La semaine dernière, je donnais un petit enseignement pour les ainés de la communauté afin de les aider, et moi avec eux, à nous préparer à la Toussaint. Cet enseignement, je l’avais intitulé : « comment devenir saint en demi-heure ! » Entendons-nous bien, je ne nous promettais pas de devenir saint au bout d’une demi-heure, mais j’avais une demi-heure pour développer le tuto qui permet de devenir saint à tout coup. Je pense que vous connaissez tous ce qu’est un « tuto » ? C’est le diminutif de tutoriel qui est le terme branché pour désigner ces vidéos sur internet qui sont des modes d’emploi. Aujourd’hui, c’est encore plus fort : « comment devenir saint en une dizaine de minutes ? » Je n’ose pas donner un chiffre exact car je n’ai pas chronométré ! Mais, là encore, soyons clairs, je ne vous promets pas de devenir saint au bout d’une dizaine de minutes, je veux juste dire que j’ai une dizaine de minutes pour développer un nouveau tuto qui voudrait nous proposer un chemin qui conduise, à tout coup, à la sainteté. Mais une dizaine de minutes, c’est un peu court, Jésus, il lui a fallu trois chapitres dans l’Evangile de Matthieu pour développer son tuto, c’est pour cela qu’il a bien pris soin, comme le notait le début de l’Evangile, de faire asseoir les foules, il savait que ça allait dépasser le temps autorisé pour une homélie ! Comme j’ai moins de temps que lui, je ne retiendrai que la 1° des béatitudes que nous avons entendues. Pourquoi la première ? Parce que Jésus ne l’a pas mise en premier pour rien, elle est comme une bonne introduction qui contient en germe tout le développement. Alors, c’est parti ! S’il y en a qui chronomètrent, c’est à partir de maintenant que le tuto commence, un tuto qu’on pourrait aussi appeler selon le titre de cette collection en vogue : « la sainteté pour les nuls ! »
« Heureux les pauvres de cœur, le Royaume des cieux est à eux » Cette béatitude qui révèle le secret des secrets pour parvenir à la sainteté, je voudrais la commenter en 2 temps en m’intéressant d’abord à l’expression pauvres de cœur puis en m’arrêtant sur ce que recouvre le mot pauvre dans la littérature biblique.
« Les pauvres de cœur » c’est ainsi que la traduction liturgique a choisi de rendre compte du texte grec qui parle plutôt des « pauvres en esprit. » On comprend pourquoi, de « pauvres de cœur » a été préféré à « pauvres en esprit », c’était pour éviter la confusion avec les « pauvres d’esprit », cette expression visant à désigner, avec un brin d’ironie et de condescendance, ceux qui ne sont pas bien malins. De toutes façons, si on voulait vraiment rendre ce que le texte dit en grec, il faudrait traduire : « Heureux les pauvres en souffle », vous le savez me mot esprit, en grec, se dit « pneuma » et pneuma, c’est le souffle, même sans avoir fait de grec, vous savez qu’il faut aller chez le pneumologue quand vous avez des problèmes liés, d’une manière ou d’une autre, au souffle.
« Heureux les pauvres en souffle », « heureux ceux qui ont peu de souffle » cette formulation nous fait immédiatement poser une question : mais pourquoi déclarer bienheureux ceux qui manquent de souffle ? En quoi le fait de manquer de souffle peut-il conduire plus directement à la sainteté ? La réponse nous est donnée dans la liturgie des Heures. Ceux qui ont l’habitude de prier l’office de complies connaissent cette réponse. Je me permets une petite parenthèse, si vous cherchez une prière qui puisse vous aider à terminer votre journée avant d’entrer dans le repos de la nuit, la prière des Complies est tout indiquée et vous pouvez télécharger sur votre smartphone l’application qui vous donne accès gratuitement à la prière des heures qu’on appelait avant le bréviaire et la dernière de ces prières, c’est justement l’office de complies : 5 minutes, montre en main, c’est dire si c’est accessible pour tout le monde ! Alors quelle est-elle la réponse donnée à la question : pourquoi déclarer bienheureux ceux qui manquent de souffle ? Eh bien, l’oraison qui conclut l’office de Complies, le mardi, nous fait dire cette très belle prière : « Dieu qui es fidèle et juste, réponds à ton Église en prière, comme tu as répondu à Jésus, ton serviteur Quand le souffle en elle s’épuise, fais-la vivre du souffle de ton Esprit. » Les pauvres de souffle sont obligés de compter sur le souffle de l’Esprit pour ne pas s’asphyxier. Vous pourrez continuer vous-mêmes à partir de l’expérience de votre propre pauvreté à donner de la chair à cette expression « ceux dont le souffle est pauvre. » Je commence et vous compléterez : ceux qui n’arrivent pas à aller bien loin dans leurs projets, ceux qui n’arrivent pas à tenir leurs résolutions.
Au lieu de se culpabiliser, de penser qu’ils sont nuls, au lieu de se résigner à la médiocrité ou en tout cas à « la moyenneté » en constatant leur inconstance, qu’ils supplient le Saint-Esprit. C’est vrai que, seuls les pauvres savent vraiment supplier car, pour eux, recevoir ce qui leur manque et dont ils ont tant besoin, c’est souvent une question de vie ou de mort. Or manquer de souffle, perdre le souffle, s’asphyxier c’est vraiment une expérience terrible qui nous fait frôler la mort. Eh bien, pour tous les pauvres de souffle, la bonne nouvelle, c’est que l’assistance respiratoire la plus performante, celle du Saint-Esprit est toujours disponible. Du coup, je transforme un peu la prière des Complies pour que nous puissions l’entendre : « Dieu qui es fidèle et juste, réponds à tous les pauvres de souffle, comme tu as répondu à Jésus, ton serviteur Quand le souffle en eux s’épuise, fais-la vivre du souffle de ton Esprit. » Mais me direz-vous, Jésus était-il pauvre du souffle, comme le laisserait entendre cette reformulation de la prière des Complies ? Oui et la 1° béatitude le confirme, car, nous le savons, les béatitudes sont d’abord un portrait de Jésus. En prenant notre humanité, comme nous allons le voir, il s’est dépouillé de toute richesse et il a donc accepté, lui aussi, de vivre cette forme de pauvreté qui a fait qu’il a su compter, de manière permanente, sur le souffle de l’Esprit, de ne rien faire sans s’appuyer sur le souffle du Saint-Esprit. Et comme il était totalement réceptif au souffle de l’Esprit, le Saint-Esprit pouvait déployer en lui toute sa puissance et c’est ainsi que cette pauvreté, librement consentie, est devenue sa plus grande richesse. Ceux qui, comme Jésus, vivent en s’appuyant sur le souffle du Saint-Esprit, ne peuvent que devenir plus vite que les autres de bienheureux saints. En effet, c’est l’Esprit-Saint qui fait les saints, c’est même son nom ! Pour aller plus vite, on dit Esprit-Saint, mais ce n’est qu’une contraction, il faudrait dire : l’Esprit qui fait les saints.
Arrêtons-nous maintenant sur la signification que revêt le mot « pauvre » dans les Ecritures. Vous l’avez peut-être déjà lu dans des commentaires bibliques, les pauvres sont désignés par ce mot hébreu « d’anawim. » Et, littéralement, en hébreu, les anawim, ce sont ceux qui sont courbés. L’hébreu est une langue extrêmement concrète qui ne connait pas tellement le langage abstrait, en hébreu, donc, le fait d’être pauvre est synonyme de « courbé. » Et on comprend bien pourquoi ce choix : les pauvres sont accablés par tant de problèmes qu’ils n’ont pas la force de porter qu’ils en sont complètement courbés, ployant sous le poids de ces fardeaux. Et comme ils n’ont rien, ils ne peuvent régler les problèmes qui ne font que se surajouter et les courber chaque jour un peu plus. Cette pauvre femme, infirme parce que courbée depuis 18 ans, dont nous parlait l’Evangile de lundi dernier, en est une parfaite illustration. Jésus l’avait guérie un jour de sabbat pour poser un acte fort qui visait à montrer que, pour Dieu, c’est inadmissible de voir ces pauvres toujours plus courbés, et, puisque personne ne s’occupait d’eux, il allait prendre, et sans trainer, leur cause en main, tant pis, si pour cela, il fallait outrepasser la règle sacrée du sabbat.
Alors, comme précédemment, la même question se pose : mais pourquoi déclarer bienheureux ceux qui, en plus d’être pauvres de souffle, sont courbés ? En quoi le fait d’être courbés peut-il conduire plus directement à la sainteté ? De fait, c’est étonnant parce que ceux qui sont courbés, ils n’arrivent plus à voir le ciel, leur seul horizon, c’est le bout de leurs pieds. Comment être heureux quand on ne peut plus voir le ciel ? La réponse, c’est Paul qui nous la donne dans ces paroles de l’admirable hymne aux Philippiens que nous connaissons bien : « Jésus, ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes. Reconnu homme à son aspect, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix. » (Phil 2,6-8) C’est tout le mystère de l’abaissement vécu par Jésus qui me fait si souvent dire que Jésus n’aurait pas eu de difficulté à trouver une devise : toujours plus bas ! Eh bien, les courbés, les pauvres, la bonne nouvelle pour eux, c’est que Jésus ne leur demande pas de venir à sa rencontre, c’est lui qui va à leur rencontre puisqu’il a choisi de descendre toujours plus bas. Ce qui les rendra heureux, c’est qu’ils verront Jésus de bien plus près que les autres puisqu’il a choisi de descendre toujours plus bas.
Ne cachons plus nos pauvretés, ne cherchons plus à nous cacher quand nous sommes courbés, le reconnaître, c’est la chance de nos vies. Puisque Jésus a décidé de vivre pour l’éternité en rejoignant prioritairement les courbés, dans cette proximité avec Jésus, ils ne pourront que grandir plus vite que les autres en sainteté, goûter plus vite que les autres au bonheur de la sainteté. Ce bonheur-là, ils ne le connaitront pas tous ceux qui regardent les autres de haut, du haut des donjons de leurs richesses qu’ils aiment étaler sans les faire partager, qu’il s’agisse de richesses matérielles ou humaines. Oui, heureux les courbés parce que, comme le dit encore Paul « le Seigneur Jésus Christ, qui était riche, s’est fait pauvre à cause de vous, afin que vous deveniez riches par sa pauvreté. » (2 Co 8, 9). Prions pour que cette béatitude puisse retentir dans le cœur de tous ceux qui se retrouvent courbés et même complètement cassés par les abus dont ils ont été victimes.Ne cachons plus nos pauvretés, ne cherchons plus à nous cacher quand nous sommes courbés, le reconnaître, c’est la chance de nos vies. Puisque Jésus a décidé de vivre pour l’éternité en rejoignant prioritairement les courbés, dans cette proximité avec Jésus, ils ne pourront que grandir plus vite que les autres en sainteté, goûter plus vite que les autres au bonheur de la sainteté. Et quelle mystère étonnant et réconfortant que de pouvoir constater que, dans la prière des frères, le Seigneur nous associe au déploiement de sa puissance de sainteté pour aider tous les courbés à se redresser. Oui, bienheureux les courbés que le Seigneur rejoint. Ce bonheur-là, ils ne le connaitront pas tous ceux qui regardent les autres de haut, du haut des donjons fortifiés dans lesquels ils enferment leurs richesses qu’ils aiment faire briller sans les faire partager, qu’il s’agisse de richesses matérielles ou humaines. Oui, heureux les courbés parce que, comme le dit encore Paul « le Seigneur Jésus Christ, qui était riche, s’est fait pauvre à cause de vous, afin que vous deveniez riches par sa pauvreté. » (2 Co 8, 9). Prions pour que cette béatitude puisse retentir dans le cœur de tous ceux qui se retrouvent courbés et même complètement cassés par les abus dont ils ont été victimes.
Amen !
Merci pour ce tuto rigolo et très « sério » aussi ! 😉
Udp,
Adéline
Encore 80 minutes pour faire le tour des 8 béatitudes restantes !
Merci père Roger pour ces éclairages d’un homme redressé par sa foi que vous êtes.