Vous vous rappelez peut-être ce mot que, feu le président Chirac, avait utilisé pour qualifier une situation invraisemblable, il avait parlé de situation abracadabrantesque ! Eh bien, c’est une situation abracadabrantesque que les saducéens utilisent pour montrer qu’ils ont bien raison de ne pas croire en la résurrection des morts. Si les Saduccéens avaient du mal avec la résurrection, c’est que cet article de foi était apparu assez tardivement dans le judaïsme. Très longtemps, pour les juifs, quand on mourait, on allait tous au Shéol, les bons comme les mauvais, tout le monde allait au Shéol, c’était le lieu des morts. On a souvent ce terme de Shéol dans les psaumes, particulièrement les psaumes demandant une guérison pour un malade. Le Shéol était redouté parce que, dans ce lieu, on ne pouvait plus louer Dieu, on y était comme à l’état d’ombre. Ce n’était donc vraiment pas génial !
Et voilà qu’au 3° siècle avant Jésus-Christ, le peuple juif va, à nouveau, traverser une période très difficile. Ce sont les Grecs qui sont les maitres du monde et qui occupent le pays. Au début, ça ne se passe pas trop mal mais au 2° siècle, lorsque le roi Antiocos arrive au pouvoir, il va considérablement resserrer l’étau provoquant une révolte de ceux qui voudront rester fidèles à la loi. Cette révolte sera emmenée par Judas Maccabée et ses frères, beaucoup vont mourir martyrs ou tués dans des combats très violents. C’est dans ce contexte qu’est née la foi en la résurrection.
Le livre de la Sagesse affirmait fortement que la vie des justes était dans la main de Dieu Sg3,1. Il n’était donc pas possible que Dieu les garde dans sa main au cours de leur vie et les retire de sa main à leur mort alors qu’ils étaient précisément morts pour lui rester fidèles. Peu à peu, vers la fin du 2° siècle avant Jésus, la résurrection commence à s’imposer comme une exigence de la foi. Mais, les Saduccéens, eux, n’accepteront jamais ce nouvel article de foi.
Cette difficulté de croire en la résurrection, ce refus, beaucoup de nos contemporains le partage. Et, de fait, ce n’est quand même pas simple de croire en la résurrection. Quand quelqu’un vous demande d’expliquer ce que veut dire la résurrection des corps et vous demande comment c’est possible, êtes-vous parfaitement à l’aise ? Moi, je m’en sors en disant qu’à la messe, on ne me demande pas de dire : j’ai compris, mais : je crois en la résurrection ! C’est vrai que ce n’est pas simple, les Saduccéens avaient l’humilité de le reconnaître. Mais sans doute allaient-ils trop loin en disant : puisque je ne comprends pas, je dis que c’est impossible !
Les Saduccéens ont posé une question à partir d’un cas d’école un peu farfelu, mais c’est vrai que dès qu’on entre dans le concret tout devient compliqué. Je me souviens ces deux questions posées par des enfants au caté qui montrent la complexité du sujet. 1° question : quand on va ressusciter, on va ressusciter vieux ou jeune ? 2° question : depuis le temps qu’il y a des gens sur la terre et en imaginant encore tous ceux qui arriveront après nous, on va les mettre où tous ces gens ressuscités ? Ça nous fait sourire, mais ça révèle bien la complexité du sujet !
La réponse de Jésus n’est pas très simple à comprendre. On peut assez vite noter qu’il y a deux parties dans la réponse de Jésus : Une 1° partie, reprenant directement l’argument opposé par les Saduccéens et qui parle de la pertinence du mariage dans l’au-delà. Et une 2° partie qui fait référence aux Ecritures et plus particulièrement à Moïse, le personnage le plus éminent du judaïsme. Reprenons rapidement chacune des deux parties.
La 1° partie qui parle de la pertinence ou plutôt de la non-pertinence du mariage pour parler de l’au-delà nous semble la plus compliquée. Les enfants de ce monde prennent femme et mari. Mais ceux qui ont été jugés dignes d’avoir part au monde à venir et à la résurrection d’entre les morts ne prennent ni femme ni mari, car ils ne peuvent plus mourir : ils sont semblables aux anges, ils sont enfants de Dieu et enfants de la résurrection. Sans imposer mon interprétation, je vous dis comment, moi, je comprends. Il me semble que Jésus dit aux Saduccéens : vous n’arrivez pas à croire en la résurrection car vous imaginez la vie éternelle comme un simple prolongement éternel de la vie présente. C’est aussi ce dont témoignaient les deux questions des enfants du caté.
Eh bien, dit Jésus, ce n’est pas comme ça qu’on peut réfléchir car la vie éternelle sera toute autre., plus de mariage, plus de lessive, plus de serpiller à passer, plus d’homélie à préparer, plus rien à faire, nous serons comme des anges. C’est-à-dire des êtres purs qui ne sont plus définis par ce qu’ils font, mais par ce qu’ils sont et ce que nous serons, nous le serons éternellement : nous accéderons à la plénitude de notre identité d’enfants de Dieu. Quand nous ressusciterons, plus rien ne viendra entraver, entacher cette identité. Retenons que, non seulement il est vain, mais c’est même dangereux de chercher à imaginer ce que sera la vie éternelle puisqu’à chaque fois que nous imaginons, c’est forcément à partir de ce que nous connaissons. Et lorsque nous poussons à bout notre imagination, elle nous conduira toujours à une situation abracadabrantesque ! Pas simple pour les petits curieux que nous sommes, je vous l’accorde ! Contentons-nous de croire que nous serons enfin enfants de Dieu, déployant éternellement cette merveilleuse identité, vivant dans l’amour éternel avec tous ceux qui auront choisi, eux aussi, de recevoir, sans aucun mérite de leur part, de pouvoir déployer cette identité.
Si la 1° partie de la réponse n’avait pas convaincu les Saduccéens, Jésus espère emporter leur adhésion avec la 2° partie de sa réponse. C’est pour cela qu’il fait référence au personnage le plus indiscutable, le plus consensuel de tout le judaïsme, Moïse. Il rappelle que lorsque Dieu s’adresse à Moïse depuis le buisson ardent en lui révélant son nom, il dit : Je suis le Seigneur, le Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob. Jésus montre aux Saduccéens que Dieu s’est toujours révélé en rappelant sa promesse, la promesse de son alliance, une alliance éternelle qui s’étend d’âge en âge, qui ne meurt pas avec la mort des dépositaires de l’Alliance. Jésus en déduit que ce n’est pas seulement l’Alliance qui est éternelle mais que ce sont ceux qui se trouvent dépositaires de cette alliance qui sont promis à l’éternité : Il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants.Finalement cela revient à dire que la résurrection ne pourra jamais se démontrer, mais elle s’impose comme une exigence de la foi. Si Dieu est amour, son amour est éternel et il ne peut que nous tenir éternellement dans une vie de ressuscités.
Par l’intercession de Notre Dame de Laghet, demandons que le Seigneur nous accorde la grâce d’avoir des comportements ajustés à notre foi. Puisque nous sommes appelés à la vie éternelle, posons des actes qui ne nous feront pas rougir dans l’éternité.