Baptême de Jésus : (Is 40, 1-5.9-11). (Tt 2, 11-14 ; 3, 4-7). (Lc 3, 15-16.21-22)
« Monte sur une haute montagne, toi qui portes la bonne nouvelle à Sion. Élève la voix avec force, toi qui portes la bonne nouvelle à Jérusalem. Élève la voix, ne crains pas. » Ce sont les paroles que nous avons entendues dans la 2° partie de la 1° lecture. Il était d’usage en Israël, ailleurs, je ne sais pas, mais en Israël, c’est sûr, de répandre le plus vite possible la bonne nouvelle de la naissance d’un nouveau roi. Quand un roi avait un fils, cette nouvelle était proclamée dans tout le pays le plus vite possible et le plus fort possible, d’où cette parole qui en est la mise en oeuvre « Monte sur une haute montagne, toi qui portes la bonne nouvelle à Sion. Élève la voix avec force, toi qui portes la bonne nouvelle à Jérusalem. Élève la voix, ne crains pas. » Et pourquoi donc la naissance d’un nouveau roi était une bonne nouvelle ? Tout simplement parce que la plupart des rois, pour ne pas dire quasiment tous les rois ont failli dans leur mission. Il est étonnant ce refrain qui rythme le livre des rois au début de la présentation de chaque roi : il fit ce qui déplait au Seigneur et imita son père. Même celui qu’on nommera le saint roi David à qui on attribue quand même 1000 concubines et qui, non content de ce harem, ira encore prendre la femme de son général ! Alors, quand un fils de roi nait, on espère qu’il sera meilleur que son père, un peu comme nous quand on va voter pour une élection présidentielle ! Mais, ce que le peuple espérait surtout, quand il entendait cette joyeuse nouvelles de la naissance d’un fils de roi, c’est qu’il serait enfin celui que Dieu a promis d’envoyer, son Messie.
On comprend facilement pourquoi la liturgie a choisi de nous faire entendre ces versets en ce jour où nous célébrons le Baptême de Jésus. Oui, le voilà, c’est Lui, enfin, les promesses sont accomplies. C’est ce que nous avons médité tout au long de ce temps de Noël qui s’achève aujourd’hui, mais ne pensons pas déjà à demain qui nous fera entrer dans le temps ordinaire, restons dans notre aujourd’hui pour goûter encore à la joie du Mystère de l’Incarnation qui se déploie. Cette fête du Baptême de Jésus fait partie de ce que les orthodoxes appellent la fête des manifestations puisqu’ils réunissent en une seule et même fête Noël, l’Epiphanie et le Baptême de Jésus. Pour eux, ces 3 fêtes n’en font qu’une, elles déploient chacune à sa manière cette bonne nouvelle du Salut qui s’accomplit. C’est sans doute pour que nous puissions mieux le comprendre que nous avons entendu cette 2° lecture tirée de la lettre à Tite qui est la même que celle que nous avons lue la nuit de Noël. C’est vrai que le petit a bien grandi par rapport à Noël puisqu’il a 30 ans, ce que précise Luc explicitement dans le verset qui suit le texte d’Evangile que nous avons lu. Le petit a grandi, mais c’est toujours la manifestation, le déploiement du même mystère qui nous est présenté. En Jésus, Dieu est venu parmi nous pour nous sauver. Je rappelle cette belle parole des Pères de l’Eglise : Il s’est fait ce que nous sommes pour que nous devenions ce qu’il est. Le Fils de Dieu s’est fait homme pour que nous devenions fils de Dieu, pour que nous puissions vivre en Fils de Dieu et, pour cela, il fallait qu’il nous arrache à l’emprise du péché. C’est précisément ce que veut nous montrer le Baptême de Jésus.
Parce qu’une question se pose quand même : pourquoi Jésus a-t-il tenu à être baptisé ? Le baptême que Jean donnait était un baptême pour la conversion des péchés, Jésus n’en avait donc pas besoin. Dans les passages parallèles des autres Evangiles, Jean-Baptiste le fera d’ailleurs explicitement remarquer à Jésus. Mais les remarques de Jean-Baptiste n’ont rien changé à la détermination de Jésus : il voulait vivre ce Baptême alors qu’il n’en avait pas besoin. Pourquoi ? On répond habituellement que Jésus voulait manifester sa solidarité avec l’humanité et c’est vrai et c’est beau. Je me rappelle ce merveilleux commentaire du truculent cardinal Marty qui disait : en venant dans le monde, Jésus n’est pas venu faire trempette du bout des pieds dans l’humanité, il s’y est plongé complètement. Oui, c’est vrai et c’est beau. Mais en méditant sur le sens de cette fête, cette année, j’ai été saisi par un autre aspect que j’aimerais vous partager. Je ne sais pas comment vous imaginez cette scène de Jésus descendant dans l’eau. Cette année, il faut d’ailleurs beaucoup imaginer car l’Evangile de Luc que nous avons entendu ne donne aucun détail sur la Baptême ! Moi, en imaginant la scène, il m’est venu une drôle de représentation.
Je ne voyais pas Jésus descendre dans une belle eau bien bleue, je l’ai vu Jésus descendre dans une eau sale et même très sale. Peut-être étais-je influencé par tous mes voyages en Terre Sainte. Ene effet, ceux qui y sont déjà allés ont sûrement été comme déçus par la célébration de renouvellement du Baptême qu’on vit au bord du Jourdain car l’eau y est sale et souvent même très sale, très boueuse ! Mais, pour moi, si l’eau dans laquelle Jésus descendait était sale c’était parce qu’elle était chargée de tous les péchés de ceux qui étaient venus vivre leur baptême de conversion. Ils avaient tous laissé leurs péchés dans cette eau pour renaître à une vie qu’ils espéraient plus vertueuse. C’est dans cette eau salie par le péché des hommes que Jésus est descendu. Ceux qui se baignent dans une eau polluée en ressortent avec des traces sur leur corps de tout ce qui trainait dans l’eau !
Eh bien, c’est exactement ce qui s’est passé au Baptême de Jésus. Jésus est descendu dans cette eau salie par les péchés que les hommes étaient venus noyer et il est remonté, chargé de tous ces péchés et pas que les péchés de ceux qui étaient venus se tremper sous la main de Jean-Baptiste, mais aussi de tous les péchés de tous les hommes bien avant et encore bien après le Baptiste. Il est donc remonté, chargé, sali par vos péchés et les miens. Autrement dit le Baptême de Jésus est comme une anticipation de ce qu’il vivra dans sa passion où il portera à nouveau le poids si lourd, si terrible de nos péchés. Certaines icônes du Baptême de Jésus montrent très bien ce parallèle entre le baptême et la passion en présentant la descente dans le Jourdain comme une descente aux enfers. On pourrait presque dire que, à peine commencée, la mission de Jésus est déjà accomplie. Il était venu pour libérer les hommes esclaves du péché qui leur colle à la peau, ce péché, il l’a pris sur lui. Lui, le juste, sans péché, il a accepté que notre péché lui colle à la peau pour que nous en soyons libérés. C’est ce qu’exprimait très bien Paul dans la 2° lecture : « Il s’est donné pour nous afin de nous racheter de toutes nos fautes, et de nous purifier pour faire de nous son peuple, un peuple ardent à faire le bien. »
L’originalité du texte de Luc, c’est de nous montrer Jésus priant à la sortie de son Baptême. « Comme tout le peuple se faisait baptiser et qu’après avoir été baptisé lui aussi, Jésus priait. » Luc ne rate jamais une occasion de nous montrer Jésus en train de prier. Et à chaque fois, ces mentions sont absolument déterminantes, pensons à sa prière avant le choix des apôtres. Ici, cette mention est particulièrement suggestive. Jésus remonte de l’eau, chargé du péché des hommes, immédiatement, il prie comme pour dire à son Père : je ne peux porter tout cela seul, c’est tellement lourd. Par sa prière, il manifeste sa volonté de vivre tout son ministère dans une communion indéfectible avec son Père. Et c’est alors que le ciel s’ouvre et que l’Esprit-Saint se manifeste comme portant la Parole du Père. Je reviendrai sur cette Parole. Mais pour l’instant, arrêtons-nous sur cette manifestation trinitaire. J’aime bien dire, avec humour, qu’avant le commencement du temps, il y a eu une réunion au sein de la Trinité pour qu’ils puissent se partager le job. Le Père a dit : la création, ça me revient ! Le Fils a dit : le Salut, c’est moi qui m’y collerai, je descendrai sur terre et le Saint-Esprit a été tout heureux que les deux autres lui aient laissé la sanctification car ça lui va comme un gant de rendre les hommes saints. Il y a du vrai dans cette manière de présenter les choses, mais, en même temps, St Thomas d’Aquin nous dit que toutes ces grandes œuvres sont des œuvres communes à la Trinité même si chacune des personnes y est engagé de manière particulière. Au Baptême de Jésus, on le voit bien, le Père et le Saint-Esprit sont engagés aux côtés de Jésus pour qu’il puisse accomplir cette mission qui lui a été confiée de manière particulière.
Et on pourrait presque dire que cette manifestation trinitaire vient comme attester que l’opération Salut a bien commencé. Oui c’est ainsi qu’il fallait s’y prendre : il fallait que Jésus accepte de porter les péchés des hommes sur lui pour permettre à tous de vivre en Fils. C’est bien ce que dit la Parole du Père : « Toi, tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie. » Le mot grec qui a été traduit par joie, c’est un mot qu’on a du mal à traduire, certains parlent de faveur, d’autres de bienveillance, ici, c’est la joie. C’est sans doute tout cela à la fois. Ce qui est clair c’est que le ciel est parfaitement satisfait de la manière dont commence cette grande opération Salut déployée en notre faveur.