Nous le savons bien, le maitre-mot du carême, c’est le mot conversion. Nous l’avons entendu le jour-même de l’entrée en carême : convertis-toi et crois à l’Evangile ! Peut-être n’est-il pas inutile de préciser un point sur lequel le père Cantalamessa que j’ai déjà cité dans mes enseignements aime tant insister : convertis-toi et crois à l’Evangile, ce ne sont pas deux actions successives. Il n’y a pas 1/ convertis-toi, sous-entendu, fais des efforts et 2/ crois à l’Evangile. Non, ça ne marche pas ainsi car, en grec, le petit mot « ET » qui unit les deux appels : convertis-toi ET crois, il a deux significations possibles. La 1° signification, c’est celle à laquelle nous sommes le plus habitués « et » signifie « en plus » et la 2° signification correspond à « c’est-à-dire » dans ce cas, « et » ne rajoute rien, mais explicite la 1° proposition.
Le père Cantalamessa affirme, et c’est un spécialiste du grec, donc nous pouvons le croire qu’il n’y a aucun doute possible, quand Jésus dit : « Convertissez-vous et croyez à l’Évangile » il dit, en fait : « Convertissez-vous, c’est à dire croyez à l’Évangile. » Ça signifie que la grande conversion du carême, c’est de croire, croire plus, croire mieux, croire vraiment, de croire enfin ! Et, nous le savons, croire et confiance ont la même racine. Croire, ce n’est donc pas d’abord adhérer intellectuellement à un ensemble de vérités, croire, c’est faire confiance, mettre sa confiance en Dieu, lui accorder une confiance inébranlable. C’est sur ce front que doivent porter l’essentiel de nos efforts et si nous décidons de moins manger de chocolat, de moins regarder internet, ces efforts sont à replacer dans cette perspective : Seigneur, je crois que ta grâce, que le temps passé avec toi me fera plus de bien qu’un morceau de chocolat ou le visionnement d’une série sur internet.
Si je dis tout cela, c’est parce que les textes d’aujourd’hui nous parlent de conversion, il était donc important, pour mieux en accueillir le message de réajuster notre compréhension de la conversion. Comme souvent dans les Ecritures, le message n’est pas porté par un long discours, ça peut arriver, notamment dans l’Evangile de St Jean, mais de manière plus fréquente, ce sont des personnes, des témoins qui sont proposées à notre méditation. C’est bien le cas aujourd’hui, puisque les textes vont nous parler de conversion facile et de conversion difficile. Pour parler de conversion plutôt facile deux figures vont nous être présentées et, pour parler de conversion plutôt difficile ce sont deux autres figures. Nous allons les regarder successivement et je vais commencer par les figures qui parlent de la conversion facile. De cette manière, les plus saints d’entre nous qui ont la conversion facile ne seront pas obligés d’écouter l’homélie jusqu’au bout !
Les deux figures qui parlent de conversion plutôt facile, ce sont d’abord les habitants de Ninive et leur roi, ils sont évoqués dans la 1° lecture et ensuite la reine de Saba évoquée dans l’Evangile. A tout Seigneur, tout honneur, commençons par la reine de Saba. Il est question de cette reine dans le 1° livre des Rois qui nous rend témoins de sa rencontre avec Salomon, une rencontre, on peut le dire qui ne manque pas de piment puisqu’il est dit qu’elle est venue : « avec des chameaux portant des épices, et beaucoup d’or et de pierres précieuses » (1R 10,2) et le livre des Chroniques prendra soin de préciser que « jamais après n’arriva une telle abondance d’épices » 9,1-9. Or, on le sait les épices, à l’époque, étaient très chères, c’était donc un cadeau somptueux pour Salomon. Si la reine offre tant de richesses à Salomon, c’est parce qu’elle a compris qu’en lui résidait une sagesse exceptionnelle qui ne pouvait venir que de Dieu.
La démarche de la reine païenne atteste qu’elle est sur un vrai chemin de conversion et, ce qui est extraordinaire, c’est qu’elle est même déjà convertie avant que Salomon n’ouvre la bouche, les cadeaux qu’elle a préparés avant même de l’entendre l’attestent. Cette reine de Saba est vraiment le symbole d’une conversion facile. Les habitants de Ninive et leur roi, de la même manière, sont les témoins d’une conversion plutôt facile. La situation n’était pourtant pas brillante là-bas, à tel point que Dieu avait décidé de détruire ce foyer de péché. Mais il leur offre une dernière chance en envoyant Jonas, son prophète. Normalement, il fallait 3 jours pour traverser la ville et, en moins d’une journée, toute la ville est convertie, c’est dire si la conversion a été rapide et facile ! Et le roi est aussi converti devenant un allié précieux du Seigneur pour que la mission confiée à Jonas puisse porter beaucoup de fruits. Finalement Dieu n’a eu aucune difficulté avec Ninive !
Venons-en maintenant aux deux figures qui parlent de la conversion difficile. Ces deux figures représentant la conversion difficile, ce sont les gens de cette génération à qui Jésus s’adresse dans l’Evangile et Jonas qui était le héros de la 1° lecture. Les deux textes étant extrêmement liés puisque Jésus propose Jonas comme signe, précisément à cette génération à qui il s’adresse, génération qui a la conversion difficile ! Les gens de cette fameuse génération, évidemment, c’est nous, c’est à nous que Jésus s’adresse en parlant de conversion difficile. C’est à nous qu’il donne Jonas comme signe, c’est-à-dire qu’il nous invite à nous reconnaître dans cette figure si étonnante de Jonas qui symbolise la conversion difficile, alors même qu’il était prophète.
Oui, c’est vraiment étonnant, car Dieu n’a aucun problème avec les grands pécheurs de Ninive qui se sont convertis tout de suite, par contre, il va avoir beaucoup de problèmes avec son prophète ! Nous connaissons tous l’histoire rocambolesque de Jonas qui refuse d’aller où Dieu l’envoie et qui part même à l’opposé pour justement montrer son opposition à la mission que Dieu lui confie : prêcher la conversion cette ville. Jonas aurait préféré que Dieu la détruise sans sommations ! L’épisode de la tempête et de la baleine l’oblige finalement à aller à Ninive, mais il bâcle le travail. Il faut 3 jours, normalement, pour parcourir la ville, lui, il la parcourt en un seul jour ! Il a dû faire ça au pas de courses en espérant que les gens n’aient pas le temps d’entendre son appel à la conversion ! Mais voilà, les gens de Ninive ont la conversion aussi facile qu’ils avaient eu le péché facile ! Et, ça figurez-vous que ça ne fait pas plaisir à Jonas qui espérant que les méchants soient châtiés ! Comme nous, parfois qui n’arrivons pas à comprendre pourquoi le bon larron a été traité avec tellement d’indulgence par Jésus alors qu’il était une véritable crapule !
Elle est vraiment terrible cette attitude de Jonas qui refuse de se réjouir devant ce qu’on peut appeler un véritable miracle. D’ailleurs, il va entamer une grève de la faim pour bien manifester sa désapprobation devant l’attitude de Dieu qui lui semble faire trop facilement miséricorde à ces pécheurs ! Il veut faire pression sur Dieu afin qu’il change ses manières de faire qui sont insupportables. C’est fou, la miséricorde de Dieu est insupportable pour Jonas et pour tous ceux qui, comme Jonas se croient justes car ils réagissent souvent comme Jonas ! Ils ne comprennent pas que Dieu récompense si vite les pécheurs en les graciant, en leur faisant miséricorde. Ils se demandent pourquoi Dieu ne s’occupe pas plutôt des gens bien, comme eux, de ceux qui font tant d’efforts pour paraître bons !
La reine de Saba, les habitants de Ninive se sont convertis, alors que ça paraissait tellement improbable de la part de païens ou de pécheurs endurcis. Ils se sont convertis, c’est-à-dire, comme je l’évoquais au début, ils ont cru. Ils ont cru en la Bonne Nouvelle de l’amour de Dieu qui pouvait les rejoindre et les sauver alors même que leur situation n’était pas exemplaire. La reine de Saba, ce qui la caractérisait, ce n’était pas son péché, mais le fait qu’elle était païenne, aux yeux des juifs, ça rendait impossible une quelconque bienveillance de Dieu à son égard. Les habitants de Ninive, eux, ils étaient englués dans leur péché, mais, quand ils ont entendu que Dieu voulait et pouvait les faire sortir de toutes leurs impasses, ils ont cru en cette Bonne Nouvelle et se sont convertis.
Ce qui est un peu fort dans cette histoire, c’est que celui avec qui Dieu aura le plus de difficultés, c’est Jonas, son prophète ! Quand on voit avec quel enthousiasme des gens loin de la foi peuvent l’embrasser et, en conséquence, changer de vie et qu’on voit avec quelle lenteur, à certains moments nous, nous pouvons avancer sur le chemin de la conversion, nous constatons que l’histoire se répète ! Alors, à nous qui faisons partie de cette génération que Jésus pointe du doigt dans l’Evangile, il nous est donné le signe de Jonas. C’est-à-dire que Dieu nous interroge : est-ce que je vais avoir autant de mal avec toi que j’en ai eu avec Jonas ? Tu te plains que je m’occupe trop des pécheurs, mais si, au lieu de te ranger dans la catégorie des gens bien, tu acceptais de reconnaitre ce que tu es vraiment, c’est-à-dire, un pauvre pécheur, je m’occuperai de toi avec autant d’attention et de bienveillance que je me suis occupé des habitants de Ninive. Oui, c’est comme si Dieu nous disait : ce qui me fait souffrir avec les gens bien, c’est que, finalement, ils n’ont pas besoin de moi. Les gens bien ou du moins ceux qui croient être des gens bien, ils n’attendent de moi que des médailles de bon comportement, des diplômes d’honorabilité. Mais ça, il n’y en a pas dans mon cœur puisqu’il n’y a que de la miséricorde et cette miséricorde, je la leur destine aussi mais pour cela, il faudrait qu’ils acceptent de se convertir en reconnaissant justement qu’ils ont besoin de conversion !