Hier, en raison de la fête du Baptême de Jésus, nous avons raté le tout début de l’histoire de Samuel qui racontait la détresse de cette femme, Anne qui ne pouvait avoir d’enfants. Elle était bien la femme préférée de son mari qui avait deux épouses, mais elle n’avait pas d’enfants et c’était un drame pour elle, d’autant plus que sa rivale ne ratait jamais une occasion de l’humilier … un bon texte pour justifier la monogamie s’il en était besoin ! A partir du texte d’aujourd’hui, il y a un point que je voudrais souligner
J’aime beaucoup ce détail qui nous est donné sur la prière d’Anne, le texte disait : « Anne parlait dans son cœur, seules ses lèvres remuaient, et l’on n’entendait pas sa voix. » C’est-à-dire qu’elle priait avec tellement d’ardeur qu’elle ne pouvait pas contenir sa prière, elle faisait un effort pour que les mots ne s’entendent pas, mais les lèvres remuaient tellement sa prière était ardente. Il est bien possible que le prêtre Eli qui demeurait dans le sanctuaire priait avec beaucoup moins de ferveur, il est même possible qu’il piquait régulièrement du nez durant sa prière ! Eh bien, au lieu d’admirer cette femme qui restait des heures éveillées en prière, au lieu de chercher à savoir ce qu’elle était en train de vivre qui devait sûrement être terrible puisqu’elle était comme scotchée dans ce sanctuaire, le prêtre Eli porte un jugement sur elle : cette femme est ivre et il veut la renvoyer sans ménagement. Quelle méprise ! En fait, c’est elle, une pauvre femme qui est en train de donner une leçon de prière à celui qui, en tant que prêtre, devait se considérer et était considéré comme un spécialiste de la prière !
Que de jugements téméraires, il peut nous arriver de poser nous aussi sur des personnes ! Nous jugeons si régulièrement, dans notre cœur et parfois pas que dans notre cœur en proférant, comme Eli, des paroles blessantes sans chercher à connaître l’histoire de ces personnes que nous jugeons.
Chacun de nous pourrait sans doute raconter une anecdote montrant comment, dans son ministère, il avait pu se tromper sur telle ou telle personne à cause d’un jugement porté trop rapidement en raison du faciès d’une personne ou en raison de ses attitudes ou encore à cause de ses paroles pas immédiatement ajustées à ce que nous aimons entendre ! Que de jugements apriori qui nous empêchent d’entrer dans une relation vraie avec des personnes ! Ces jugements a-priori sont un véritable poison, que le Seigneur nous en délivre !
Quant à l’Évangile, vous avez entendu par deux fois le mot autorité pour qualifier l’enseignement de Jésus. Je cite : « On était frappé par son enseignement, car il enseignait en homme qui a autorité. » « Qu’est-ce que cela veut dire ? Voilà, un enseignement nouveau, donné avec autorité ! » Qu’est-ce qui donne une telle autorité à l’enseignement de Jésus ? Et qu’est-ce que l’autorité ?
L’autorité, vous le savez, c’est la capacité de faire grandir les autres. C’est ce que suggère l’étymologie de ce mot. Ainsi donc, tous ceux qui reçoivent une autorité que ce soit dans une famille, dans une école, dans la société, dans l’Eglise reçoivent, en fait, cette mission de faire grandir ceux qui leur sont confiés. On entend encore bien cette définition dans l’utilisation de l’expression « élever ses enfants. » Il faut visualiser ce qu’il y a derrière ce verbe « élever » il s’agit bien de faire grandir. Nous pourrions donc prier pour nous et pour tous ceux qui ont reçu une autorité à quelque niveau que ce soit afin que nous et eux restions bien conscients de l’enjeu de cette mission. Demandons pour nous, pour eux cette grâce de pouvoir faire grandir tous ceux qui nous sont confiés, qui leur sont confiés. Voir grandir celui qui nous est confié, c’est la plus belle récompense qui puisse nous être donnée, même si elle se traduit parfois un éloignement de cette personne car, un jour, il faudra bien couper le cordon.
Si le pape dénonce si souvent le cléricalisme, c’est précisément parce qu’il est un dévoiement de cette notion d’autorité, en effet, le cléricalisme, c’est de l’autoritarisme. Or si l’autorité bien exercée fait grandir, l’autoritarisme casse les personnes, les maintient en situation d’infériorité. Nous pouvons tous nous interroger car, chacun de nous, nous possédons un peu d’autorité dans le domaine des responsabilités qui nous ont été confiées. Mettons sous le regard du Seigneur cette part d’autorité qui nous est confiée et demandons au Saint-Esprit de nous faire voir ce qui n’est pas ajusté dans notre manière de l’exercer.
Il est clair que Jésus, lui, il a su exercer cette autorité que le Père lui avait confiée sans jamais écraser, il a toujours cherché à faire grandir, d’abord ses apôtres avec qui il a passé tant de temps, et aussi tous ceux qu’il rencontrait. C’est d’ailleurs très intéressant de voir que, à propos de cette autorité, l’évangile que nous avons entendu, explique que Jésus n’enseignait pas comme les scribes. Et l’Evangile de conclure que c’était précisément ce qui lui donnait une véritable autorité.
On le sait, dans le judaïsme de l’époque, ce qui donnait autorité à un enseignement, c’est le fait qu’il était appuyé sur la Tradition. C’est-à-dire qu’il fallait prouver que le grand maître rabbi Untel le disait déjà et qu’il le tenait lui-même de rabbi Untel. Il fallait donc pouvoir mettre sous le patronage des rabbis les plus prestigieux ce que l’on disait et c’est ainsi que sa propre parole pouvait avoir de l’autorité. C’est donc ce que faisaient les scribes.
Jésus, lui, il n’a jamais cité tel ou tel rabbi et pourtant, ses auditeurs sont admiratifs devant l’autorité de sa Parole. Cela signifie clairement qu’ils avaient compris que la force de cette Parole ne puisait pas sa source dans la répétition de la tradition, elle venait directement de Dieu, c’est Dieu, lui-même qui donnait autorité aux paroles de Jésus. De fait, on sent bien quand une parole est vraie, quand elle vient du cœur, ce lieu intime dans lequel Dieu se sent si bien. A l’inverse, on sent aussi très bien quand quelqu’un ne fait que répéter ce qu’il a entendu et qu’il le répète avec plus ou moins de convictions, plus ou moins de bonheur.
Il y a encore un autre élément qui donne de l’autorité à la Parole de Jésus, c’est ce qu’on appelle aujourd’hui le côté performatif de sa Parole, c’est-à-dire que, sa Parole, elle fait ce qu’elle dit. Jésus est venu pour apporter la libération annoncée par Dieu, il ne se contente pas de le dire, il agit en conséquence comme nous le montre cet évangile. L’autorité, elle vient donc aussi de la cohérence entre nos paroles et les actes que nous posons. Au procès de canonisation du curé d’Ars un de ses paroissiens dira : « notre curé, il faisait ce qu’il disait ! » Voilà ce qui donne autorité à une parole.
Eh bien, demandons, pour nous et pour tous ceux qui exercent une autorité, cette capacité à dire des paroles qui sortent vraiment du cœur, des paroles marquées de ce label de vérité : nous faisons ce que nous disons ! C’est ainsi que nous pourrons faire grandir tous ceux que sont confiés à notre autorité dans l’exercice de nos responsabilités qu’elles soient petites ou grandes.
Amen