Mon serviteur réussira ! « Il était sans apparence ni beauté qui attire nos regards, son aspect n’avait rien pour nous plaire. Méprisé, abandonné des hommes, homme de douleurs, familier de la souffrance, il était pareil à celui devant qui on se voile la face ; et nous l’avons méprisé, compté pour rien. » Tu parles d’une réussite ! Et pourtant la Parole de Dieu, Parole de vérité s’il en est, affirme clairement : « Il étonnera de même une multitude de nations ; devant lui les rois resteront bouche bée, car ils verront ce que, jamais, on ne leur avait dit, ils découvriront ce dont ils n’avaient jamais entendu parler. »
Ce 4° chant du Serviteur est tissé de ces paradoxes parce qu’il y a d’une part ce qui peut être vu et d’autre part ce qui doit être cru. L’évangile du dimanche de Pâques nous offrira le plus grand de ces paradoxes entre ce qui est vu et ce qui doit être cru, mais n’anticipons pas. Il me semble que le tissage de ces paradoxes nous invite, aujourd’hui, à faire clairement la différence entre réussite et fécondité. La réussite risque toujours d’être liée à un désir de succès qui nous permettrait de briller. Et le diable se cache souvent dans cette recherche de réussite, même quand elle prend des formes qui semblent extérieurement plus acceptables. Mais qu’est-ce que je désire vraiment quand je souhaite la réussite de telle personne, de ma famille, de mon école, de mon foyer de charité ? Et même, ne nous arriverait-t-il pas de rêver à une vie spirituelle réussie où tout est bien rangé ?
Oui, nous pouvons nous interroger sur tous nos rêves de réussite et essayer de débusquer ce qui peut se cacher derrière. En tout cas, ce 4° chant du serviteur nous y invite et la passion de Jésus tout autant. La dernière parole de Jésus, dans cette passion selon St Jean nous bouscule : « Tout est accompli ! » Si Jésus a encore quelques forces pour ouvrir les yeux, qu’est-ce qu’il voit ? Il n’y a plus personne ou presque autour de lui, le dernier carré des fidèles, mais tous ceux à qui il a fait tant de bien, où sont-ils ? Il reste sûrement encore les soldats qui l’ont crucifié et quelques curieux qui vivent ces crucifixions comme un spectacle et qui devaient regarder de loin. A vue humaine, c’est un échec retentissant, on est loin, très loin du succès. Mais lui, Jésus, réunissant ses dernières forces veut prononcer cette ultime parole à laquelle nous n’aurions pas pu croire si ça n’avait pas été lui qui la prononce, il dit : « Tout est accompli ! » En paraphrasant le cantique de Syméon, c’est comme s’il disait : « Maintenant, ô Maitre souverain, tu peux laisser ton serviteur s’en aller car j’ai donné le Salut, ma mission est accomplie et elle sera féconde. » Mon serviteur réussira dit le Seigneur ! Oui reste à savoir de quelle réussite on parle !
En écrivant ces mots, m’est revenu en mémoire le discours que le cardinal Ratzinger avait prononcé pour le Jubilé des catéchistes. J’étais à l’époque Responsable de la Catéchèse de mon diocèse, je l’avais donc bien travaillé et répercuté. Il parlait de la nouvelle évangélisation, mais vous allez vite comprendre pourquoi je le cite ce soir.
« Tous, disait celui qui était à lépoque, le cardinal Ratzinger ont besoin de l’Evangile ; l’Evangile est destiné à tous, et pas seulement à un cercle déterminé, et nous sommes donc obligés de chercher de nouvelles voies pour porter l’Evangile à tous. Mais ici se cache également une tentation – la tentation de l’impatience, la tentation de chercher tout de suite le grand succès, de chercher les grands nombres. Ce n’est pas la méthode de Dieu. Pour le Royaume de Dieu, comme pour l’évangélisation, instrument et véhicule du Royaume de Dieu, est toujours valable la parabole du grain de sénevé (cf. Mc 4, 31-32). Le Royaume de Dieu recommence toujours de nouveau sous ce signe. La nouvelle évangélisation ne peut pas signifier : attirer tout de suite par de nouvelles méthodes plus raffinées les grandes masses qui se sont éloignées de l’Eglise. Non – ce n’est pas cela la promesse de la nouvelle évangélisation… Dieu ne compte pas avec les grands nombres ; le pouvoir extérieur n’est pas le signe de sa présence. Une grande partie des paraboles de Jésus indiquent cette structure de l’agir divin et répondent ainsi aux préoccupations des disciples, qui attendaient du Messie bien d’autres succès et signes – des succès du genre de ceux offerts par Satan au Seigneur : Tout cela – tous les royaumes du monde – je te le donnerai… Un vieux proverbe dit : « Le succès n’est pas un nom de Dieu. »
Ce soir, clouons aux bras de la croix tous nos désirs et toutes nos recherches de succès et demandons la grâce de ne chercher que la fécondité qui passe inévitablement par le don de nous-mêmes à la suite de Jésus.
… et Marthe Robin est un très bon exemple de fécondité dans sa petitesse et le vrai don de soi !