Nous commençons aujourd’hui la lecture continue de la 1° épitre à Timothée, une lecture qui nous occupera une dizaine de jours, juste interrompue par la fête de la Croix glorieuse au cœur de la semaine prochaine. Je me propose donc de vous donner quelques éléments pour que vous puissiez goûter comme il se doit la Parole que vous entendrez. Parmi toutes les lettres de Paul, il n’y en a que 4 qui sont destinées à des personnes, toutes les autres sont adressées à des communautés. C’était le cas de la lettre aux Colossiens dont nous avons achevé la lecture hier. Et, parmi ces 4 lettres, il y en a 2 qui sont adressées à la même personne Timothée, les deux autres sont adressées à Tite et à Philémon, mais celle adressée à Philémon est tellement courte et circonstanciée qu’on l’appelle souvent le billet à Philémon.
Ces épitres, on les appelle les épitres pastorales justement parce qu’elles sont adressées à ces pasteurs que sont, principalement, Timothée et Tite pour les aider dans leur mission pastorale. C’est ainsi que, dans ces épitres, on va trouver des éléments de doctrine pour consolider l’enseignement que ces pasteurs doivent donner aux chrétiens, particulièrement en direction des nouveaux convertis qui peuvent être tentés de retourner à des éléments de leurs pratique religieuse du passé ou tenté par des philosophies trompeuses. On trouvera aussi des points de repère à transmettre à ces chrétiens pour qu’ils puissent mener une vie qui soit en cohérence avec leur foi et qu’en les voyant vivre, ceux qui ne partagent pas la foi des chrétiens puissent découvrir la différence chrétienne. On trouvera enfin dans ces épitres pastorales des éléments concernant l’organisation de l’Eglise pour permettre à ces pasteurs d’exercer leur mission de gouvernement et de reprendre éventuellement ceux qui exercent un ministère de responsabilité ou de les encourager dans les difficultés qu’ils peuvent connaître.
Un petit mot sur la personne de Timothée lui-même. Il est issu d’une famille atypique. Sa mère était juive et son père était païen. Ces mariages mixtes d’une juive avec un païen n’étaient pas courants à l’époque. On sait que les juifs étaient très soucieux de ne pas se souiller en fréquentant de trop près des païens, du coup, on imagine la réticence qu’il pouvait y avoir à envisager de tels mariages. Deuxième signe qui manifeste que cette famille était atypique, chez les juifs, c’est la mère qui transmet la religion. Le père, on peut toujours avoir des doutes sur sa paternité, pour la mère, c’est forcément très clair ! Si sa mère lui avait transmis sa religion, Timothée aurait donc dû être circoncis, or ce n’est pas le cas. On apprendra que Paul lui demandera de se faire circoncire pour qu’il puisse être mieux accepté dans les milieux juifs. Timothée, élevé dans la liberté, aurait pu refuser cette demande, mais il l’a acceptée car il était prêt à tout pour évangéliser. Ce profil atypique et enthousiaste a plu à Paul, c’est ainsi que Timothée est devenu, après Barnabé et la brouille qui les a éloignés, son compagnon le plus fidèle. Les personnalités atypiques doivent avoir du caractère pour traverser les difficultés inhérentes à leur situation. Paul le fougueux va aimer ce tempérament de Timothée, c’est pour cela qu’il le prendra sous son aile protectrice l’appelant « son véritable enfant dans la foi » comme nous l’avons entendu dans le texte. Paul lui fera confiance et lui confiera donc assez vite des responsabilités malgré son jeune âge ; toutefois, il n’hésitera pas à le reprendre, et même à le secouer quand ça sera nécessaire, nous le verrons la semaine prochaine.
Dès les premières lignes de la lettre qu’il envoie à Timothée, ces lignes que nous avons entendues dans la 1° lecture, Paul tient à rappeler son passé pas très glorieux : « Je suis plein de gratitude envers celui qui me donne la force, le Christ Jésus notre Seigneur, car il m’a estimé digne de confiance lorsqu’il m’a chargé du ministère, moi qui étais autrefois blasphémateur, persécuteur, violent. » Ce ministère d’apôtre qui lui a été confié ne vient pas couronner ses mérites mais il est pure grâce et ça sera un point sur lequel il aimera insister tant pour ce qui le concerne que pour tous ceux à qui un ministère a été confié. Exercer une responsabilité dans l’Eglise, c’est toujours un don de la grâce de Dieu, nul ne peut donc s’enorgueillir de la place qui lui a été donnée. Paul aimera le rappeler dans ces épitres pastorales et il n’hésitera donc pas à parler de son passé de pécheur, mais ce point, je le développerai plus longuement demain.
Venons-en à l’Evangile. Hier, avec l’âpreté des paroles de Jésus je demandais si on n’avait pas envie de lui dire : ça va tu ne veux pas en rajouter un peu plus ? Aujourd’hui, j’aurais presque envie de lui dire : et pourquoi tu nous as choisis si tu penses qu’on vaut si peu ? Parce que cet Evangile ne nous caresse pas dans le sens du poil ! Jésus commence par nous assimiler à des aveugles, incapables donc de conduire qui que ce soit et ensuite, il nous dit que notre péché est tellement important qu’il nous rend encore un peu plus aveugle ! Oui, pourquoi tu nous as choisis Jésus si tu as une si piètre opinion de nous ?
Non, rassurons-nous, Jésus n’a pas une piètre opinion de nous, il n’a une piètre opinion de personne. Nous le voyons bien, à travers tout l’Evangile, il passe son temps à rencontrer ceux qui n’étaient pas aimés, ceux qui n’arrivaient pas à s’aimer. De manière assez étonnante, je crois que, dans ces versets un peu décapants, Jésus veut poser les bases d’une vraie fraternité. En effet, ces paroles, Jésus les prononce pour ses disciples, c’est donc une catéchèse qu’il leur adresse pour les former à la vie communautaire, à la vie de disciple et plus tard, ils devront en faire encore bon usage quand ils deviendront des missionnaires. On sait que le pape François aime lier ces deux mots en parlant sans cesse de disciples-missionnaires. Eh bien, dans ces paroles, nous avons comme la charte du disciple-missionnaire, l’état d’esprit qui doit régner dans le cœur du disciple-missionnaire et entre les disciples-missionnaires. Cet état d’esprit, on pourrait le résumer ainsi : rappelez-vous toujours que vous êtes tous des pauvres. Ce qui va fonder la fraternité, c’est la reconnaissance joyeuse de notre commune pauvreté.
Nous trouvons que les autres ne sont pas très clairvoyants, rappelons-nous que nous sommes comme eux, nous aussi, nous sommes de pauvres aveugles. Nous trouvons que les autres ont des défauts, des faiblesses qui se voient comme le nez au milieu de la figure, rappelons-nous que nous sommes comme eux, pas pire qu’eux, mais comme eux ! Si Jésus parle d’une poutre dans notre œil, ce n’est pas pour dire que nous sommes pires que les autres, c’est juste un effet d’optique ! Une paille quand on la voit de loin, elle est petite, quand on la voit de très très près, elle parait énorme. Je me rappelle avoir été chez l’ophtalmo pour me faire enlever de minuscules calculs que j’avais dans les glandes lacrymales. Quand elle a approché son aiguille de mon œil, j’ai eu l’impression qu’elle intervenait avec un poignard, effet d’optique … comme la paille qui devient une poutre quand on la regarde de très près ! Le cœur de cette catéchèse que Jésus adresse à ses disciples, c’est donc une invitation à reconnaître une commune pauvreté. L’autre est un pauvre comme moi-même, je suis un pauvre et, finalement, c’est ce qui fonde notre fraternité particulièrement quand on a choisi de vivre en communauté ou de fonder un couple. En couple, dans une famille, dans une communauté, nous pouvons avoir des idées différentes sur certains sujets, nous pouvons avoir des différences de tempérament et même d’aspiration, mais ce qui nous unira toujours très profondément, c’est la reconnaissance de notre commune pauvreté.
Nous ne devons donc pas nous interdire de reprendre un frère, une sœur, un époux, une épouse, un fils, une fille quand c’est nécessaire, mais nous devons le faire en ayant conscience que c’est un pauvre qui va reprendre un autre pauvre et ça devrait s’entendre dans le ton de voix. J’aime beaucoup cette parole du père Cantalamessa qui dit que nous avons tous un combat à mener pour relativiser nos qualités et relativiser aussi les défauts des autres, c’est un combat parce qu’habituellement, nous faisons le contraire ! Nous sommes plutôt tentés de relativiser nos défauts et dans le même élan de relativiser les qualités des autres ! Je le redis parce que c’est tellement important, il ne s’agit pas de toujours chercher à relativiser nos défauts et dans le même élan de relativiser les qualités des autres, il s’agit plutôt de relativiser nos qualités et dans le même élan de relativiser les défauts des autres.
Que le Saint-Esprit qui est le Père des pauvres nous aide à reconnaître joyeusement notre pauvreté et à croire qu’elle peut devenir un lien puissant pour nous unir et nous permettre de nous adresser les aux autres dans un infini respect et avec un désir de nous faire grandir en n’hésitant jamais à relativiser nos qualités et dans le même élan à relativiser les défauts des autres.