Enfant prodigue bis : le silence du Père

En lisant les textes de ce dimanche un peu à l’avance, quand j’ai vu que l’évangile était une nouvelle fois le texte de l’enfant prodigue, je me suis dit : ça va être difficile ! Parce que, sur ce texte, j’ai déjà fait une homélie ici, il y a une quinzaine de jours, c’était pendant la retraite prêchée par l’abbé Constantin. Alors, c’est sûr, la plupart d’entre vous, vous ne m’avez pas entendu puisque vous étiez à la messe des retraitants, mais vraiment je ne me vois pas reprendre deux fois de suite la même homélie. Car ce texte d’évangile nous donne des sueurs froides parce que nous l’avons tous commenté des centaines de fois, alors nous nous demandons toujours comment nous allons pouvoir dire quelque chose de nouveau ! Le but, ce n’est pas de chercher la nouveauté pour la nouveauté mais de croire que l’Esprit-Saint veut encore nous souffler une parole nouvelle, une parole qu’il ne nous a jamais donnée. Le problème, c’est que, comme nous connaissons très bien ce texte, nous risquons de le lire trop vite sans nous laisser toucher par telle ou telle parole qui pourrait venir renouveler notre compréhension du texte. En méditant, en lisant, j’ai été arrêté par un détail que je n’avais encore jamais vu dans ce texte, merci St Esprit !

Ce détail est vraiment saisissant et, vous allez voir, c’est bien plus qu’un détail ! J’ai été touché par le silence du Père. Avez-vous remarqué qu’il n’y a aucune parole du père dans toute la 1° partie du texte ? Il ne dit rien quand le fils cadet demande sa part d’héritage, il ne dit rien quand il fait le partage, ni quand il part. Il ne dit rien tout au long de l’absence du fils cadet. Et chose encore plus surprenante, il ne dit rien quand son fils revient. La seule parole qu’il va prononcer, elle est pour les serviteurs, mais rien pour son fils. C’est quand même très étonnant, non ? Il va vraiment retrouver la parole pour s’adresser au fils aîné. Alors, je me suis posé la question : comment comprendre ce silence du père surtout au moment du retour tant désiré de son fils ?

Il y a des moments où on ne peut plus parler, tellement l’émotion est forte. Vendredi matin, ça a été le cas pour moi à la messe quand vous avez rendu grâce au Seigneur pour ma présence ! Eh bien, je crois que c’est une première manière de comprendre le silence du père. Il est tellement pris par l’émotion quand son fils demande sa part d’héritage et part, qu’il ne peut plus dire un mot. Il est tellement pris par le chagrin ; la souffrance le submerge tellement qu’il ne peut plus parler. S’il avait cherché à ouvrir la bouche, il n’aurait rien pu dire, ses paroles auraient été étouffées par ses sanglots. Ce silence du père est donc une manière de dire, sans aucune parole, son amour pour son fils cadet alors qu’on peut dire que la demande de ce fils et son départ sont comme un coup de poignard dans son cœur de père. En effet, la part d’héritage, on la reçoit à la mort du père, donc demander la part d’héritage, c’est comme faire mourir le père. Le père aurait donc pu protester, chercher à raisonner son fils. Mais, ce fils, il le connaissait bien, il devait avoir un tempérament un peu rebelle et il savait donc que toute parole était inutile et qu’elle viendrait encore aggraver la situation. Alors le père se tait et son silence n’est sûrement pas un signe d’indifférence. Ce silence ne signifie pas : fais ce que tu veux, puisque tu as pris ta part d’héritage, tu n’es plus mon fils, plus rien ne nous lie l’un à l’autre. Non, sûrement pas, ce silence, c’est la meilleure manière pour le père de dire encore son amour, un amour infiniment respectueux du choix du fils même si ce choix, le père ne le comprend pas. Voilà comment j’ai compris le silence au moment du départ du fils cadet. Comment comprendre son silence au retour du fils ?

Après tant de mois passés dans le silence, c’est vrai qu’on aurait pu imaginer un flot de paroles dans la bouche du père. Parce qu’on peut imaginer que ce silence il l’a gardé presque quotidiennement, à cause de son chagrin, du souci qu’il se faisait pour ce fils parti qui ne donnait aucune nouvelle, il n’avait plus goût à parler. En plus, avec ce que l’on sait du fils aîné, les conversations à table devaient être terribles pour le père. Parce que le fils ainé devait sans arrêt lui dire : mais arrête de te faire du souci, il n’en vaut pas la peine, il est parti, sors-le de ta tête et profite de la vie pour les années qui te restent à vivre ! Comment aurait-il pu sortir son fils de sa tête ? Alors, le père devait préférer rester en silence plutôt que de devoir s’expliquer quotidiennement avec ce fils aîné qui était comme dépourvu de sentiment à l’égard de son frère. Donc, privé de parole depuis de si longs mois, on aurait pu imaginer que le père se mette à parler, à parler comme les retraitants à la fin d’une semaine de silence ! Mais rien, aucune parole ne sort de sa bouche, pourtant le chagrin est fini puisqu’il sert son fils dans ses bras. Comment comprendre ce silence ?

Oui, c’est vrai, il sert son fils dans ses bras, mais dans quel état est son fils ? Oh ce n’est pas l’odeur des cochons qui s’est imprégné en lui et qui donnerait la nausée au père le rendant incapable de parler. Ce ne sont pas ses habits sales et déchirés, la crasse de ce fils qui lui font tellement honte qu’il n’ose même pas lui dire : mon fils ! Je crois que, dans ce moment, le père ne parle pas pour deux raisons. La première raison, c’est l’émotion, au départ, c’était à cause du chagrin qu’il ne pouvait plus parler, là, c’est à cause de l’émotion, de la joie qui submerge son cœur. S’il avait cherché à parler, les sanglots de joie auraient étouffé ses paroles. Mais il y a aussi une 2° explication parce que, à cette joie est mêlée une profonde souffrance. Son fils est dans ses bras, oui, mais dans quel état ! Son odeur, son apparence laissent deviner tout ce qu’il a pu souffrir, son odeur et son apparence sont comme des stigmates qui laissent deviner que l’épreuve a été terrible. Alors, quand son fils cadet est dans ses bras, le père ne pense plus à sa souffrance, à son chagrin, il ne voit plus que la souffrance de son fils et cette souffrance le rend muet comme elle nous rend muet, nous aussi. Nous en avons tous fait l’expérience, quand nous allons voir de grands malades, il n’y a rien à dire, toute parole risquerait d’être maladroite. Il n’y a rien à dire, il faut juste être là, prendre la main, accepter de ne pas partir trop vite, regarder la personne avec un regard d’amour et ce long silence est notre plus belle parole d’amour et de compassion. C’est ainsi qu’on peut interpréter ce silence du père au retour de son fils.

Alors, vous voyez, c’est important de comprendre cela car, parfois on se révolte contre Dieu, contre le silence de Dieu quand nous traversons des épreuves. Ce fut le grand reproche de Job à l’égard de Dieu, c’est ce qui questionne et fait souffrir tous ceux qui traversent des épreuves : Dieu semble se taire. Mais, avec ce que j’ai dit, nous avons la clé pour comprendre ce silence de Dieu, ce n’est jamais un silence d’indifférence, mais un silence de compassion. Dieu ne peut plus parler, ses sanglots ne lui permettent plus aucune parole. Oui, le silence de Dieu est le signe de son immense compassion. Cette compassion, elle nous était redite la semaine dernière dans la 1° lecture : j’ai vu, la misère de mon peuple et vous aviez remarqué que le texte insistait : j’ai vu, oui, j’ai vu la misère de mon peuple, j’ai entendu ses cris, je connais sa souffrance. Le silence de Dieu est la plus grande marque de sa compassion.

Tout cela est très beau, mais on aimerait aussi que Dieu se bouge pour faire quelque chose pour nous quand on est dans l’épreuve ! Eh bien cette parabole va nous rassurer : Dieu se bouge, il ne reste pas inactif, saisi par l’émotion. Et nous allons voir comment Dieu se bouge. Je vous ai dit au début de mon homélie que le père allait retrouver la parole pour s’adresser aux serviteurs. C’est vraiment étonnant, aucune parole pour le fils, les premières paroles sont pour les serviteurs. Oui mais quand on écoute vraiment ces paroles ont se rend compte qu’elles sont vraiment extraordinaires ! « Vite, apportez le plus beau vêtement pour l’habiller, mettez-lui une bague au doigt et des sandales aux pieds, allez chercher le veau gras, tuez-le, mangeons et festoyons, car mon fils que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé. »

Le plus beau vêtement, il faut vite effacer les traces de l’épreuve, le père redonne toute sa dignité à son fils qui devait tellement avoir honte de son apparence extérieure. On a déjà honte, nous, quand on découvre qu’on a une tache sur notre vêtement, alors on peut imaginer la honte de ce fils à cause de son apparence. Le père aurait pu lui dire : tu vas rester quelques jours encore dans cet état, ça te permettra de réfléchir à ce que tu as fait, à ce que tu m’as fait souffrir ! Mais, non, rien de tout cela : vite, apportez le plus beau vêtement pour l’habiller ! Et les sandales, c’est pareil, les esclaves, les serviteurs pouvaient marcher pieds nus, pas les fils. Avec les sandales, il redonne aussi toute sa dignité de fils. Et puis, il y a surtout la bague, ce n’était pas qu’un bijou, c’était aussi ce qui permettait de signer des accords. Sur la bague, il y avait le sceau de la famille et vous savez, on faisait couler de la cire sur le papier à signer et sur la cire encore chaude, on appliquait la bague qui servait de sceau et qui authentifiait la signature. Le fils parti a tout dépensé et pourtant le père lui redonne la signature et le chéquier ! Enfin, c’est le veau gras, le menu de fête et une fête organisée sans préparation mais pour laquelle rien ne sera trop beau … le père a perdu la tête ! Ce père, il ne dit rien, mais il ne reste pas inactif, il fait tout ce qu’il faut pour mettre fin à l’épreuve de son fils. Tout cela, c’est comme s’il lui disait : « j’ai vu, oui, j’ai vu ta misère, j’ai entendu tes cris, je connais ta souffrance. »

Oui, tout cela est très beau mais quand même, pourquoi le père a-t-il choisi de réserver ses premières paroles aux serviteurs et pas à son fils ? Rappelons-nous bien que c’est une parabole que Jésus raconte, donc une histoire par laquelle il veut nous aider à comprendre ce qu’un discours aurait du mal à expliquer. Et cette parabole, il la raconte pour les scribes et les pharisiens qui lui reprochent de faire bon accueil aux pécheurs. Eh bien, c’est comme si Jésus leur disait : je suis ce serviteur que Dieu a envoyé ! Si je leur fais tant de bien, c’est parce que leurs péchés les ont plongés dans une grande souffrance … oui, ils ont fait souffrir Dieu comme ce fils a fait souffrir son père, mais Dieu a tout oublié de ses souffrances pour ne plus voir que leurs souffrances à eux. Dieu a décidé de tout oublier de leur passé et de les revêtir à nouveau de leur dignité d’enfants bien-aimés. Et comme dans cette histoire, il envoie les serviteurs pour accomplir cela, il m’a envoyé, moi, Jésus pour accomplir cela. Et j’aimerais tellement que vous m’aidiez dans cette mission, mais, hélas, vous, vous comportez comme le fils aîné incapable de se réjouir du retour d’un frère parti.

Voilà pourquoi dans la parabole, le père ne dit rien à son fils, tout ce qu’il aurait aimé dire, il le dit en actes et il le dit par les serviteurs. Et dans l’histoire du Salut puisque c’est de cette histoire que nous parle la parabole, le serviteur par excellence, c’est Jésus. Tout ce qu’il a dit, tout ce qu’il a fait, il l’a dit et fait au nom du Père pour manifester la compassion du Père. Et ça continue ! Et Jésus compte sur nous, maintenant, pour que nous soyons ces serviteurs qui agiront au nom du Père pour manifester sa compassion à tous ceux qui sont dans l’épreuve et qui souffrent du silence de Dieu. C’est à nous que le Père du ciel dit aujourd’hui en voyant tous ceux qui sont dans l’épreuve, dans le péché : « Vite, apportez le plus beau vêtement pour les en habiller, mettez-leur une bague au doigt et des sandales aux pieds, allez chercher le veau gras, tuez-le, mangeons et festoyons, car mes enfants étaient morts, et, par vous, ils sont en train de revenir à la vie ; ils étaient perdus, et vous me les avez retrouvés. » Le Père a besoin de nous, ne soyons pas comme le fils ainé !

Merci St Esprit de m’avoir fait découvrir tout cela car, depuis longtemps, je disais que cette parabole devrait s’appeler la Parabole du père plein d’amour mais là tu m’as vraiment fait comprendre jusqu’où va l’amour du Père.

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