Nous voilà donc parvenus à la fin du livre de Tobie, du moins à la fin pour la lecture liturgique car il reste encore un chapitre après celui que nous venons d’entendre. C’est dans ce chapitre qu’il y a le fameux cantique de Tobie que nous prions à l’office.
Nous voyons donc le vieux Tobith qui cherche à récompenser Raphaël, le précieux et fidèle compagnon de son fils. C’est grâce à Raphaël que Tobie, le fils, avait pu aller récupérer la belle somme d’argent que son père avait confié naguère à un membre de sa famille et dont il avait eu grand besoin après toutes les mésaventures subies. Tobith n’est pas ingrat, il propose de donner à Raphaël la moitié de la somme récupérée et ce n’est pas rien puisque la totalité de la somme, 10 talents, représentait 250 kg d’argent !
Mais là, coup de théâtre, après avoir donné de sages et de saints conseils aux deux hommes, Raphaël va révéler son identité : il est un ange du Seigneur ! Le père et le fils vont donc réaliser subitement que tout ce qu’ils ont reçu, la protection le long du chemin, la possibilité de récupérer l’argent, la guérison de la cécité, le mariage heureux avec Sarra et la fin de la malédiction qui pesait sur elle, tout, absolument tout ce qu’ils ont reçu, ils l’ont reçu gratuitement. En un instant, il leur est révélé que Dieu est don, surabondance de don, parce qu’il n’est qu’amour et que tout ce qu’il donne est absolument gratuit. Ce n’est pas exagéré de dire que c’est l’épître aux Romains, sur laquelle j’ai prêché la semaine dernière à La Flatière, qui est comme inscrite en filigrane derrière cette révélation de la gratuité du Salut.
L’histoire qui est racontée dans le livre semble se passer autour du 8° siècle avant Jésus-Christ, mais la rédaction du livre pourrait être bien plus tardive, les exégètes la datent du 3° ou 2° siècle. Je trouve tellement beau de constater combien la révélation a progressé dans les siècles. Longtemps les hommes ont cru que Dieu faisait payer ce qu’il donnait et qu’il fallait même payer avant d’avoir reçu sans être tout à fait sûr de recevoir, c’était le système des sacrifices. Dans ce système, on offrait à Dieu ce qu’on pensait lui devoir pour obtenir telle ou telle grâce et donc, en fonction de la grâce demandée, on ajustait la valeur des bêtes offertes en sacrifice : donnant-donnant. Hélas, tout cela aboutissait à une religion de marchand de tapis ! Le livre de Ben Sira que nous avons lu la semaine dernière qui est contemporain de l’Ecriture du livre de Tobie, dénonçait cette religion de marchand de tapis, nous avions entendu ce bel avertissement : « N’essaye pas d’influencer Dieu par des présents, il ne les acceptera pas ! » Ben Sira, Tobie commenceront à expliquer ce que Paul finira de formuler, à savoir que Dieu donne gratuitement.
Nous n’avons rien à donner pour espérer recevoir puisque tout est gratuit. Par contre, si nous ne sommes pas ingrats, nous pouvons donner pour remercier mais pas donner pour payer de toutes façons nous ne pourrons jamais payer tant ce que nous recevons est grand. Avec le psalmiste nous ne pouvons que nous interroger en disant : « Comment rendrai-je au Seigneur tout le bien qu’il m’a fait ? » Ps 115 Puisque nous n’avons rien à payer et que de toutes façons, nous ne pouvons rien payer, si nous ne sommes pas ingrats aux dons que le Seigneur ne cesse de nous faire, nous ne pouvons répondre que par le don de nous-mêmes. Dieu n’attend rien pour donner, pour se donner en retour, il n’espère pas recevoir des trucs mais de l’amour, il espère que nous nous donnerons dans l’amour, que nous nous donnerons à lui, aux autres. C’est bien ce que Raphaël explique : « Bénissez Dieu et célébrez-le devant tous les vivants pour le bien qu’il vous a fait. Bénissez-le et chantez son nom. Annoncez à tous les hommes les actions de Dieu comme elles le méritent, et n’hésitez pas à le célébrer. »
Il y a forcément de la matière pour nous interroger : est-ce que nous croyons vraiment à la gratuité de l’amour de Dieu, du Salut ? Est-ce que nous sommes sortis de la religion du donnant-donnant ? Est-ce qu’il ne nous arrive pas parfois d’avoir l’impression, devant les difficultés que nous pouvons traverser, de devoir payer ? Est-ce qu’il ne nous arrive pas, quand nous sommes heureux de penser qu’un jour, il faudra bien payer ? Est-ce que nous croyons vraiment à la gratuité de l’amour de Dieu et est-ce que nous vivons dans la gratitude par rapport à ce don en nous donnant à notre tour ?
Alors, bien sûr, dans cette perspective, le texte d’Evangile tombe à pic ! Et c’est un beau cadeau de la Providence parce que ce n’est pas tous les jours que le lien est aussi évident entre la 1° lecture et l’Evangile. En effet, la 1° lecture nous fait lire en continu un livre du Premier Testament ou une lettre du Nouveau Testament et c’est pareil avec l’Evangile qui nous donne à entendre la lecture continue d’un trois évangiles synoptiques, avec, à certains moments, des passages de St Jean. Avec ce principe, il n’est donc pas étonnant que certains jours, on ne puisse pas faire de lien entre les deux textes. Je crois déjà vous avoir cité cette parole d’un de mes profs de Bible au séminaire, ce n’était pas le père Michon, qui disait, dans une de ses homélies : faire le lien entre l’Evangile et la 1° lecture exigerait que je fasse un double saut périlleux et, à mon âge, ça ne serait pas chrétien ! Mais aujourd’hui pas besoin de saut périlleux ni même de petite pirouette !
La pauvreté de cette femme lui permet de comprendre ce que les plus hauts dignitaires de la religion ne peuvent pas comprendre ou ne veulent pas comprendre ! Eux, ils croient encore qu’avec Dieu, tout se paie tôt ou tard, alors ils paient et en profitent pour se faire admirer. Au passage, Jésus va dénoncer l’hypocrisie de leur démarche puisqu’ils se montrent généreux quand on les voit et fourbes, injustes, pervers quand on ne les voit pas ! La pauvre veuve, elle, elle n’a rien à montrer sinon sa pauvreté et, ce qui est très beau, c’est qu’elle ose la montrer en venant juste après ceux qui viennent de se faire remarquer. Elle n’est pas venue pour leur faire la leçon en criant sa révolte devant ceux qui, selon les paroles de Jésus lui-même, dévorent les biens des pauvres. Elle n’est pas venue acheter Dieu, elle sait bien que son don est si dérisoire qu’il ne pourrait rien lui obtenir. Elle est venue manifester son amour à Dieu. La traduction liturgique dit qu’elle a pris sur son indigence pour faire ce don, le texte grec dit littéralement qu’elle a offert son manque, elle a donné ce qu’elle n’avait pas, c’est-à-dire qu’elle s’est donnée elle-même. C’est déjà beau, mais il y a encore mieux, parce qu’elle a tenu à faire ce don au Temple. Elle aurait pu avoir honte de donner si peu devant tout le monde parce qu’elle savait bien qu’elle allait croiser ceux qui aimaient faire remarquer l’importance des dons qu’ils faisaient. Elle aurait pu penser que son don étant si petit, finalement il ne servait à rien, et qu’elle pouvait donc rester chez elle. Non, elle est allée au Temple, elle a accepté de donner en croyant que la pauvreté de son don réjouirait le cœur de Dieu. Elle a cru que Dieu verrait derrière l’insignifiance de ces piécettes son immense amour, un amour qui ne cherche pas à acheter mais à se donner.
Quelle belle invitation pour nous ! Il y a tant de moments de notre vie où nous n’avons rien de très brillant à offrir ! Comme cette pauvre veuve, nous ne pouvons qu’offrir au Seigneur notre manque, notre manque d’enthousiasme, notre manque d’élan à servir, notre manque de ferveur. Mais, quand à l’image de cette femme, nous osons quand même nous approcher du Seigneur sans chercher à sauver les apparences, en lui offrant notre manque, Lui, il sait reconnaître l’immense amour qui se cache derrière la pauvreté apparente de notre don. « Bénissez Dieu et célébrez-le devant tous les vivants pour le bien qu’il vous a fait. Bénissez-le et chantez son nom. Annoncez à tous les hommes les actions de Dieu comme elles le méritent, et n’hésitez pas à le célébrer. »
Commentaire lumineux !!!
Merci.