Je voudrais vous partager 3 points de ma méditation sur cet Evangile que nous connaissons bien et qui a fait couler pas mal d’encre et dépenser pas mal de salive !
1° point, de fait, ce texte a déchainé des passions. Et les débats animés sont venus du fait que les chrétiens qui ferraillaient, et particulièrement les prêtres, faisaient une lecture partielle de cet Évangile et tout le monde peut entendre que partiel n’est pas loin du mot partial ! Nous devons retenir cette leçon : la lecture partielle de l’Ecriture conduit toujours à une interprétation partiale et donc clivante.
De ces paroles de Jésus, certains chrétiens ont retenu l’image du sel. Pour eux, être chrétien, c’est faire comme le sel. Le sel, il donne du goût mais sans se faire voir. De fait, le sel, aussitôt mis dans un plat, il disparait, mais en ayant accompli sa mission, c’est-à-dire : relever la saveur. Fort de ces convictions, ces groupes ont milité pour une Église enfouie dans le monde, une Église qui n’a pas à se faire voir, une Église qui doit, par son seul témoignage, essayer de transformer le monde. Et c’est ainsi qu’au cours des années où l’enfouissement semblait être devenu la règle, on construisait des églises nouvelles sans clocher et bien sûr sans cloches pour qu’elles puissent mieux se fondre dans le quartier. D’autres, par contre, ont retenu la 2° image : vous êtes la lumière du monde et Jésus rajoute que cette lumière ne doit pas être cachée. Alors, prenant au sérieux cette parole, ils ont milité pour une Église qui se voit, qui ose se montrer en faisant des processions, en organisant des rencontres bien visibles, en multipliant les signes extérieurs qui permettront aux autres de bien les repérer comme chrétiens. Evidemment quand ces deux courants se rencontraient, c’était l’incompréhension la plus totale pour ne pas dire l’affrontement. Chacun restait sûr de lui, puisqu’il pouvait invoquer l’Évangile pour justifier sa position.
Il est évident que ce type de fonctionnement ne construisait rien puisque la moitié s’évertuait à détruire ce que l’autre moitié cherchait à construire. En plus, Jésus n’a pas dit : vous êtes le sel de la terre ou vous êtes la lumière du monde ; il a dit : vous êtes le sel de la terre ET vous êtes la lumière du monde. Tout se joue dans le « Et » c’est-à-dire que ces deux images, il faut les conjuguer et non les opposer parce que, finalement, sous des apparences contradictoires, elles nous disent exactement la même chose ! En effet, elles sont à entendre comme un appel de Jésus qui nous envoie là où il y a besoin de nous. C’est un peu comme si Jésus disait : là où il y a de la fadeur, rajoutez votre grain de sel ! Là où il y a des ténèbres, apportez la lumière. Le sel n’a aucun intérêt dans un pot de sel, par contre, il devient très intéressant quand il est mis en contact de ce qui manque de saveur. La lumière, en plein jour, elle n’a aucun intérêt, c’est la nuit qu’elle devient intéressante. Jésus ne prêche donc ni pour une Église enfouie et anonyme, ni pour une Église visible et triomphante. Il prêche pour une Église missionnaire : allez là où la vie manque de saveur, allez là où les ténèbres risquent d’égarer ceux qui les traversent.
Il me semble que depuis quelques années, en raison de la pauvreté que tous les groupes chrétiens traversent, nous avons compris que nous avions mieux à faire que nous battre et que nous devions nous mettre ensemble pour relever le défi de l’évangélisation. Les Congrès Mission en sont un très beau signe : plutôt que de travailler les uns contre les autres, nous nous mettons à travailler les uns avec les autres. Nous réalisons que nos différences deviennent des richesses et nous nous réjouissons de voir que tel groupe de telle sensibilité sait rejoindre des personnes que nous, nous n’arrivons pas à rejoindre. Et puis nous réalisons que nous avons tous besoin de nous épauler pour lutter contre notre pente naturelle qui consiste à aller vers ceux qui partagent nos idées, nos valeurs. C’est ce que je disais il y a quelques jours en citant cette parole pleine d’humour : Jésus n’a pas dit aimez-vous les uns les uns mais aimez-vous les uns les autres et ce qui est compliqué, c’est les autres ! Eh bien, l’appel de Jésus, dans cet évangile, nous envoie vers les autres, elle nous invite à sortir de nos groupes souvent hermétiques qui fonctionnent les uns avec les uns, mais sans les autres !
Avec ces deux images, Jésus nous invite à ne pas choisir la facilité en arrosant là où c’est déjà bien mouillé, mais à rejoindre les lieux plus arides où la vie est plus fade et où les ténèbres l’emportent si souvent. Je me souviens quand je travaillais aux nominations de prêtres dans mon diocèse, certains, quand on leur proposait un changement, réclamaient « une bonne paroisse » c’est-à-dire une paroisse bien chrétienne. C’était difficile à entendre d’abord parce qu’il y en a assez peu chez nous, mais c’était surtout difficile à entendre parce que ça révélait chez ces prêtres un bien piètre esprit missionnaire : ils rêvaient de faire pleuvoir, là où c’était déjà bien mouillé. Non ! Vous êtes le sel de la terre et vous êtes la lumière du monde !
Dans mon 2° point, je voudrais souligner un autre aspect commun à ces deux images qui peut également devenir assez suggestif. Le sel comme la lumière n’ont aucun intérêt en eux-mêmes. Je l’ai dit du sel dans un pot de sel n’a aucun intérêt ni la lumière en plein jour ! Le sel, sa mission, c’est de mettre en valeur les saveurs d’un plat. De même pour la lumière, on ne regarde pas la lumière, d’ailleurs si on se met à regarder la lumière, ça a l’effet inverse de ce qu’on recherchait : on n’y voit plus rien ! La lumière, elle sert juste à me faire voir ce que je ne peux voir dans la nuit. Cela signifie donc que ces deux images constituent une mise en garde de Jésus concernant la mission des chrétiens. Avec ces deux images, Jésus nous dit que le but de la mission, ce n’est pas d’attirer à nous. Comme le sel et la lumière qui ne travaillent pas à leur propre compte, nous devons travailler pour conduire au Seigneur et tant pis ou peut-être même tant mieux si ceux que nous avons conduit au Seigneur nous oublient, ça nous évitera de prendre la grosse tête ! J’aime rappeler cette parole du cardinal Lustiger quand il avait organisé le grand congrès missionnaire Paris Toussaint 2004. Il avait réuni les communautés nouvelles car il avait délibérément choisi de s’appuyer sur elles, mais il les avait sévèrement mis en garde : il ne s’agit pas que chaque communauté vienne faire danser son ours devant les autres en espérant emporter le concours de danse ! La mission consiste à conduire à Jésus pas à recruter pour sa communauté, son lieu d’Eglise. Il est bon de pouvoir régulièrement le réentendre. Et après, pour la vie de nos communautés, faisons confiance au Seigneur. J’aime cette mention que l’on retrouve plusieurs fois dans les Actes des Apôtres qui précise que c’est le Seigneur qui adjoint les nouveaux croyants à la communauté et non la communauté qui travaille pour son recrutement. Vivons la mission, comme le Seigneur nous le demande et Lui se chargera de nous faire vivre et grandir ! C’est peut-être dans cette perspective que nous pouvons entendre l’invitation que Paul adressait aux Corinthiens dans la 1° lecture. C’est une invitation à quitter l’auto-référencement que condamne si souvent le pape François et à être centré sur le Seigneur qui seul peut donner la fécondité.
Le 3° point de ma méditation, c’est une invitation à bien entendre ce que Jésus dit et à ne pas le déformer. Jésus ne dit pas : vous devez être le sel de la terre, vous devez devenir la lumière du monde. Non, il dit : vous êtes ! Le chrétien ne doit pas se forcer à devenir, il est sel et lumière. La théologie explique que notre Baptême et notre confirmation nous ont marqués d’une empreinte indélébile, on parle de sacrement à caractère et c’est le symbolisme de l’onction d’huile qui pénètre en profondeur. Ce qui est donné est donné à tout jamais, comme le dit Paul dans la lettre aux Romains : les dons de Dieu sont sans repentance. Un chrétien, vous savez, c’est un peu comme ces bougies magiques qu’on utilise pour les anniversaires, vous soufflez et elles se rallument toujours. C’est exactement ce que veut dire Jésus avec ces deux images, le baptême et la confirmation contiennent en eux-mêmes une programmation puissante pour que tous ceux qui les reçoivent deviennent pour toujours sel et lumière. Alors, bien sûr, certains ont laissé ces sacrements reçus se recouvrir de tant de médiocrité que leur énergie est neutralisée. Mais quand on souffle sur les cendres de la médiocrité, tout peut immédiatement repartir et avec beaucoup de vigueur, c’est le témoignage que donnent les recommençants. Ne nous lassons pas de demander au Saint-Esprit de renouveler chaque jour notre témoignage de chrétien en lui redonnant la saveur du sel et la vigueur de la lumière.