12 avril : mardi de la semaine sainte. Quand il nous arrive d’avoir le moral dans les chaussettes ! Et quand Jésus aime même les traitres et les renégats !

Concernant la 1° lecture, je me permets de faire un petit rappel de ce que j’expliquais hier car, depuis hier, les retraitants sont arrivés ! Nous sommes dans la 2° partie du livre d’Isaïe qui en compte 3 et cette partie est datée du temps de l’Exil à Babylone, cette période bien difficile qu’on peut comparer à toutes les expériences de déportation vécues par tant de peuples. Et c’est vrai que pour le peuple juif, c’est encore plus difficile puisque, loin de la Terre, on est loin du Temple, il faut donc tout réapprendre des relations avec Dieu.

Aujourd’hui, nous lisons le 2° des 4 chants du serviteur, ces textes qui parlent d’un mystérieux serviteur, vivant une épreuve très douloureuse. Je rappelais hier, qu’il y avait plusieurs niveaux de lecture du texte. Le 1° niveau est un niveau historique, le prophète, au temps de l’Exil, donne un écho de la vie en déportation, et aujourd’hui, il nous parle du découragement qui guette ce serviteur, personnage central de ces chapitres qui, dans ce niveau de lecture, est donc le Peuple de Dieu qui n’en peut plus de cette épreuve. Alors, pour tenter de faire renaitre l’espérance, le prophète commence par rappeler l’élection, ce choix de Dieu en faveur du serviteur, c’est-à-dire du Peuple, la bienveillance de Dieu qui l’a toujours accompagné, qui l’a comblé de ses bienfaits. Mais voilà, tout ça, c’est du passé, en Exil, il n’y a plus rien sinon l’impression d’un grand vide, d’un grand effondrement si bien exprimé dans ce verset : « Et moi, je disais : Je me suis fatigué pour rien, c’est pour le néant, c’est en pure perte que j’ai usé mes forces. »

Et puis, il y a un 2° niveau de lecture, une lecture christologique, c’est-à-dire que c’est en relisant les épreuves du Christ qu’on peut comprendre tout ce qu’a écrit le prophète. Le Christ accomplit les Ecritures. Aujourd’hui, j’aimerais rajouter un 3° niveau de lecture mais celui-là s’applique à tous les textes de l’Ecriture. Ce niveau, on peut le qualifier d’existentiel, c’est-à-dire que lorsque je lis ces versets, je peux reconnaître mon expérience ou l’expérience de mes proches dans ces versets. J’ai parfois même l’impression que ce texte a été écrit pour moi, il me donne des mots pour exprimer ce que je suis en train de vivre. Et c’est sur ce 3° niveau de lecture que j’aimerais insister aujourd’hui. A un moment ou à un autre de notre vie, nous pouvons tous expérimenter ce qui est évoqué dans ces versets, c’est à dire l’impression d’un grand vide après avoir été, pourtant, comblés par l’amour de Dieu. 

Nous aussi nous avons pu dire avec enthousiasme : « J’étais encore dans le sein maternel quand, Seigneur, tu m’as appelé ; j’étais encore dans les entrailles de ma mère quand tu as prononcé mon nom. » Quelle joie de pouvoir se rappeler que du plus loin que je puisse remonter dans ma vie, je découvre l’amour prévenant du Seigneur. Ce qui ne veut pas forcément dire que j’ai « tété » la foi avec le sein maternel, mais que, même loin de Dieu, en relisant ma vie, je découvre que sa main me conduisait, il me guidait pour que je n’aille pas trop loin sur le chemin de perdition. Et puis patatras, plus rien ! Parfois, cette sensation de vide vient s’installer après une période de médiocrité ou au moins de tiédeur, mais parfois, il n’y a rien d’objectif qui puisse expliquer cela, alors, quand nous avons le moral dans les chaussettes, nous avons, nous aussi, envie de lui crier : « Est-ce pour rien que je me suis fatigué ? Est-ce pour le néant ? Est-ce en pure perte que j’ai usé mes forces. »

Ce que je trouve admirable dans ce texte et plus largement dans les Ecritures, c’est que Dieu ne fait jamais taire ceux qui viennent vider leur sac auprès de lui. Dieu ne coupe jamais la parole à celui qui lui fait des reproches. Les psaumes sont remplis de ces très longues plaintes que le Seigneur écoute jusqu’au bout et, si les oreilles de notre cœur étaient plus affinées, nous pourrions l’entendre sangloter quand nous lui disons cela. Dieu sanglote parce qu’il souffre de notre souffrance, il est atteint par ce qui nous atteint et nous blesse si profondément. Et puis Dieu sanglote parce qu’il se rend compte que nous n’avons encore pas compris que, non seulement, il n’est pas à l’origine de nos souffrances, mais qu’il est à nos côtés pour porter avec nous ce qui était trop lourd pour nous. Dans les jours qui viennent nous allons méditer sur la passion, cette folie d’amour de Jésus, acceptant de se laisser écraser par sa croix afin qu’aucune de nos croix ne vienne nous écraser. 

N’hésitons pas quand nous n’en pouvons plus à crier vers lui, jamais il ne nous fera taire ! Osons croire que nos épreuves, nos galères et même notre péché n’empêchent pas Dieu d’avoir encore un rêve pour nous. D’ailleurs on a l’impression que plus nous lui parlons de nos galères, de nos insuffisances, plus son rêve devient fou ! « C’est trop peu que tu sois mon serviteur pour relever les tribus de Jacob, ramener les rescapés d’Israël : je fais de toi la lumière des nations, pour que mon salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre. » Dieu n’a jamais disqualifié ceux qui étaient fragiles, blessés, au contraire, c’est sur eux que se porte de manière toute spéciale sa tendresse.

Venons-en à l’évangile, j’aimerais souligner 3 points qui ont retenu mon attention.

Le 1° point, c’est le fait que la participation à ce dernier repas, si important pour Jésus, ne s’est pas faite sur invitation : Il y a tous les apôtres. Jésus n’a pas fait une petite réunion avant ce dernier repas pour dire : écoutez, ce qui va se passer est très important, si vous n’avez pas l’âme bien propre, si vous n’avez pas la conscience bien tranquille, si tous vos projets ne sont pas très clairs, il serait préférable que vous ne veniez pas ! Non, ils sont tous là même Judas qui va le livrer, même Pierre qui va le renier par 3 fois.  Jésus n’a pas écarté ceux qui, par leur comportement, allaient comme le poignarder dans le dos … et heureusement parce qu’autrement, il y a un certain nombre de jours où chacun de nous pourrait être écarté de l’Eucharistie !

Le 2° point, c’est que non seulement Jésus ne les écarte pas, mais, en plus, il est d’une infinie délicatesse avec eux. Pierre n’a pas le courage d’interroger Jésus pour lui demander le nom du traitre, il fait intervenir Jean ; c’est donc à Jean que Jésus répond. Mais Jésus n’arrête pas le repas pour dire tout fort : Jean me pose une bonne question à propos du traitre, je vais répondre bien fort pour que vous puissiez tous entendre ma réponse ! Non ! Notre péché, jamais le Seigneur ne le criera sur les toits, et il en sera de même pour nos pires trahisons, jamais il ne le fera. Avec Judas, il va rester d’une délicatesse extrême, le pauvre devait se demander comment il pourrait quitter le repas sans éveiller quelques doutes. Eh bien, c’est Jésus qui, avec une parole, lui sert une occasion discrète sur un plateau : « Ce que tu as à faire, fais-le vite. » Et le texte rajoute : Mais aucun des convives ne comprit pourquoi il lui avait dit cela. Jusqu’au bout, Jésus manifeste de l’amour espérant que cet amour finira par toucher le cœur de Judas. Et il a la même attitude vis-à-vis de Pierre. J’imagine volontiers que l’annonce du reniement de Pierre, Jésus ne l’a pas faite à la cantonade. Ces paroles ont dû être prononcées d’homme à homme et pas sous une forme de reproche mais avec le secret espoir que Pierre, réalisant qu’un homme averti en vaut 2, restera vigilant pour ne pas tomber. Notre péché, jamais le Seigneur ne le criera sur les toits. Si nous pouvions avoir la même délicatesse d’amour pour ne pas chanter sur les toits ce que nous avons vu, entendu et qui finira par mettre l’autre dans une position qui l’humiliera. La correction fraternelle n’a rien à voir avec la délation et le commérage.

Le 3° point, c’est que j’aime bien que soit évoqué dans un même texte le péché de Judas et le péché de Pierre. Parce que, finalement, ils sont équivalents, surtout si on rapporte chacun de ces péchés à celui qui les commet. Le péché du chef, même s’il est objectivement moins grand, revêt un caractère plus grave parce qu’il est commis par le chef. Ce qui va faire la différence entre Judas et Pierre, c’est que Pierre aura la chance de croiser le regard de Jésus juste après son péché et qu’il n’a pas fui ce regard. Mais c’était une vraie chance pour Pierre que Jésus sorte juste après son péché, s’il y avait eu un grand laps de temps, qu’aurait-il fait ? Mesurant son péché n’aurait-il pas été poussé lui aussi au désespoir ? Gardons bien cette leçon gravée dans nos cœurs : ne laissons jamais trop de temps entre nos reniements-trahisons qui s’expriment dans nos péchés et le moment où nous allons chercher le regard de sa miséricorde. Ça ne veut pas dire qu’il faut, à chaque fois que nous venons de pécher, aller nous confesser, mais il faut imiter le curé d’Ars qui disait : « quand je me rendais compte que je venais de commettre un péché, je courais devant le St Sacrement en disant : voilà, mon Dieu, je viens de vous jouer un tour à ma façon ! » Soyons donc vigilants : plus vite je me jetterai, spirituellement, dans les bras du Seigneur et moins le venin de la morsure du serpent aura le temps de distiller son poison mortel en moi.

Cette publication a un commentaire

  1. Franchellin

    Merci de cette homélie bien ficelée que je fais suivre.
    Bonne montée vers Pâques.

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