16 février : vendredi après les cendres : jeûner de manière authentique

Nous sommes le vendredi qui suit les Cendres, il ne faut donc pas nous étonner que les textes de la liturgie nous invitent à revisiter les fondamentaux qui nous ont été donnés le jour du mercredi des Cendres qui sont la prière, le partage et le jeûne. 

Aujourd’hui, c’est surtout la dimension du jeûne qui semble évoquée, pourtant les deux autres ne sont pas totalement absentes. On peut même dire que les textes nous invitent à bien mettre le jeûne en relation avec le partage, c’est ce que fera la 1° lecture et le jeûne avec la prière, c’est ce que fera l’évangile. Parce qu’il peut y avoir un risque avec le jeûne qui n’existe pas avec les deux autres fondamentaux que sont la prière et le partage. En effet, la prière nous met en relation avec le Seigneur, le partage nous met en relation avec les autres alors que le jeûne nous tourne vers nous-mêmes. On comprend donc que la Parole de Dieu nous invite à la vigilance parce que, si nous sommes trop tournés sur nous-mêmes, nous passerons à côté de l’objectif fondamental du carême qui est de nous rapprocher du Seigneur en nous rapprochant des autres parce que les deux sont toujours indissociables, comme les deux faces d’une même pièce.

La première lecture nous montre les risques d’un jeûne hypocrite. Et vous savez qu’aujourd’hui, on a l’habitude d’élargir la notion de jeûne en parlant plus de privation, ce qui nous permet d’ailleurs d’avoir un moyen mnémotechnique pour retenir facilement les 3 fondamentaux du carême que l’on désigne par « les 3 P » Prière, partage, privation. Oui, il est sûrement bon d’élargir la conception du jeûne car, chez tous ceux qui ont un appétit d’oiseau, le jeûne alimentaire n’est pas une grande privation ! Ce n’est pas non plus une vraie privation pour ceux qui transforment le jeûne en pratique d’hygiène de vie. Je sais qu’en Suisse, il existe une maison spécialisée dans le jeûne, au bord du lac de Constance. Une semaine de jeûne, dans cette maison, vous coûtera entre 2.500 et 3.000 € ! Vous comprenez que, dans ces conditions, il est difficile d’associer jeûne et privation … même si vous ne mangez pas grand-chose !

C’est bien ce que dénonce Isaïe, même si, à son époque, on n’avait encore pas perdu la tête pour proposer de telles absurdités ! Mais, vous voyez, il est bien là le risque du jeûne et de la privation de manière plus générale, c’est de se donner bonne conscience. J’ai décidé de ne consulter mon smartphone qu’une fois par jour, je tiens, je suis fier de moi ! Oui, mais si ça n’a rien changé à ton mauvais caractère, c’est inutile ! Et, si ça te rend orgueilleux et donneur de leçons, c’est même contre-productif ! On peut tout bien faire, se priver et se priver encore pour cocher toutes les cases des efforts que nous avons programmés et régresser sur le plan spirituel puisque nous progressons dans la satisfaction sur nous-mêmes. La privation étant une action sur moi-même, elle devra donc toujours être interrogée et mise en lien avec les deux autres fondamentaux que sont le partage et la prière qui vont nous mettre en relation avec les autres et avec Dieu.

Isaïe le disait avec force dans la 1° lecture, un jeûne, une privation qui ne serait pas orientée vers le partage perd tout son sens, n’a aucune valeur. Un fumeur chrétien qui se priverait de cigarettes et qui, avec l’argent économisé se paierait un bon restau à la fin du carême, ça serait grotesque. A chacun de nous de voir quelle privation lui permettra de mieux se tourner vers les autres. Peut-être que je peux me priver d’un moment d’écoute de musique pour passer un coup de fil à quelqu’un qui aurait besoin de parler. Peut-être que je peux me priver d’acheter un vêtement dont je n’ai pas besoin et donner cet argent à une œuvre, parce que, si je garde l’argent en disant juste que je me prive, cette privation n’a aucune valeur ! De même pour la privation de nourriture, je peux aussi partager l’argent économisé et puis, il peut être bon, de temps en temps, d’expérimenter ce que vivent tant de personnes qui se lèvent le matin la faim au ventre et qui se coucheront avec une faim encore plus grande puisqu’ils n’auront rien eu à manger. Cette communion dans la souffrance a toute sa valeur parce qu’elle me tourne vers les autres et qu’elle me rendra sûrement plus généreux.

Le texte d’Isaïe nous secoue donc pas mal ! Mais il comportait aussi une merveilleuse promesse : Si tu vis le jeûne dans cette perspective de partage, alors ta lumière jaillira comme l’aurore, et tes forces reviendront vite. Devant toi marchera ta justice, et la gloire du Seigneur fermera la marche. Alors, si tu appelles, le Seigneur répondra ; si tu cries, il dira : « Me voici. »

Allons plus loin car le jeûne ne doit pas seulement nous tourner vers les autres, il doit aussi nous tourner vers le Seigneur. Il me semble que c’est ainsi que l’on peut comprendre l’image de l’époux que Jésus s’attribue pour répondre aux disciples de Jean-Baptiste qui s’offusquent de voir à quel point les apôtres sont de bien mauvais pratiquants puisqu’ils ne jeûnent pas avec sérieux ! Jésus leur répond donc qu’être pratiquant sans être vraiment croyant, ça n’a pas beaucoup d’intérêt ! Tant que l’époux est là, il y a mieux à faire que de jeûner, que de vérifier si toutes nos pratiques sont bien règlementaires. Le plus important, c’est d’être avec lui, de goûter sa présence d’être présents à sa présence. Retenons la leçon pour nous, quand l’époux est là, l’essentiel, c’est d’être présent. Et à chaque fois, que nous venons dans une chapelle, dans une église, l’époux est là ! A chaque fois que nous participons à la messe, l’époux est là ! Mais moi, suis-je présent à sa présence ? Si, par la privation, je cherche à me désencombrer, c’est aussi pour que le Seigneur puisse retrouver sa vraie place dans ma vie.

Que Notre Dame de Laghet nous obtienne cette grâce de savoir articuler harmonieusement privation, partage et prière pour que ce carême soit vraiment un temps qui nous fasse grandir dans l’amour en nous rapprochant du Seigneur et des autres.

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