravoures que tous ses biens avaient été saisis. Et le voilà qui récidive au grand étonnement de ses voisins qui se demandent, nous l’avons entendu, pourquoi il n’a pas retenu les leçons du passé. Mais, pour Tobith, la fidélité à sa foi est plus importante que sa vie, que sa tranquillité, que sa prospérité. Demain, nous verrons que cette fidélité sera bien mal récompensée posant et reposant cette douloureuse question de l’injuste souffrance du juste, question qui, aujourd’hui encore, éloigne de la foi ceux qui n’arrivent pas à croire et qui détourne de la foi ceux qui croient. Que la lecture de ces pages et leur méditation puisse nous encourager à croire que, quelles que soient les apparences, comme le dira le livre de la Sagesse, la vie des justes est dans la main de Dieu. Sg 3,1
Evidemment, jamais nous ne pourrons le prouver, le démontrer, mais nous pourrons le montrer. C’est-à-dire que nous pourrons en donner le témoignage. Quand nous-mêmes, nous sommes soumis aux épreuves, demandons un surcroit de foi, c’est-à-dire de confiance qui justement nous aidera à témoigner que nous ne comprenons pas pourquoi nous devons traverser tant d’épreuves, mais que nous pouvons attester que sans le Seigneur, nous n’aurions pas pu tenir. Je me rappelle cette confidence d’un vieux moine écrivant que les épreuves spirituelles qu’il a dû traverser étaient telles qu’il y aurait eu de quoi tuer un bœuf ! Mais, ajoutait-il, si j’ai pu les traverser, c’est grâce à la présence indéfectible du Seigneur à mes côtés, une présence dont je n’avais aucun signe sensible mais qui se manifestait par le fait que je restais vivant, broyé, cassé, mais vivant !
Quant à l’Evangile d’aujourd’hui, il est une illustration parfaite de l’auto-révélation de Dieu que nous avons entendue dans la 1° lecture d’hier : LE SEIGNEUR, LE SEIGNEUR, Dieu tendre et miséricordieux, lent à la colère, plein d’amour et de vérité. Ex 34,6 C’est particulièrement le Dieu lent à la colère qui se trouve explicité dans cette parabole des vignerons homicides. Hier, je vous disais qu’il fallait dépasser les bornes pour que Dieu se mette en colère. On le voit très bien dans cette parabole ! Et je disais que lorsque, finalement, la colère serait déclenchée, c’est contre le péché qu’elle se manifesterait et non contre le pécheur. Alors, vous pourriez m’objecter que, dans le texte il est dit : Que fera le maître de la vigne ? Il viendra et fera périr les vignerons. Je pense que, en fait, il faut lire tous ces textes qui parlent de la mort des pécheurs par châtiment divin, justement comme l’expression de la volonté de Dieu d’éradiquer le mal. C’est tout à fait le cas dans le texte de l’Exode qui évoque la mer Rouge se refermant sur les Egyptiens et les noyant tous. Dans ce texte, les Egyptiens sont le symbole du mal qu’il faut éradiquer et c’est pour cela que la mer se referme sur eux. En effet, la mer, pour les hébreux était le lieu où se concentraient les forces du mal ; en se refermant sur les Egyptiens, il est dit que le mal est à nouveau circonscrit qu’il n’a plus à se répandre. Ici, dans la parabole, c’est la même chose, ceux qui sont tués sont le symbole du mal qui doit être arrêté pour qu’il ne continue pas ses ravages.
Je me rappelle qu’une fois, expliquant cela, un ami me dit : vous les curés, vous avez toujours réponse à tout et vous interprétez les textes comme ça vous arrange ! Je comprends ce questionnement, mais j’ai une double preuve que ma lecture est légitime. Une preuve dans la parabole et une preuve dans l’histoire.
- La preuve dans la parabole c’est que la citation que j’ai faite était tronquée, le texte disait : le maître viendra et fera périr les vignerons mais il rajoutait immédiatement : et il donnera la vigne à d’autres. Ce qui intéresse le maître, donc Dieu, ce n’est pas d’en finir avec le mal mais de voir le triomphe du bien, c’est pourquoi, contre toute attente, il espère encore et donne la vigne à d’autres.
- La preuve dans l’histoire, c’est que, si ma lecture n’était pas légitime on aurait vu, la punition de Dieu à l’œuvre. En effet, Jésus raconte cette histoire pour annoncer ce qui va lui arriver : il sera bel et bien mis à mort, le Fils n’aura pas été respecté comme l’espérait le maître du domaine. Qu’est-il advenu de ceux qui l’ont mis à mort ? Citez-moi le nom d’une seule personne à l’origine de la mort de Jésus qui aurait été foudroyé par la colère divine ? Aucun !
Evidemment, cette parabole sur l’amour excessif de Dieu n’est pas racontée pour que nous puissions nous rassurer de nos médiocrités ou pire encore pour nous conforter dans nos médiocrités en disant : puisque nous ne risquons rien, profitons ! Toutes les paroles de Jésus sur l’amour excessif de Dieu sont, finalement, une question qui nous est posée : quand vivrons-nous dans la gratitude à l’égard de ce Dieu dont l’amour est excessif ? Cette gratitude ayant vocation à s’exprimer dans deux directions : à l’égard de Dieu, lui-même et à l’égard des frères. En effet, puisqu’il nous aime avec cet excès d’amour, pourquoi aimons-nous les autres avec un amour compté, un amour de radin qui fait sans arrêt les comptes ?