10 janvier : mercredi 1° semaine du temps ordinaire : quand les mots de la prière doivent être mis dans le bon ordre !

Avec ces premiers chapitres du premier livre de Samuel, nous sommes à la fin de la période des juges, juste avant l’instauration de la royauté, la 1° lecture de vendredi nous racontera comment ça s’est passé. Mais restons encore dans cette période des Juges. A l’entrée en terre promise, on le sait, le pays a été partagé, chacune des 11 tribus en recevant une part du pays. Je dis 11 tribus alors qu’il y en avait bien 12, mais, nous le savons, la tribu de Lévi, la tribu sacerdotale au sens large, elle n’a pas reçu de part car, nous dit le livre de Josué, sa part, ce fut le service du Seigneur. (Jos 13,14) C’est très beau et nous pouvons nous en souvenir quand nous sommes pris par la démangeaison de posséder ! Les autres tribus devaient donc veiller à ce qu’elle ne manque rien puisqu’elle n’avait pas de terre à cultiver ou sur laquelle elle aurait pu faire paître des troupeaux. Mais on imagine bien que cette partition du pays va être à l’origine de nombreux conflits de voisinage. C’est en grande partie pour régler ces conflits que les juges ont été institués. C’étaient des personnages hauts en couleurs, très charismatiques, ce sont leurs aventures que nous rapporte le livre des Juges. 

Cette période touche donc à sa fin, c’est ce que nous laisse entendre le début de la lecture que nous avons entendue : « La parole du Seigneur était rare en ces jours-là, et la vision, peu répandue. » A la grande époque des Juges, Dieu se manifestait régulièrement et il y en avait bien besoin, mais cette période est révolue. Du coup, on avait perdu l’habitude d’entendre le Seigneur, de repérer ses manifestations. « La parole du Seigneur était rare en ces jours-là, et la vision, peu répandue. » Il faudra donc toute la perspicacité du vieux prêtre Eli pour faire comprendre à Samuel que c’est le Seigneur qui l’appelle à travers cette voix qu’il ne pouvait pas reconnaitre puisqu’il ne la connaissait pas encore. Pour reconnaître, il faut d’abord connaître !

Le petit Samuel n’était donc pas encore très avancé sur le chemin de la foi, de la connaissance du Seigneur, mais il a bien compris ce qu’Eli lui a proposé de dire et il répète les bonnes paroles dans le bon ordre : « parle, Seigneur, ton serviteur écoute » Nous, avec les années, nous risquons d’avoir toujours les bonnes paroles, mais nous ne savons plus les redire dans le bon ordre ! Trop souvent, nous disons : « écoute, Seigneur, ton serviteur parle ! » Toutes les paroles sont bonnes, c’est l’ordre dans lequel nous les prononçons qui n’est plus bon ! Et quand on change l’ordre, ça change tout parce qu’on se met vite à donner des ordres au Seigneur ! Reconnaissons-le, la prière n’est pas toujours ce lieu où nous faisons silence pour écouter le Seigneur, pour nous laisser faire. C’est vrai souvent on entend dire : mais le Seigneur n’est pas bavard avec moi ! Si ça peut vous rassurer, avec moi non plus, il n’est pas bavard ! Mais, même s’il n’a rien à dire, nous pouvons rester en silence, goûtant la joie d’être en sa présence, Lui avec moi, moi avec Lui. Enfin, là encore j’en parle forcément mieux que je ne le vis ! Reconnaissons humblement que nos prières risquent de devenir des moments où nous convoquons le Seigneur pour qu’il nous écoute et qu’il nous obéisse vite ! « Ecoute, Seigneur, ton serviteur parle ! »

Quant à l’évangile, ce récit de la guérison de la belle-mère de Pierre, nous le connaissons bien. Peut-être qu’avec une lecture rapide, ce récit pourrait sembler un peu macho, pas très respectueux des femmes ! Voilà une bande de gars qui arrive à la maison, or la femme de la maison est couchée avec la grippe, qui va préparer le frichti ? Qu’à cela ne tienne, Jésus se sert de sa puissance, il guérit la belle-mère et elle peut les servir : ouf, on est passé près de la catastrophe !

Je fais tout de suite une mise au point. J’ai dit : la femme de la maison est couchée. On pourrait m’objecter qu’il devait y avoir la femme de Pierre. De fait, ceux qui défendent la possibilité pour les prêtres de se marier invoquent toujours ce texte en disant : Pierre avait une belle-mère, signe qu’il était marié. 

Oui, c’est sûr, pour avoir une belle-mère, Pierre était sans doute marié. De toutes façons, on le sait bien, le célibat dans cette culture orientale était « contre nature. » Mais il faut bien reconnaître que les évangiles sont plus discrets sur la femme de Pierre que la série « the chosen » que j’aime pourtant bien. 

Car la manière dont se passe ces événements pourrait bien laisser entendre que la belle-mère était la seule femme de la maison. La femme de Pierre était-elle morte, on n’en sait rien. Mais de même qu’on ne va pas fonder le célibat sur son absence, on ne peut réquisitionner ce texte pour fonder la légitimité du mariage des prêtres. En fait, le texte parle de tout autre chose et, de manière très étonnante, vous allez voir qu’il parle de la grandeur de la place de la femme. Mais il faut que vous m’accordiez encore quelques minutes pour vous en parler ! Et je dois saluer au passage, Claire Patier, cette exégète féminine dont j’aime lire les commentaires qui m’a ouvert à la compréhension de ce texte.

En aucun cas, ce texte ne nous présente un Jésus macho ! Il ne manquerait plus que ça que Jésus soit macho ! S’il guérit la belle-mère de Pierre, ce n’est pas parce qu’il aurait eu besoin d’une boniche pour le servir ! D’ailleurs, à plusieurs reprises, il a rappelé qu’il n’était pas venu pour être servi mais pour servir. Pour bien comprendre ce texte, il faut absolument le replacer dans son contexte et découvrir quelques versets plus haut qu’on est un jour de sabbat. Le texte que nous avions hier, nous présentait Jésus à la synagogue de Capharnaüm qui enseignait avec autorité le jour du sabbat. De fait, chaque sabbat, le samedi matin, il y a un office à la synagogue qui est structuré autour de la lecture de la Torah qui sera commentée, c’est ce que Jésus a fait. A la sortie de la synagogue, il y a un repas familial important, c’est sans doute pour prendre ce repas que Jésus est allé chez Pierre.

Certes, le repas le plus important, c’est celui de la veille au soir, quand on entre dans le sabbat. Et ce repas ne peut commencer que lorsque la maitresse de maison a allumé les lumières du shabbat et introduit la liturgie domestique. Eh bien, voilà le drame, dans cette maison puisque la femme était couchée, les lumières du shabbat n’avaient pas été allumées. Et, comment, dans ces conditions allait-on pouvoir conclure le shabbat ? En guérissant la belle-mère de Pierre, Jésus ne remet pas sur pied une femme pour qu’elle puisse servir cette bande d’hommes incapables de se débrouiller seuls ! En guérissant cette femme, Jésus lui permet de tenir sa place dans la maison pour que cette maison, comme toutes les maisons, grâce à ce que j’oserais appeler le ministère des femmes, puisse redevenir une maison de croyants où l’on prie, une maison éclairée par la présence du Seigneur. Il permet ainsi à cette maison de ne pas être une maison de païens, c’est-à-dire seulement un lieu où l’on se contente de manger et de dormir !

Merci Seigneur pour ce que tu as fait pour cette femme qui a retrouvé sa belle mission de service dans cette maison. Viens nous guérir, nous aussi, de toutes ces fièvres qui nous empêchent de tenir la place qui est la nôtre, d’accomplir la mission de service que tu nous as confiée.

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