3 avril : un esclave cloué … ce combat n’est pas le tien

« C’est pour un blasphème que nous voulons te lapider : tu n’es qu’un homme, et tu te fais Dieu. » Cette parole des juifs fait suite à celles que nous avons entendues hier dans la controverse qui les oppose à Jésus. Je ne veux pas redire ce que j’ai dit hier, mais c’est parce qu’ils avaient un sens tellement grand de la transcendance de Dieu qu’ils ne pouvaient pas ne pas imaginer que Jésus était un imposteur et pire un blasphémateur. 

Il nous faut entendre ce qu’ils veulent dire : Dieu est tellement grand et l’homme tellement petit qu’il est impensable qu’ils puissent être unis dans une même personne. D’un certain point de vue, ils ont raison, c’est impensable, ça défie la raison. Nous nous sommes sans doute trop habitués à ce grand mystère de l’Incarnation et je me mets bien dans le lot. Dans la méditation du chemin de croix, la semaine dernière, je reprenais une parole du cardinal Marty qui aimait dire qu’en s’incarnant, le Seigneur n’était pas venu faire trempette du bout des pieds dans notre humanité. Il a voulu aller jusqu’au bout par amour.

En écrivant ces lignes dans la préparation de cette homélie m’est revenue en mémoire le saisissement de Bakhita, la sœur Joséphine Bakhita. La semaine dernière, nous étions quelques uns à regarder le film qui racontait sa vie. Mais, c’est en lisant le livre de Véronique Olmi que j’avais été saisi. Je suis obligé de résumer et je souligne juste que, lorsque Bakhita a été capturée, en n’étant encore qu’une enfant, elle a connu l’enfer. On déplaçait ces esclaves pour aller les vendre sur les marchés les plus rentables. Ils étaient alors enchainés les uns aux autres, mal nourris, ayant peu à boire et devant marcher toute la journée sous le soleil. Pour n’importe quel prétexte, certains recevaient des coups de fouets qui les blessaient profondément et ces blessures pouvaient s’infecter, d’autres attrapaient des maladies. Dans ces conditions-là, ils ne pouvaient plus suivre le rythme de la caravane d’esclaves, alors on les détachait, mais on ne les laissait, épuisés au bord du chemin, mourir de faim et de soif. Les marchands d’esclaves avaient trop peur que quelqu’un puisse les récupérer, les soigner et se servir d’eux sans les avoir payés. Alors, ils avaient trouvé un moyen pour s’en débarrasser afin qu’ils ne ralentissent plus le rythme des autres mais en étant sûrs que personne ne pourrait les récupérer : ils les clouaient à un arbre ! Et ils obligeaient tous les esclaves à assister au spectacle en leur expliquant que s’ils tombaient malades ou s’ils cherchaient à s’échapper, ils finiraient de cette manière.

Celles d’entre vous qui connaissent sa vie, vous savez qu’après avoir connu tant et tant de malheurs, par les méandres de ce qu’on est bien obligé de nommer la Providence, elle va arriver comme esclave dans la maison d’un consul. C’est là où le livre et le film relatent des événements différents, mais après tout, peut-être sont-ils complémentaires. Dans le livre, il est dit qu’elle va rencontrer un ami du consul, très chrétien et que c’est lui qui va lui donner l’envie d’être baptisée. Cet homme, un jour, va lui remettre un petit crucifix dans le creux de sa main. Elle comprend plus ou moins ses explications quand il lui donne cet objet si étonnant qui lui rappelle tant de mauvais souvenirs, mais elle le garde précieusement puisque c’est son 1° cadeau.

Avançant dans la vie, après bien des péripéties, elle va aller dans un couvent dont la vocation est de préparer des adultes au Baptême parce qu’elle veut vraiment être baptisée, même si elle ne connait encore rien à la foi ! 

Le 1° jour où elle est dans ce couvent, elle attendait l’heure du repas, les religieuses, elles étaient à la chapelle et chantaient l’office, par curiosité, elle s’y rend juste pour les voir et les écouter, elle trouvait les chants étaient beaux. Et là, elle a la surprise de sa vie ! Elle voit en grand ce que représentait son cadeau en miniature. Il y a un grand crucifix dans cette chapelle et là, immédiatement, elle se demande : pourquoi exposent-elles, comme ça, un esclave cloué ? Il faut comprendre son étonnement : ces religieuses qui sont si bonnes avec elle, pourquoi ont-elles un esclave cloué dans leur chapelle ? 

Evidemment, elle va poser la question et, très vite, elle va tout comprendre. Bakhita, sans avoir jamais lu St Paul, est en train de comprendre que Christ a pris la condition d’esclave pour nous libérer du péché, du mal et de la mort. « Il m’a aimé et il s’est livré pour moi. » Elle est en train de comprendre ce grand mystère de la kénose, le mystère de l’abaissement de Dieu en Jésus si bien explicité par Paul dans ces versets de l’hymne aux Philippiens que nous aurons l’occasion de méditer la semaine prochaine : « Le Christ Jésus, ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti, prenant la condition d’esclave. » Si dans le Premier Testament, Dieu a sauvé son peuple avec des coups d’éclat comme le passage de la Mer Rouge, s’il les a sauvés à main forte et à bras étendu, en Christ c’est une toute autre méthode qu’il a déployée : il s’est anéanti, prenant la condition d’esclave.

Que le Saint-Esprit nous accompagne pour que ces jours saints dans lesquels nous allons entrer ne soient pas simplement une semaine de plus. Qu’il nous aide, à la manière de Bakhita que nous pouvons aussi invoquer à retrouver une vraie fraicheur de la foi, une stupeur émerveillée, comme dirait le père Nicolas Buttet.

Juste un mot sur la 1° lecture. Samedi dernier, je vous donnais des clés de lecture pour parcourir, avec profit, le livre de Jérémie. Vous avez sans doute remarqué que nous avions mot pour mot la même demande de Jérémie : « Seigneur de l’univers, toi qui scrutes l’homme juste, toi qui vois les reins et les cœurs, fais-moi voir la revanche que tu leur infligeras, car c’est à toi que j’ai remis ma cause. » Je ne reviens donc pas sur cette demande. Je veux juste souligner un autre verset qui nous montre où Jérémie puisait la force de faire face aux innombrables difficultés auxquelles il était confronté : Je cite : « Mais le Seigneur est avec moi, tel un guerrier redoutable : mes persécuteurs trébucheront, ils ne réussiront pas. Leur défaite les couvrira de honte, d’une confusion éternelle, inoubliable. » J’aime cette parole : « le Seigneur est avec moi, tel un guerrier redoutable. » Ces mots nous assurent que, si nous le prenons avec nous, le Seigneur va combattre en nous, pour nous et c’est parce qu’il se fait à ce point notre allié que nous pourrons être victorieux. Oui, c’est inouï de penser que le grand mystère de l’Alliance signifie tout simplement que Dieu promet d’être notre allié en toute circonstance. Et, il n’est pas un allié qui nous soutient de loin, il combat avec nous, en nous, pour nous. En méditant cela, j’ai tout de suite repensé à ce magnifique verset du 2° livre des chroniques (20,15). Le peuple des hébreux est confronté à un combat périlleux, l’adversaire est bien plus fort, alors un lévite se lève et sous le coup d’une inspiration va s’écrier : « Ainsi vous parle le Seigneur : Ne craignez pas, ne vous effrayez pas devant cette foule immense ; car ce combat n’est pas le vôtre, mais celui de Dieu. » Ce verset va inspirer le titre du très beau livre de Paulette Boudet : « ce combat n’est pas le tien. » 

Quand nous avons l’impression d’être dépassés, que les obstacles qui se dressent devant nous sont bien trop importants, que nous n’en pouvons plus de combattre, rappelons-nous que le Seigneur est notre allié et qu’il nous dit : ce combat n’est pas le tien, si tu l’acceptes, c’est moi qui vais combattre en toi ! Puissions-nous avoir l’humilité de reconnaître que certains combats nous dépassent et la foi suffisante pour faire appel à notre allié qui ne cesse de nous dire : ce combat n’est pas le tien !

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