3° dimanche Temps Ordinaire : 1° Dimanche de la Parole

Pendant 10 ans, dans mon diocèse, j’ai été responsable de la Pastorale des Jeunes, ce qui veut dire que je passais mes week-ends et les vacances avec des jeunes, des grands jeunes et des moins grands. Alors, je peux vous dire que des veillées, j’en ai fait un certain nombre ! Parmi tous les jeux de veillée, il y en a un que j’aimais particulièrement, il consistait à bander les yeux d’un jeune et d’organiser devant lui un parcours d’obstacles avec quelques surprises agréables ou moins agréables en cours de route et à la fin du parcours. Pour le guider, il y avait un autre jeune qui ne pouvait que lui faire entendre des consignes : à droite, à gauche, tout droit, baisse-toi, lève la jambe droite, etc … Ce jeu faisait toujours bien rire parce que, en plus des pièges du parcours, ce n’était pas simple pour celui qui avait les yeux bandés de comprendre aussi vite qu’il le fallait les consignes données en paroles et pas simple non plus de faire absolument confiance à celui qui donnait ces paroles. Mais au-delà du côté récréatif, ce jeu permettait de vivre une belle expérience et vous allez vite comprendre pourquoi j’en parle au début de cette homélie. Celui qui avait les yeux bandés, qui était dans la nuit faisait l’expérience qu’il devait faire confiance à une parole venue d’un autre pour pouvoir avancer dans la nuit.

En méditant les lectures de ce jour, dans le contexte de ce dimanche de la Parole, c’est immédiatement ce jeu qui m’est venu à l’esprit. En effet, il peut nous aider à comprendre la première partie de l’Evangile qui reprenait la 1° lecture. Oui, Jésus qui est le Verbe de Dieu est venu pour guider tous ceux qui marchaient dans les ténèbres. Au temps d’Isaïe, les ténèbres pour le territoire de Zabulon, pour celui de Nephtali et pour le pays au-delà du Jourdain, ça évoquait l’annexion de ces territoires par la puissance assyrienne. Au temps de Jésus, les ténèbres, c’était l’occupation romaine. Ceux qui ont connu, en France, les années d’occupation savent combien ces années ont été difficiles à cause des restrictions alimentaires mais surtout des restrictions de liberté en tous domaines sans compter les humiliations à vivre au quotidien qui donnent l’impression de ne plus exister vraiment. C’est pour tous ceux qui vivaient dans ces ténèbres si éprouvantes que Jésus commence sa mission, du moins c’est ainsi que Matthieu le présente dans le texte que nous avons entendu. 

Et peut-être y a-t-il une autre forme d’occupation qui est suggérée dans la fin du texte quand il est fait allusion aux guérisons de Jésus qui sont souvent accompagnées d’exorcisme. Oui, le territoire était occupé par les romains, mais les cœurs étaient aussi souvent occupés par un ennemi encore bien plus redoutable que les romains, l’esprit du mal. Et c’est sûrement avec cette dimension que le texte revêt une actualité intéressante. En effet, si nous, nous avons eu la chance d’être libérés de la domination du joug étranger qui pesait sur nous, nous sommes encore victimes de l’occupation du Malin. 

Et cette occupation nous plonge souvent dans les ténèbres puisque nous expérimentons cette loi si douloureuse que St Paul, dont nous avons fêté la conversion hier, exprimait en termes si suggestifs : le bien que je voudrais faire, je ne le fais pas assez souvent par contre le mal que je ne voudrais pas faire, je le fais trop souvent. Eh bien, pour nous qui marchons dans ces ténèbres du péché, d’une liberté souvent mal orientée, une lumière se lève, une parole vient guider les aveugles que nous sommes devenus, c’est la Parole de Dieu. 

Nous l’avons d’ailleurs chanté pendant la procession de la Parole : Ta Parole est lumière. Vraiment, l’invitation à vivre chaque année un dimanche de la Parole pour que la Parole devienne de plus en plus notre lumière, notre boussole quotidienne est une invitation qu’on peut légitimement qualifier de providentielle. 

Oui, pour ceux qui marchent dans ces ténèbres, une lumière est proposée, la lumière de la Parole. Mais vous savez, même le plus puissant des médicaments, si vous le laissez dans son emballage, il n’aura jamais aucune efficacité ! La Bible qui reste comme un élément de décoration sur une bibliothèque devenant peu à peu un nid à poussière, elle ne peut pas être une lumière sur notre route ! Il faudrait que nous puissions dire à la manière du prophète Isaïe : « chaque matin, c’est ta Parole, Seigneur, qui me réveille, chaque matin elle me réveille pour que j’écoute comme celui qui se laisse instruire. » (Is 50,4) Quand nous venons à la messe, écoutons-nous la Parole avec attention, l’accueillons-nous comme cette lumière qui nous est offerte pour que nous ne nous marchions pas dans les ténèbres ? Le curé d’Ars, mon compatriote, Dieu sait s’il croyait en la présence réelle, eh bien il osait dire : « Dans la messe, notre Seigneur qui est la vérité même, ne fait pas moins de cas de sa Parole que de son Corps ! » 

Le concile Vatican II nous avait déjà permis de redécouvrir ce que les Pères de l’Eglise aimaient appeler les deux tables de la messe : la table de la Parole et la table de son Corps et de son sang, deux tables où nous recevons la même nourriture, Jésus qui se donne. Je ne développe pas beaucoup aujourd’hui l’importance de la table eucharistique, nous catholiques, nous la connaissons bien cette importance et si nous sommes à cette messe, c’est que nous en sommes convaincus. Mais si nous nous mettions à croire sérieusement à l’importance de la Table de la Parole, ça permettrait d’aider nos frères et sœurs empêchés de communion, en raison de leur situation, à comprendre que s’ils participent à la messe, même s’ils ne peuvent pas communier, ils ne ressortiront jamais affamés puisqu’ils auront été accueillis et nourris à la Table de la Parole. Je crois aussi que la fréquentation de nos frères et sœurs appartenant aux Eglises issues de la Réforme nous aura aussi beaucoup aidés à progresser pour toujours mieux accueillir la Parole comme cette lumière qui nous est offerte pour éclairer nos ténèbres. 

Evoquant ces frères et sœurs, comment ne pas encore remercier Evelyne et Jean-Daniel pour leur témoignage de ce matin. Nous avons bien compris que le verset du psaume qu’ils avaient choisi comme thème leur permettait vraiment de vivre avec la Parole, d’accueillir la Parole comme une lampe sur leur route. Oui, c’est bien vrai Sa Parole est une lumière à vos pieds, une lampe sur votre sentier de vie ! Merci de nous avoir fait partager votre passion.

Je ne veux pas terminer sans relayer l’appel que j’entends aussi dans l’évangile qui nous rapporte, dans ce même texte, le choix des premiers disciples. Comme je le disais le meilleur des médicaments ne peut avoir aucune action bénéfique s’il reste dans l’emballage, mais il ne peut pas non plus avoir d’effets si personne ne le prescrit ! La Parole est porteuse d’une puissance extraordinaire, mais s’il n’y a personne pour l’annoncer, à quoi bon ?  

Ce choix des premiers disciples, lu en ce dimanche de la Parole, est donc un appel à ce que nous devenions, au sens littéral, des portes-parole, des porteurs de la Parole pour qu’elle puisse accomplir son œuvre. Rappelons-nous que la puissance de la Parole, c’est Dieu qui l’avait révélé au prophète Isaïe avec ces mots si forts : « la parole, qui sort de ma bouche, ne me reviendra pas sans résultat, sans avoir fait ce qui me plaît, sans avoir accompli sa mission. »

Dès le commencement de son ministère, car c’est vraiment le tout début qui nous est raconté dans cet évangile, Jésus a choisi des apôtres pour les former afin qu’ils puissent devenir ses porte-paroles. Au moment de ce choix, les apôtres n’avaient aucune compétence particulière, pêcheurs sur le lac, ça ne prépare pas immédiatement une carrière de prédicateur ! Mais, ils ont vécu avec Jésus un compagnonnage 24h/24 pendant 3 ans, ça fait donc pas mal d’heures de formation ! Et pour compléter la formation, ils ont reçu à Pentecôte la lumière du St Esprit, c’est lui qui donne à la Parole annoncée de pouvoir devenir vraiment parlante. 

Voulons-nous, à leur suite, devenir ces apôtres ardents qui donneront le plus grand service qui puisse être rendu aujourd’hui à l’humanité : offrir la lumière de la Parole qui peut éclairer les ténèbres de tous ceux qui n’en peuvent plus de marcher dans la nuit. 

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