6 janvier : jeudi après l’Epiphanie. La communauté, le lieu où les conflits doivent être surmontés.

En suivant notre méditation de la 1° lettre de St Jean, nous avons entendu cette parole que tout le monde connait par cœur : « Si quelqu’un dit : « J’aime Dieu », alors qu’il a de la haine contre son frère, c’est un menteur. En effet, celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, est incapable d’aimer Dieu, qu’il ne voit pas…celui qui aime Dieu, qu’il aime aussi son frère » Oui, nous la connaissons par cœur cette parole, mais est-ce que nous la connaissons par le cœur ? Est-ce que cette parole est vraiment dans notre cœur ? Est-ce que nous nous laissons travailler par cette parole ?

Dans la vie, il y a forcément des personnes avec qui nous avons moins d’affinité, il y a forcément des personnes avec lesquelles nous nous sentons moins à l’aise et dont nous ne recherchons pas immédiatement la compagnie. Ça, je dirai c’est humain et, pour nous rassurer, il faut vite dire que ces mots de la 1° lecture ne parlent pas d’affinité, d’amitié élective. C’est bien normal que, spontanément, nous ne puissions pas nous livrer en profondeur avec tout le monde. 

Il me semble que les mots de la lettre de St Jean nous invitent à une autre attitude. St Benoit quand il parle de la vie communautaire a une parole qui est très belle parce qu’elle est extrêmement réaliste, il dit : la communauté est un lieu où la division doit être surmontée. « La communauté est un lieu où la division doit être surmontée. » Et la communauté, on peut entendre ce mot au sens large, un couple, une famille, une paroisse, une association sont, à leur mesure, une communauté. Oui, j’aime beaucoup cette parole parce qu’elle est à la fois pleine de réalisme mais aussi pleine d’Evangile !

St Benoit, vous le savez, c’est ce moine qui, au 6° siècle, va écrire une règle pour tous les moines qui veulent se donner à Dieu afin de ne jamais cesser de le chercher. Et cette quête incessante de Dieu sera soutenue par deux principes. Le 1° principe, c’est que leur vie devra toujours respecter l’équilibre entre ces deux dimensions essentielles : « ora et labora », c’est-à-dire : prière et travail. La 2° caractéristique, c’est qu’ils vivront en communauté, ils ne seront pas des ermites juxtaposés comme pouvaient l’être les Pères du désert. Ils vivront en communauté parce que la vie communautaire sera, en plus de la prière et du travail, le moyen pour eux de grandir en sainteté. St Benoit va donc coucher, par écrit, dans sa règle, tous les éléments essentiels qui permettront aux moines de mener une vie équilibrée, ces principes réguleront aussi la vie communautaire pour que chacun puisse s’y épanouir et accomplir sa vocation. Dans sa règle, il donnera des repères très importants pour que les abbés, responsables d’un monastère, veillent sur le bien de chacun sans délaisser aucun de ceux qui leur sont confiés et en même temps pour qu’ils accomplissent ce service de l’autorité dans un esprit conforme à l’Evangile sans jamais abuser du pouvoir qui est remis entre leurs mains.

Cette règle de St Benoit est tellement réussie, tellement juste et équilibrée que, 14 siècles après, elle sert encore de modèle à toutes les règles monastiques et pas seulement chez les bénédictins. Elle est tellement réussie que, dans l’histoire, on a vu que toutes les tentatives pour la réformer, pour l’adapter à l’air du temps, ont été des échecs. Les seuls monastères qui gardent une vitalité sont ceux qui la gardent comme un trésor ce qui ne veut pas dire qu’il ne faille la répéter servilement. St Benoit sait donc, plus que quiconque, de quoi il parle quand il parle de vie communautaire. Alors j’en reviens à ce que St Benoit disait à propos de la communauté : « La communauté est un lieu où la division doit être surmontée. » St Benoit ne dit pas qu’une communauté digne de ce nom doit être un lieu dans lequel il n’y aura jamais de division. Non, il est très réaliste ! 

Il sait que lorsque des hommes vivent ensemble, il y a forcément des tensions, des divisions et quand ce sont des femmes qui vivent ensemble c’est au moins aussi vrai et quand ce sont des hommes et des femmes, c’est peut-être encore plus vrai ! Une jolie formule le dit : là où il y a des hommes, il y a de l’hommerie !

St Benoit porte un regard très réaliste sur la vie communautaire MAIS et il faut vraiment insister sur la suite que j’introduis par ce MAIS : La communauté doit être un lieu où on cherchera toujours à surmonter la division. Le drame, c’est qu’il y a trop de communautés où on est tellement réaliste qu’on a fini par accepter les divisions en disant : c’est comme ça, dès que plusieurs personnes vivent ensemble, il y a nécessairement des tensions, il faut vivre avec ! Ce n’est pas ce que pense St Benoit. Oui, il est inévitable qu’il y ait des tensions, mais la fidélité à l’Evangile veut que nous n’en prenions jamais notre parti et que nous mettions tout en œuvre pour les surmonter.

Il me semble que tout ce que je viens de dire à propos de St Benoit est un très bon commentaire des paroles de St Jean : « Si quelqu’un dit : « J’aime Dieu », alors qu’il a de la haine contre son frère, c’est un menteur. En effet, celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, est incapable d’aimer Dieu, qu’il ne voit pas…celui qui aime Dieu, qu’il aime aussi son frère » Aimer son frère ou sa sœur, aimer ceux avec qui j’ai des difficultés signifie ne pas les rejeter en pensant qu’avec lui ou avec elle, il n’y aura jamais rien à faire, rien à vivre. Aimer son frère ou sa sœur, aimer ceux avec qui j’ai des difficultés signifie refuser de les exclure de mes préoccupations, de ma prière. C’est aussi tout mettre en œuvre pour que mes difficultés personnelles n’aient des répercussions négatives sur la vie communautaire. A chaque fois qu’une pensée négative à l’égard de quelqu’un m’envahit, la transformer en demande de bénédiction : Seigneur, bénis-la, bénis-le, bénis-les !

Voilà, il me semble que nous devrons toujours écouter comme en stéréo ces paroles, dans une oreille la parole de St Jean qui nous dit : « Si quelqu’un dit : « J’aime Dieu », alors qu’il a de la haine contre son frère, c’est un menteur. En effet, celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, est incapable d’aimer Dieu, qu’il ne voit pas…celui qui aime Dieu, qu’il aime aussi son frère » Et dans l’autre oreille la parole de St Benoit qui nous dit : « La communauté est un lieu où la division doit être surmontée. » 

Oui, il nous faudra toujours écouter en stéréo ces deux paroles, les avoir chacune dans une oreille. Mais, je le dis tout de suite, ça ne suffira pas forcément car nous pourrons nous trouver dans des situations tellement compliquées que, bien sûr nous avons le désir d’aimer, de ne pas rejeter l’autre avec qui nous avons des difficultés … Oui, nous en avons le désir, mais nous n’y arrivons pas, c’est plus fort que nous ! Alors, gardons dans notre cœur cette autre parole entendue dans l’Evangile où Jésus dit à propos de lui, en citant Isaïe : « L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération, et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés, annoncer une année favorable accordée par le Seigneur. » Dans la Foi, disons-lui : Seigneur, puisque tu es venu pour les pauvres, les captifs, les aveugles, les opprimés, je crois que tu es venu pour moi ! Tu vois ce qui dans mes difficultés communautaires, dans mes difficultés relationnelles me rend si pauvre, m’empêche d’être vraiment libre, tu vois mes aveuglements sur telle ou telle personne, tu te rends compte du poids que ça finit par peser dans mon cœur, alors agis ! Je crois que tu n’as rien perdu de ta puissance puisque, selon cette belle parole de la lettre aux Hébreux, « tu es le même, aujourd’hui qu’hier et tu seras le même à jamais. » Alors, puisque tu es le même, c’est AUJOURD’HUI que cette parole s’accomplit pour moi, c’est AUJOURD’HUI que tu vas m’apporter la libération, c’est AUJOURD’HUI que tu ouvres une année de bienfaits !

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