Dernier jour de la retraite prêchée aux frères dominicains
« C’est pourquoi, après avoir disposé votre intelligence pour le service, restez sobres, mettez toute votre espérance dans la grâce que vous apporte la révélation de Jésus Christ. » Pour reprendre l’expression du psaume d’hier : « Le Seigneur a donné des vivres à ses fidèles » c’est cette parole que j’ai retenue comme étant les vivres que le Seigneur me donnait et m’invitait à vous partager.
Soulignons d’abord cette invitation à disposer nos intelligences pour le service. Je me suis demandé si j’allais me permettre cette audace et puis je me suis dit qu’en fin de retraite, je le pouvais et que ça vous ferait éventuellement une chose supplémentaire à me pardonner en plus de vous avoir fatigué tous ces jours ! Cette audace, c’est de vous lire encore un extrait du livre de votre confrère sur les démons de poche. Voilà ce qu’il écrit : « Nous les dominicains, avons la réputation d’être des intellectuels. Réputation surfaite, mais ne le répétez à personne ! D’ailleurs qu’est-ce que ça veut dire « intellectuels » ? Non pas que nous passons notre vie à lire et à enseigner, encore que ce soit vrai pour certains d’entre nous, mais à donner des leçons, ça sûrement ! » Eh bien, l’une des manières pour nous tous de ne pas tomber dans ce travers de donner sans cesse des leçons, c’est de suivre et de mettre en oeuvre l’encouragement de Pierre quand il nous dit : disposez votre intelligence pour le service ! Pour le service, pas pour donner des leçons, mais l’avertissement vaut évidemment largement au-delà du cercle des frères prêcheurs, il vaut pour tous les prédicateurs dont je suis !
Pierre continuait en disant : restez sobres, je ne vais pas développer car, à partir de demain, puisque nous entrerons en carême, nous aurons l’occasion de réentendre cet appel. Peut-être pourrions-nous juste nous efforcer de parler, à la manière de Pierre Rabbi, d’une sobriété heureuse. C’est d’ailleurs bien le sens des paroles de Jésus que nous entendrons demain dans l’invitation au jeune. Sobriété heureuse parce que l’appel à la conversion est d’abord et fondamentalement un appel à marcher vers plus de vie en éliminant justement ce qui nous encombre tellement que nous ne pouvons plus accueillir cette vie en abondance qui nous est promise.
Et Pierre nous invite encore à mettre toute notre espérance dans la grâce que nous apporte la révélation de Jésus Christ. Oui je crois qu’il nous est bon à la veille de notre entrée en carême et à la fin de notre retraite, d’entendre cette parole qui nous invite à ne pas mettre notre espérance dans les résultats que produiront les bonnes résolutions que nous allons prendre ! Notre espérance, il nous faut la mettre dans la grâce que nous apporte la révélation de Jésus Christ. J’aime beaucoup cette parole du père Cantalamessa, un homme que j’aime lire et citer car il est un charismatique dont les réflexions sont très éclairées grâce à une intelligence vive et un accueil toujours renouvelé du St Esprit. Le père Cantalamessa disait : Toutes les religions vous diront ce qu’il faut faire pour parvenir au salut ou à l’illumination, le christianisme est la seule religion qui vous dire ce que Dieu a fait pour vous sauver en Jésus-Christ.Cette affirmation me semble être un très bel écho à la parole de Pierre qui nous invite à mettre toute notre espérance dans la grâce que nous apporte la révélation de Jésus Christ.
Ce qui nous donnera le plus d’espérance, c’est donc de toujours mieux comprendre ce que Jésus a fait pour nous sauver. Toujours mieux le comprendre pour toujours mieux l’accueillir et nous laisser transformer par cette grâce accueillie.
C’est ainsi que nous pourrons sortir de ce que j’aime appeler la religion de la transpiration, cette religion dans laquelle il faut faire toujours plus d’efforts. Moi, je sais qu’avec mon profil arrondi, les efforts me font vite transpirer et, la transpiration, vous en conviendrez, ce n’est pas un parfum très attirant ! Ne nous étonnons pas que nos églises ne cessent de se vider si le seul discours que les gens entendent en y entrant, c’est : mes frères, faites des efforts ! Les pauvres ! Des efforts, ils en font sans arrêt, efforts au travail pour être performant ; efforts à la maison pour se supporter et traverser les crises familiales ; efforts pour tenir leurs engagements, j’en passe et des meilleurs. Alors, le dimanche, ceux qui vont encore à la messe, ils y vont pour se poser, se reposer et si le seul discours qu’on leur sert, c’est faites des efforts, faites-en encore plus, ils finiront par partir eux aussi et le parfum de transpiration qui règnera n’encouragera pas grand monde à y entrer ! La religion de la transpiration ne peut que décourager même les plus valeureux ! Accueillons vraiment cette invitation de Pierre à mettre toute notre espérance dans la grâce que nous apporte la révélation de Jésus Christ.
Bien sûr, il ne s’agit pas de tomber dans le quiétisme, mais de vouloir vivre de la grâce qui, seule, nous rendra capables de mener une vie vraiment fraternelle. Et cette vie fraternelle sur laquelle nous avons médité tout au long de cette retraite est bien la première récompense que Jésus promet dans l’Evangile : « nul n’aura quitté, à cause de moi et de l’Évangile, une maison, des frères, des sœurs, une mère, un père, des enfants ou une terre sans qu’il reçoive, en ce temps déjà, le centuple : maisons, frères, sœurs, mères, enfants et terres. » C’est vrai qu’il rajoute aussi de manière très réaliste la promesse des persécutions. Sans aller jusqu’aux persécutions, la vie fraternelle comporte aussi sa part d’épreuves, nous en savons tous quelque chose et pourtant nous y tenons comme à la prunelle de nos yeux. Alors, qu’au terme de cette retraite, le Seigneur nous renouvelle profondément par sa grâce pour que, dans cette vie fraternelle, nous puissions donner le meilleur de nous-mêmes.