12 octobre : 1° homélie retraite des prêtres de Valence. Retrouver notre liberté et laisser soigner notre humanité douloureuse

Vous connaissez tous le conseil devenu très célèbre du grand théologien protestant Karl Barth qui, formant de jeunes pasteurs à la prédication, leur disait qu’une prédication réussie, c’est celle qui a été préparée avec la Bible dans une main et le journal dans l’autre ! Le journal, ça peut être bien sûr le journal des informations du monde, mais ça peut être aussi le journal de nos vies. C’est avec ce journal que j’ai médité les textes de ce jour. Le journal de nos vies, aujourd’hui, c’est notre entrée dans cette retraite. Alors faisons dialoguer les textes de la Bible et les textes de cette page du journal de nos vies.

De la 1° lecture, je retiendrai la dernière phrase de Paul qui dit aux chrétiens de Galates : « C’est pour que nous soyons libres que le Christ nous a libérés. Alors tenez bon, ne vous mettez pas de nouveau sous le joug de l’esclavage. » On sait dans quel contexte il le dit puisque ça fait déjà une semaine que nous lisons cette lettre. Mais avec le journal de nos vies ouvert à cette page de notre entrée en retraite, ces paroles peuvent résonner d’une manière particulière. Je les accueille comme une invitation à vivre cette retraite comme une occasion que le Seigneur nous offre pour reconquérir notre liberté.

Pour préparer cette homélie, je suis allé sur internet car je cherchais le titre d’un livre sur le sujet que j’avais lu. J’ai tapé reconquérir sa liberté et je suis tombé sur des pages de conseil pour quitter son mari ou sa femme qui entravent notre liberté ! Evidemment, ce n’est pas à cette liberté que nous sommes appelés ! Cette liberté, c’est celle à laquelle rêvent tous les adolescents : faire ce que je veux, comme je veux, quand je veux, avec qui je veux. Mais, normalement, nous avons dépassé l’âge de l’adolescence. Et la liberté à laquelle nous sommes appelés, c’est cette capacité de ne pas subir nos vies. Quand bien des gens pensent que la liberté, c’est faire ce qu’on veut, Paul nous dit que c’est exactement l’inverse, il s’agit de devenir capables de vouloir ce que nous faisons. J’aurais l’occasion d’y revenir au cours de la retraite. Et pour reconquérir cette liberté, l’un des pères du désert, abba Arsène, donnait ce conseil : « Assieds-toi, fais silence et apaise tes pensées. » Puisque ce temps nous est donné, profitons-en vraiment pour nous asseoir, faire un vrai silence qui consiste d’abord à apaiser nos pensées.

Quant à l’Evangile, je le lis comme une belle manifestation de l’humanité de Jésus. Il y a pas mal de textes dans lesquels nous voyons l’humanité de Jésus, quand il a faim, soif, quand il pleure, quand il est fatigué. Et puis il y a des passages où son humanité affleure de manière plus subtile, comme dans le texte d’aujourd’hui. Nous entendons Jésus nous partager sa souffrance devant l’échec de sa mission, du moins l’échec apparent ou l’échec partiel car il est venu pour sauver les hommes et l’humanité sera bien sauvée par le sacrifice de sa vie. Mais il aurait aimé que ce Salut soit accueilli par tous et il ne l’a pas été. Il y a d’autres passages dans lesquels cette souffrance est partagée, mais restons sur celui-là.

On sent bien la douloureuse tristesse de Jésus face aux gens qui sont incapables de lire les signes qu’ils ont déjà reçu en si grand nombre et qui en espèrent de toujours plus merveilleux. Pour leur répondre, Jésus va prendre deux exemples dans l’histoire et nous comprenons à quel point sa manière de faire appel à l’histoire va être l’expression de sa souffrance. 

1/ Il est d’abord question de Salomon, le grand roi Salomon, ce roi rempli de sagesse, eh bien, tous les grands de ce monde étaient subjugués par ses enseignements. La Bible a gardé la mémoire de cette rencontre entre la reine de Saba et Salomon dans une mise en scène hollywoodienne ! Jésus constate amèrement qu’il ne suscite pas le même engouement alors que, par ailleurs, Salomon avait bien des défauts, c’est pourquoi Jésus peut dire qu’avec lui, il y a bien plus, bien mieux que Salomon ! Oh, ce n’est pas une crise de jalousie que Jésus est en train de faire, sûrement pas ! Mais il est habité par une profonde tristesse de voir qu’il est, qu’il sera rejeté.

2/ Jésus va aussi évoquer la figure de Jonas. Lui, il a tout fait à l’envers, tellement il n’en voulait pas de la mission que Dieu lui avait confiée. Il a commencé par partir à l’opposé du lieu où Dieu l’envoyait. Après les péripéties de la tempête et de la baleine, il arrive enfin à Ninive, nouveau signe de mauvaise volonté, il bâcle la mission ! Il fallait 3 jours pour traverser à pieds cette ville, lui, en moins d’un jour, il a fini ! Eh bien malgré cette mauvaise volonté si apparente, Ninive va se convertir. Jésus, lui, il va mettre tout son cœur dans l’accomplissement de sa mission et il ne parviendra pas au même résultat alors que, sans difficultés, il est bien mieux que Jonas !

Evidemment, Jésus ne jettera jamais l’éponge, le découragement qui nous guette si souvent, n’aura pas raison de lui. Mais il n’empêche qu’il ose partager sa souffrance devant l’aridité de l’exercice de la mission et le peu de gratification qu’il en reçoit. Si l’humanité de Jésus nous est révélée dans ce passage et une humanité douloureuse, c’est sûrement parce que le Seigneur veut s’occuper de notre humanité douloureuse, de l’humanité douloureuse de chacun de nous et de l’humanité douloureuse de ceux qui sont confiés à notre ministère et que nous n’oublions pas en venant en retraite. Bien sûr, l’humanité, c’est beau, c’est beau d’être homme, d’être femme, c’est un cadeau que le Seigneur nous a fait. Mais il y a certains jours où, comme Jésus, nous vivons douloureusement notre humanité à cause de l’aridité de la mission, de nos échecs mais aussi de nos fragilités et de nos faiblesses. 

Accueillons donc cette bonne nouvelle : le Seigneur veut s’occuper de notre humanité dans ces côtés douloureux. N’hésitons pas à nous présenter devant lui tels que nous sommes, là où nous en sommes pour qu’il puisse vraiment prendre soin de nous. 

Tant pis si ça rallonge cette homélie, je vais vous lire un passage écrit par le frère Adrien Candard dans son excellent livre « Quand tu étais sous le figuier. » Il rapporte cet apophtegme des pères du désert : « Les frères interrogèrent Abba Agathon en lui demandant : quel est, parmi les bonnes œuvres, la vertu qui comporte le plus d’efforts ? Il leur dit : pardonnez-moi, je crois qu’il n’y a pas d’effort comparable à celui de prier Dieu. Chaque fois, en effet, que l’homme désire prier, les ennemis veulent l’en arracher. Car ils savent qu’ils n’entraveront sa marche qu’en le détournant de la prière. Pour tout autre œuvre bonne qu’un homme entreprend, en y persévérant, il acquiert de la facilité. Mais, pour la prière, jusqu’au dernier soupir, il a besoin de lutter. » 

Et voilà ce que le frère écrit pour commenter cet apophtegme. « Prier ce n’est pas un pieux loisir auquel on pourrait s’adonner plus ou moins distraitement comme on fait du tricot ! Le premier enjeu, peut être le seul enjeu, c’est d’être là, d’être vraiment là, de ne pas envoyer quelqu’un d’autre prier à notre place. Quand je dis quelqu’un d’autre je pense aux petits saints des vitraux sulpiciens que nous aimerions être. Cette version de moi qui n’a jamais de haine, ni de colère dans le cœur, qui n’est jamais jaloux de personne, qui accepte joyeusement tous les évènements comme l’expression de la volonté de Dieu, qui ne s’ennuie pas à la messe et ne rêve jamais d’aller gambader au loin. Il est parfait, ce petit saint que j’envoie si souvent prier à ma place ! Il n’a pas de défaut ou plutôt il n’a qu’un seul défaut, ce n’est pas moi ! La prière est un combat que je ne gagnerai pas en envoyant prier un petit saint de plâtre à ma place. C’est à moi de m’y coller avec tout ce que j’ai d’imparfait, de gênant, de honteux, de cassé, tout ce qui n’est décidément pas présentable. Bien des gens se plaignent qu’il ne se passe rien dans leur prière, c’est très souvent parce qu’ils ne sont pas là, parce qu’ils n’osent pas être là, comme si leur vraie présence risquait d’indisposer Dieu… Cacher à Dieu, dans la prière, ce qui nous préoccupe vraiment, ce que nous avons en nous, ce n’est pas seulement faire semblant de croire que Dieu peut ignorer quelque chose de nous, mais c’est comme si on demandait à un chirurgien de nous opérer, mais sur des photos seulement, sans toucher notre corps, et des photos qui nous montreraient en parfaite santé ! »

Cet article a 3 commentaires

  1. Adéline

    AMEN !
    Merci !

  2. wilhelm richard

    chaque fois que j’entends l’histoire de Jonas et de sa baleine, je ne peux m’empêcher de penser à Aznavour. et comme ce dernier est décédé en octobre 2018, je me permets cette chanson (légèrement) remixée de la Bohème. alors écoutez :

    La baleine, La baleine,
    Trois jours, trois nuits,
    Quelle infamie !
    La baleine, La baleine,
    Mon Dieu, vers toi je crie :
    « ça suffit ! »

    Avec tout ce bruit
    Voilà que je m’enferme
    Je cherche un appui
    La terre ferme.
    L’hiver ? Le printemps ?
    Long paraît ce temps.
    J’attends,
    Et personne ne ….. m’entend.

    La baleine, La baleine,
    Trois jours, trois nuits,
    Que d’ennuis !
    La baleine, La baleine,
    Mon Dieu, vers toi je crie :
    « Que d’ennemis ! »

    Un silence m’assaillit
    C’est la galère.
    Mon âme se détruit.
    Je prie qu’on me libère.
    Secoué par les vagues de la mer
    Je perds tous mes ….repères.
    Ce vide : un immense désert
    Ressemble un peu aux ….enfers.

    La baleine, La baleine,
    Trois jours, trois nuits,
    Pas de répit !
    La baleine,
    La baleine,
    Mon Dieu, vers toi je crie :
    « Suis-je maudit ? »

    Ça fait trois nuits
    Que je n’ai pas dormi.
    Que d’insomnies
    A bout de souffle est mon esprit.
    La ténèbre m’engloutit
    Et le monde m’oublie.
    M’avez-vous compris ?
    Je cherche l’issue de …. sortie ?

    La baleine, La baleine,
    Trois jours, trois nuits,
    Sacré défi !
    La baleine, La baleine, Mon Dieu, je te dis … merci.

    1. Père Roger Hébert

      Inspiré le Richard !

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