Comme il nous est bon, chaque année, de méditer sur la conversion de St Paul. C’est le nom qu’on a donné à cette fête, pourtant à y regarder de près, ce nom semble bien étonnant. Habituellement, on parle de conversion pour désigner l’itinéraire de quelqu’un qui ne croyait pas en Dieu, qui se reconnaissait athée et qui, plus ou moins subitement, va devenir croyant. Ce n’était pas du tout le cas de Paul ! Dans le judaïsme, il était plutôt un croyant exemplaire. Quand il voudra présenter qui il était, avant l’événement du chemin de Damas, voilà ce qu’il disait : circoncis dès le huitième jour, de la race d’Israël, de la tribu de Benjamin, Hébreu fils d’Hébreux ; quant à la Loi, un pharisien ; quant au zèle, un persécuteur de l’Eglise ; quant à la justice que peut donner la Loi, un homme irréprochable » (Ph 3, 4-6). On trouve cela dans la lettre aux Philippiens. Le père Cantalamessa, commentant ces titres dira : il s’agissait des plus hauts titres de sainteté d’alors. Avec eux, on aurait pu ouvrir sur-le-champ le procès de canonisation de Paul dans le judaïsme.
Alors, pourquoi parler de conversion de Paul alors qu’il était un véritable saint dans le judaïsme ? Eh bien parce qu’avant l’événement du chemin de Damas Paul était sans doute un religieux extraordinaire, mais était-il croyant ? La question se pose ! Comme tous les juifs, il essayait, autant que faire se peut de respecter la loi jusque dans ses détails, il priait 5 fois par jour, il connaissait les 150 psaumes par cœur et tant d’autres passages des Ecritures. Il était un religieux exemplaire, mais était-il vraiment croyant ? Et vous comprenez que la question est redoutable parce qu’elle nous concerne tous ! Nous pouvons, nous aussi, être des religieux exemplaires, cocher toutes les cases, comme on dit aujourd’hui : participation aux offices, je coche la case ; participation à la messe, je coche la case ; partage, j’essaie de cocher la case ; miséricorde, j’essaie de cocher la case.
Mais tout cela peut rester purement extérieur sans que mon cœur ne soit vraiment engagé. Et même pire, Ste Thérèse d’Avila explique que ça peut nous faire complètement dévier puisque nous allons plus aimer le service que nous accomplissons pour Dieu que Dieu que nous servons ! Nous aimons nous regarder servir ; tout ce que nous faisons si bien nous contente tellement que, peu à peu, nous sommes au centre de tout, nous soignons notre image, nous cherchons à la perfectionner sans cesse. Peu à peu c’est ce glissement insidieux qui peut se produire. C’est sans doute ce qui s’est passé pour Saul, il était un religieux exemplaire, mais, ça, ça ne contentait pas le cœur de Dieu. D’autant plus qu’en voulant devenir un religieux de plus en plus exemplaire, on va vite devenir intolérant. Cherchant à éliminer toute médiocrité de sa vie, on risque de déraper en voulant éliminer tous les médiocres. C’est ce qu’a fait Saul qui persécutait les chrétiens qu’il considérait justement comme des croyants médiocres.
Alors, le Seigneur va se révéler à Saul pour l’aider à prendre conscience de la profondeur et de la gravité de son égarement. Et avec des gaillards aussi solides, le Seigneur n’ira jamais avec le dos de la cuiller, en prenant des gants ! Le texte des Actes nous dit que Paul tombe à terre, c’est-à-dire qu’il y a un effondrement qui se produit. Tout ce sur quoi Paul avait bâti sa vie s’écroule en un instant et on peut dire, même si la formule demanderait à être nuancée, que Paul passe de la religion à la Foi. Il rencontre Jésus et tout bascule, c’est ce dont témoignent, aujourd’hui encore, les catéchumènes, parlant d’un avant et d’un après. Le pape Benoit XVI avait magnifiquement résumé cela au tout début de son encyclique Deus Caritas est en disant : « À l’origine du fait d’être chrétien il n’y a pas une décision éthique ou une grande idée, mais la rencontre avec un événement, avec une Personne, qui donne à la vie un nouvel horizon et par là son orientation décisive »
Tant qu’il n’y a pas cette rencontre avec Jésus, qui peut se faire de 1000 et une manières différentes, on risque bien d’être des personnes religieuses, parfois exemplaires, mais pas forcément des croyants. On l’a vu avec Saul qui cochait toutes les cases et à qui le Seigneur va faire comprendre qu’être croyant ce n’est pas ça. Benoit XVI avait raison : À l’origine du fait d’être chrétien il n’y a pas des idées sur Dieu, il n’y a pas l’engagement dans un système, mais la rencontre avec un événement, avec une Personne, qui donne à la vie un nouvel horizon et par là son orientation décisive.
Georges Brassens le chantait à sa manière d’incroyant : Mourir pour des idées, d’accord, mais de mort lente. On ne donnera jamais sa vie pour des idées, mais pour quelqu’un. Les martyrs n’ont pas donné leur vie pour défendre une idée du christianisme, mais pour Jésus. S’il n’y a pas eu une vraie rencontre de Jésus, notre foi restera toujours infirme, nous n’irons pas jusqu’au bout. Nous avons donc, nous aussi, de manière permanente à vivre cette conversion qu’a vécue St Paul. Parce que, ça ne sera jamais fait une fois pour toutes. Certes, il y a toujours un moment décisif qui se vit de manière extraordinaire ou toute simple, mais ensuite, il faudra rester vigilants en permanence pour ne pas se satisfaire de cocher les cases, pour ne pas vouloir donner des leçons à ceux qui ne nous semblent pas cocher suffisamment de cases !
En cette fête de la conversion de Paul, demandons, par l’intercession de Notre Dame de Laghet de pouvoir vivre et revivre cette conversion. C’est à cette conversion qu’appelait le pape François au début de son exhortation Evangelii Gaudium. J’invite chaque chrétien, en quelque lieu et situation où il se trouve, à renouveler aujourd’hui même sa rencontre personnelle avec Jésus Christ ou, au moins, à prendre la décision de se laisser rencontrer par lui, de le chercher chaque jour sans cesse. Il n’y a pas de motif pour lequel quelqu’un puisse penser que cette invitation n’est pas pour lui, parce que « personne n’est exclus de la joie que nous apporte le Seigneur ». Celui qui risque, le Seigneur ne le déçoit pas, et quand quelqu’un fait un petit pas vers Jésus, il découvre que celui-ci attendait déjà sa venue à bras ouverts. C’est le moment pour dire à Jésus Christ : « Seigneur, je me suis laissé tromper, de mille manières j’ai fui ton amour, cependant je suis ici une fois encore pour renouveler mon alliance avec toi. J’ai besoin de toi. Rachète-moi de nouveau Seigneur, accepte-moi encore une fois entre tes bras rédempteurs ». Cela nous fait tant de bien de revenir à lui quand nous nous sommes perdus ! J’insiste encore une fois : Dieu ne se fatigue jamais de pardonner, c’est nous qui nous fatiguons de demander sa miséricorde. Celui qui nous a invités à pardonner « soixante-dix fois sept fois » (Mt 18, 22) nous donne l’exemple : il pardonne soixante-dix fois sept fois. Il revient nous charger sur ses épaules une fois après l’autre. Personne ne pourra nous enlever la dignité que nous confère cet amour infini et inébranlable.