23 novembre : mercredi 34° semaine ordinaire : Dieu serait-il à l’origine du mal ?

J’espère que vous n’êtes pas lassés de ces commentaires détaillés sur l’Apocalypse ! Mais maintenant que j’ai commencé, il faut bien aller jusqu’au bout ! Et le bout rassurez-vous, on le voit pointer, samedi, ça sera fini. De toutes façons, l’Evangile, en ce moment, est tout aussi difficile puisque nous sommes dans cette partie de l’Evangile de Luc située entre son entrée solennelle à Jérusalem et sa passion, soit 2 chapitres et demi écrits précisément dans un style apocalyptique.

La vision qui nous est rapportée aujourd’hui contient une petite précision qui nous tourne vers l’espérance et qui tournait encore bien plus les chrétiens de cette fin du 1° siècle vers l’espérance : J’ai vu dans le ciel un autre signe, grand et merveilleux : sept anges qui détiennent sept fléaux ; ce sont les derniers, puisque s’achève avec eux la fureur de Dieu. Il va y avoir encore des problèmes et pas de petits problèmes passagers puisque Jean en annonce 7, mais, ouf, ce seront les derniers. C’est vraiment une bonne nouvelle, mais reste une question et elle est de taille : pourquoi, Jean tient-il tant à préciser qu’il a bien vu que c’étaient les anges qui détenaient ces fléaux, qui allaient donc être comme les déclencheurs de ces catastrophes ? Quand on s’adresse à nos anges gardiens, par exemple, ce n’est pas pour leur demander de faire pleuvoir sur nous des épreuves ! En lisant quelques commentaires sur le sujet, j’ai vu qu’il y avait deux explications qui étaient données.

– Première explication : Ces 7 épreuves qui, au chapitre suivant, seront contenues dans 7 coupes pour être déversées par les anges sur la terre, les exégètes nous disent qu’elles sont un peu le pendant des 10 plaies d’Egypte. Quand Moïse, au nom de Dieu, s’est fait le maitre d’œuvre de ces 10 calamités, ce n’était pas pour faire du mal, mais pour impressionner Pharaon afin qu’il laisse sortir le peuple des hébreux. Alors, c’est vrai, il y a eu des dommages collatéraux, mais Pharaon a finalement été obligé de libérer le peuple. Ces 7 épreuves, qui seront les dernières, mises en parallèle avec les 10 plaies d’Egypte, sont donc annonciatrices d’une libération qui approche. Cette interprétation est validée par le cantique que nous avons entendu, en fin de lecture, qui est justement appelé cantique de Moïse. C’est l’action de grâce qui jaillit juste après la libération.

Il y a aussi une 2° explication qui nous permet de comprendre pourquoi ce sont les anges qui exécutent cette terrible besogne de faire pleuvoir les épreuves sur la terre. Nous devons nous rappeler qu’à cette époque, il y avait une foultitude de dieux, et du coup ça arrangeait bien les gens qui savaient à qui s’adresser quand ils voulaient obtenir tel ou tel bienfait. Mais c’était surtout pratique pour expliquer le déroulement de l’histoire. C’est le principe de la mythologie qui explique que tout ce qui se passe sur terre trouve son explication au ciel. Quand ça va bien pour nous, c’est que notre dieu est le plus fort, quand ça va mal c’est le signe que c’est le dieu de nos adversaires qui est le plus fort. C’est ce que seront tentés de penser les hébreux en Exil : et si Mardouk avait vaincu le Dieu d’Israël. La prédication des prophètes sera un vigoureux plaidoyer pour ramener au monothéisme : il n’y a qu’un seul Dieu, il n’y a donc pas de Mardouk, c’est dans les choix tordus des dirigeants et du peuple qu’il faut chercher les explications de cette catastrophe. 

Cette tentation reviendra régulièrement, elle est présente dans la gnose à la fin du 1° siècle, elle le sera encore plus quand, un siècle plus tard, Mani va élaborer sa grande théorie qui donne naissance au manichéisme. Le principe est simple : il y a un dieu du bien et un dieu du mal qui ont même puissance et le monde est donc soumis à l’affrontement permanant de ces deux divinités. C’est plus sérieux qu’il n’y parait puisque St Augustin, avant sa conversion, était un adepte de cette théorie.

Eh bien, le livre de l’Apocalypse apporte un démenti absolu à ce genre d’élucubrations, mais la manière dont est exprimé ce démenti nous défrise un peu puisque tout est attribué à Dieu. Le mieux est sans doute que je cite le père Yves Saoût, voilà ce qu’il dit sur ce sujet, il fait toujours parler St Jean : L’un de nos soucis à nous, les différents auteurs des livres de la Bible, étaient de ne pas attribuer les malheurs ou le mal à un Dieu mauvais. C’était une tentation forte à ce moment. Pour moi, il était important d’attribuer la responsabilité des problèmes à Dieu ou à ses anges et non à un principe mauvais, égal en force au Dieu du bien. C’était aussi une manière, pour moi, de dire à mes frères menacés : quelle que soit la force du malheur qui risquent de tomber sur vous, il n’échappe pas totalement au contrôle de Dieu le Père de l’Agneau.

Avec ces explications, je pense que nous en savons assez pour poursuivre la lecture ! Jean voit donc comme une mer de cristal, mêlée de feu, et ceux qui sont victorieux de la Bête, de son image, et du chiffre qui correspond à son nom : ils se tiennent debout sur cette mer de cristal, ils ont en main les cithares de Dieu et ils chantent le cantique de Moïse. A première lecture ces visions paraissent toutes un peu délirantes, prenons le temps de décrypter. Il s’agit donc d’une mer qui s’avance et qui engloutit presque tout sur son passage. Et, il est dit que cette mer est de cristal et de feu. Regardons ces différents éléments.

  • Ce déferlement du mal, Jean l’a vu semblable à une mer, Rien d’étonnant à cela car, pour le peuple hébreu, la mer, ce n’est pas une évocation positive, ce n’est pas le lieu rêvé pour les vacances ! La mer, c’est la Mer Rouge qui risquait de les avaler vivants. Et c’est ce qui se serait passé sans l’intervention de Dieu. Du coup, elle a avalé les Egyptiens, elle a englouti les forces de l’oppression rejoignant ainsi les forces du mal qui résident dans la mer depuis la création, elles sont symbolisées par la présence du Léviathan. C’est donc une terrible épreuve pour les hommes, les forces du mal contenues dans la mer déferlent sur la terre.
  • Cette mer est comme une mer de feu. Vous notez le petit mot « comme » si souvent utilisé dans l’Apocalypse qui montre bien que Jean a du mal à rendre compte de ce qu’il a vu. Cette mer de feu, elle est manifestement une évocation de la catastrophe de Pompéi avec l’éruption du Vésuve en 79, l’Apocalypse sera écrit une bonne dizaine d’années plus tard, l’événement est encore dans toutes les mémoires. En comparant l’épreuve qui s’abat sur les chrétiens à la catastrophe de Pompéi, Jean ne cherche donc pas à minimiser les épreuves en disant : serrez les dents, ça va passer ! Non, c’est très sérieux, ce qui est en train de se passer.

Oui, mais au milieu de ce déferlement du Mal qui semble tout engloutir, il y a 3 signes d’espérance extrêmement forts qui sont donnés.

– Le 1° signe d’espérance, c’est qu’elle n’engloutit pas tout cette mer de feu. Il y a des survivants : ceux qui sont victorieux de la Bête, de son image, et du chiffre qui correspond à son nom : ils se tiennent debout sur cette mer. On croirait entendre Jésus qui, à la fin de l’Evangile de ce jour disait : C’est par votre persévérance que vous garderez votre vie !

– Le 2° signe d’espérance, c’est qu’elle n’est pas que de feu, cette mer, elle est aussi de cristal. Le cristal, c’est transparent, ça signifie que ceux qui ont persévéré et qui sont sauvés, c’est comme s’ils marchaient sur l’eau en voyant ce qu’il y a dessous : ils voient les forces du mal qui s’agitent, mais eux, ils sont hors d’atteinte. Un peu comme quand on va dans visiter un grand aquarium et qu’on peut narguer un requin parce qu’on est bien en sécurité derrière l’épaisse vitre ! Jean annonce qu’il vient ce temps où l’on pourra narguer Le Mauvais retourné dans sa prison sous-marine !

– Le 3° signe d’espérance, c’est que ceux qui ont vaincu la Bête, ceux qui ont persévéré chantent les louanges de Dieu. Ça, je trouve que c’est tellement beau. Les rescapés ne fondent pas un comité pour instruire le procès de Dieu qui ne les aurait pas suffisamment protégés, ils prennent leur cithare et entrent dans une grande louange en reprenant ce cantique de Moïse et de l’Agneau

Je termine en évoquant ce cantique de Moïse et de l’Agneau. En exode 15, de fait, nous voyons ou plutôt nous entendons Moïse et tout le peuple chanter le cantique des sauvés, ce cantique que nous reprenons à chaque veillée pascale. En fait ce cantique de l’Apocalypse ne reprend que le 1° verset  du cantique de l’Exode, le reste est un tissage de citations bibliques comme pour bien montrer que Dieu n’est pas Sauveur à un moment seulement, c’est toute l’histoire qui est une histoire de Salut. Et ce cantique, c’est aussi celui de l’Agneau parce que c’est lui, l’Agneau, l’Amour désarmé qui nous a acquis cette victoire.

Que par l’intercession de tous ceux qui ont tenu dans les épreuves, même quand, à l’image de St Clément, ils ont dû donner leur vie, la grâce nous soit donnée d’avoir une foi et une espérance suffisantes pour rester capables de chanter le Dieu Sauveur en toutes circonstances. Faute de toujours pouvoir le voir, nous le croyons et nous décidons de le chanter : Ils sont justes, ils sont vrais, tes chemins, Roi des nations.

Cette publication a un commentaire

  1. Franchellin Jean Marc et Agnès

    Pour ce qui me concerne, absolument pas lassé de vos homelies très bien travaillées et exprimées qui dédramatisent le livre de l’apocalypse.
    Merci pour toutes ces recherches partagées.
    Maranatha !

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