13 avril : Dieu a-t-il voulu la mort de Jésus et la pandémie?

Je ne veux pas m’arrêter sur l’Evangile car il reprend la fin et donne la suite de l’évangile lue à la veillée pascale et donc commenté dans l’homélie. Je l’avais évoquée, mais nous venons d’entendre cette fameuse ruse des juifs pour expliquer le tombeau vide et, avec l’homélie d’hier, vous aurez compris que le témoignage de Jean invalide complètement cette supercherie.

J’évoque juste l’invitation que Jésus transmet, via les femmes, à le retrouver en Galilée. La chronologie de l’après résurrection est assez difficile à reconstituer parce que, si vous avez la curiosité de lire comment St Luc rapporte ce qui s’est passé après la résurrection, ça brouille pas mal les cartes ! Retenons quand même qu’il y a un accord entre Marc, Matthieu et Jean pour dire qu’après un certain nombre de jours, ce nombre étant assez difficile à déterminer avec précision, ils sont allés en Galilée, comme Jésus le leur avait demandé … le fait de se retrouver chez eux ne sera d’ailleurs pas sans problème ! Cette semaine, nous aurons l’occasion de méditer un certain nombre de ces rencontres pascales en Galilée.

J’aimerais plutôt m’arrêter sur la 1° lecture qui est tirée du discours de Pierre après la Pentecôte, discours que nous lirons aujourd’hui et demain car il est une relecture des Ecritures qui donne sens à ce qui s’est passé dans la mort et la résurrection de Jésus. J’aimerais particulièrement m’arrêter sur un verset qui a retenu mon attention parce que, lu dans l’actualité que nous vivons, il peut poser pas mal de problèmes. Voilà ce que dit Pierre : « Jésus, cet homme, livré selon le dessein bien arrêté et la prescience de Dieu, vous l’avez supprimé en le clouant sur le bois par la main des impies. » Quand on entend ces paroles, si on ne les écoute pas avec une oreille trop distraite ou trop habituée, inévitablement une question se pose : Dieu aurait-il voulu la mort de Jésus ? Pierre dit en effet que Jésus a été livré « selon le dessein bien arrêté et la prescience de Dieu. » 

Est-ce qu’on en revient à la théologie moyenâgeuse qui expliquait que Dieu, le Père avait été offensé par le péché des hommes et qu’il exigeait une réparation à la hauteur de l’offense ? Du coup, on comprenait que, seul le Fils de Dieu, pouvait accomplir cette réparation en acceptant les pires souffrances, exigées par Dieu lui-même, pour apaiser son courroux comme le chante le Minuit chrétien ? Du coup, vous le comprenez, si on est dans cette perspective théologique, il ne faut pas s’étonner de lire sous la plume de certains pseudo-prophètes, comme les appelait le pasteur dont nous avons entendu le témoignage, que Dieu a voulu cette pandémie et qu’il ne l’arrêtera que lorsque sa colère sera calmée !

J’ai déjà abordé, une fois ou l’autres cette question, mais je crois qu’il n’est pas inutile d’y revenir. En effet, plus nous allons avancer, plus nous allons découvrir les ravages de la pandémie, pas seulement en nombre de morts, mais aussi en termes de déstructuration de la société notamment dans ses fondements économiques. Plus le drame sera fort et plus on entendra n’importe quoi, il faut donc nous préparer à pouvoir répondre intelligemment à cette question redoutable : où situer Dieu dans le drame que nous vivons ?

Comme la question est redoutablement compliquée, je préfère laisser répondre quelqu’un de bien plus intelligent que moi ! Je veux parler du père Cantalamessa qui a toujours une parole si juste. 

C’était le thème de son homélie du vendredi saint, mais peut-être ne l’avez-vous pas lue. Je vais en citer quelques extraits et, sur mon blog, je la mettrai en totalité. Voilà ce qu’il dit et qui est pour moi une réponse lumineuse à ces questions qui pourront nous être posées et qui est en même temps une réponse aux questions posées par la formulation que Pierre utilise dans son discours après la Pentecôte.

La pandémie du Coronavirus nous a brutalement fait prendre conscience du danger le plus grand qui soit que les hommes et l’humanité ont toujours couru, celui de l’illusion de la toute-puissance… Il a suffi du plus petit et plus informe élément de la nature, un virus, pour nous rappeler que nous sommes mortels, que la puissance militaire et la technologie ne peuvent suffire à nous sauver. « L’homme comblé qui n’est pas clairvoyant – dit un psaume de la Bible – ressemble au bétail qu’on abat. » C’est vrai : l’homme dans la prospérité ne comprend pas.

Le père Cantalamessa cite alors une belle histoire : Alors qu’il peignait les fresques de la cathédrale Saint-Paul à Londres, le peintre James Thornhill était si enthousiasmé par son travail que, revenant à un moment donné sur ses pas pour mieux admirer sa fresque, il ne remarqua pas qu’il était sur le point de tomber de l’échafaudage dans le vide. Un de ses assistants, terrifié, comprit que s’il criait, il ne ferait qu’accélérer la catastrophe. Sans y réfléchir à deux fois, il trempa un pinceau dans la couleur et le balança en plein sur la fresque. Le maître, sidéré, bondit en avant. Son travail était compromis, mais, lui, il était sauvé ! C’est ainsi parfois que Dieu fait avec nous, il bouleverse nos plans et notre tranquillité, pour nous sauver de l’abîme que nous ne voyons pas. Cette image est tellement belle, mais il ne faudrait pas mal l’interpréter, c’est pourquoi le père Cantalamessa ajoute tout de suite : Mais ne soyons pas dupes. Ce n’est pas Dieu qui a balancé le pinceau en plein sur la fresque éblouissant de notre civilisation technologique. Dieu est notre allié, pas celui du virus ! … Si ces fléaux étaient des châtiments de Dieu, comment expliquer qu’ils frappent de la même manière les justes et les pécheurs, et pourquoi les pauvres sont ceux qui en supportent les pires conséquences. Sont-ils plus pécheurs que les autres ? Non ! Celui qui a un jour pleuré la mort de Lazare pleure aujourd’hui le fléau qui est tombé sur l’humanité. Ce commentaire est de moi ! Il nous faut donc comprendre que celui qui a balancé le pinceau, c’est le Malin, lui, il voulait par ce jet de pinceau saccager l’œuvre de Dieu, mais Dieu a fait en sorte que ce geste destructeur nous empêche de tomber de l’échafaudage ! C’est le génie de l’amour de Dieu qui est à l’œuvre.

Dieu le Père a-t-il voulu lui-même la mort de son Fils, pour en tirer un bien ? Non, il a simplement laissé la liberté humaine suivre son cours, en lui faisant servir son plan, pas celui des hommes. Ceci s’applique également aux maux naturels, comme les tremblements de terre et les pestes. Ce n’est pas lui qui les suscite. Il a donné aussi à la nature une sorte de liberté, qualitativement différente certes de la liberté morale de l’homme, mais toujours une forme de liberté. Liberté d’évoluer selon ses lois de développement. Il n’a pas créé le monde comme une horloge programmée à l’avance dans son moindre mouvement. La parole de Dieu nous dit quelle est la première chose que nous devons faire dans des moments comme ceux-ci : crier vers Dieu. Est-ce que Dieu aime se faire prier pour accorder ses bienfaits ? Est-ce que notre prière peut amener Dieu à changer ses plans ? Non, mais il y a des choses que Dieu a décidé de nous accorder comme fruit à la fois de sa grâce et de notre prière, comme pour partager avec ses créatures le mérite du bienfait reçu. 

Et sa conclusion est magnifique : Nous aussi, après ces jours que nous espérons courts, nous nous lèverons et sortirons des tombeaux que sont devenu nos maisons. Non pas pour revenir à l’ancienne vie comme Lazare, mais à une nouvelle vie, comme Jésus. Une vie plus fraternelle, plus humaine, plus chrétienne !

Homélie du p. Cantalamessa

« J’AI DES PENSÉES DE PAIX, ET NON DE MALHEUR »

Saint Grégoire le Grand disait que l’Écriture « cum legentibus crescit », c’est-à-dire grandit avec ceux qui la lisent [1]. Elle continue de révéler de nouvelles significations à l’homme selon les questions qu’il porte dans son cœur quand il la lit. Et cette année, nous lisons le récit de la Passion avec une question – ou plutôt avec un cri – dans le cœur, qui s’élève de partout sur la terre. Nous devons chercher à saisir la réponse que la parole de Dieu y apporte.

Ce que nous venons d’entendre est le récit du mal objectivement le plus grand jamais commis sur la terre. Et nous pouvons le regarder sous deux angles différents, soit en face, soit à l’arrière, c’est-à-dire sous l’angle de ses causes ou de ses effets. Si nous nous arrêtons aux causes historiques de la mort du Christ, nous sommes troublés et chacun serait tenté de dire comme Pilate : « Je suis innocent du sang de cet homme [2] ». On comprend mieux la croix à ses effets qu’à ses causes. Et quels ont été les effets de la mort du Christ ? Nous avons été justifiés par la foi en lui, réconciliés et en paix avec Dieu, remplis de l’espérance de la vie éternelle ! (cf. Rom 5,1-5)

Mais il y a un effet que la situation actuelle nous aide à saisir de manière particulière. La croix du Christ a donné un nouveau sens à la douleur et à la souffrance humaines. À toute souffrance, physique et morale. Ce n’est plus une punition, une malédiction. Car elle a été rachetée à la racine depuis que le Fils de Dieu l’a prise sur lui. Quelle est la preuve la plus sûre que la boisson que l’on te tend n’est pas empoisonnée ? Que l’on boit à la même coupe devant toi. Ainsi, sur la croix, Dieu a bu, aux yeux de tous, le calice de douleur jusqu’à la lie. Il a montré par là qu’il n’est pas empoisonné, mais qu’au fond, on y trouve une perle.

Et pas seulement la douleur de ceux qui ont la foi, mais toute douleur humaine. Il est mort pour tous. « Et moi, quand j’aurai été élevé de terre, avait-il dit, j’attirerai à moi tous les hommes [3]. » Tous les hommes, pas seulement quelques-uns ! « Souffrir – écrivait saint Jean-Paul II de son lit d’hôpital après son attentat – signifie devenir particulièrement réceptif, particulièrement ouvert à l’action des forces salvifiques de Dieu offertes à l’humanité dans le Christ [4]. » Grâce à la croix du Christ, la souffrance est devenue elle aussi, à sa manière, une sorte de « sacrement universel de salut » pour le genre humain.

Quelle lumière tout cela jette-t-il sur la situation dramatique que traverse l’humanité ? Ici encore, plutôt que les causes, il nous faut regarder les effets. Non seulement les effets négatifs, dont nous entendons chaque jour le triste bulletin, mais aussi les effets positifs que seule une observation plus attentive nous aide à saisir. La pandémie du Coronavirus nous a brutalement fait prendre conscience du danger le plus grand qui soit que les hommes et l’humanité ont toujours couru, celui de l’illusion de la toute-puissance. Nous avons l’occasion – a écrit un rabbin juif connu – de célébrer cette année un exode pascal très particulier, celui de « l’exil de la conscience » [5]. Il a suffi du plus petit et plus informe élément de la nature, un virus, pour nous rappeler que nous sommes mortels, que la puissance militaire et la technologie ne peuvent suffire à nous sauver. « L’homme comblé qui n’est pas clairvoyant – dit un psaume de la Bible – ressemble au bétail qu’on abat [6]. » C’est vrai : l’homme dans la prospérité ne comprend pas.

Alors qu’il peignait les fresques de la cathédrale Saint-Paul à Londres, le peintre James Thornhill était si enthousiasmé par son travail que, revenant à un moment donné sur ses pas pour mieux admirer sa fresque, il ne remarqua pas qu’il était sur le point de tomber de l’échafaudage dans le vide. Un de ses assistants, terrifié, comprit que s’il criait, il ne ferait qu’accélérer la catastrophe. Sans y réfléchir à deux fois, il trempa un pinceau dans la couleur et le balança en plein sur la fresque. Le maître, sidéré, bondit en avant. Son travail était compromis, mais il était sauvé.

C’est ainsi parfois que Dieu fait avec nous, il bouleverse nos plans et notre tranquillité, pour nous sauver de l’abîme que nous ne voyons pas. Mais ne soyons pas dupes. Ce n’est pas Dieu qui a balancé le pinceau en plein sur la fresque éblouissant de notre civilisation technologique. Dieu est notre allié, pas celui du virus ! « Je forme à votre sujet des pensées de paix, et non de malheur », dit-il lui-même dans la Bible [7]. Si ces fléaux étaient des châtiments de Dieu, il ne serait pas expliqué pourquoi ils frappent également justes et pécheurs, et pourquoi les pauvres sont ceux qui en supportent les pires conséquences. Sont-ils plus pécheurs que les autres ?

Non ! Celui qui a un jour pleuré la mort de Lazare pleure aujourd’hui le fléau qui est tombé sur l’humanité. Oui, Dieu « souffre », comme chaque père et chaque mère. Quand nous le découvrirons un jour, nous aurons honte de toutes les accusations que nous avons portées contre lui dans la vie. Dieu participe à notre douleur pour la surmonter. « Dieu – écrit saint Augustin – étant suprêmement bon, ne laisserait aucun mal exister dans ses œuvres, s’il n’était pas assez puissant et bon, pour tirer le bien du mal lui-même [8] ».

Dieu le Père a-t-il voulu lui-même la mort de son Fils, pour en tirer un bien ? Non, il a simplement laissé la liberté humaine suivre son cours, en lui faisant servir son plan, pas celui des hommes. Ceci s’applique également aux maux naturels, comme les tremblements de terre et les pestes. Ce n’est pas lui qui les suscite. Il a donné aussi à la nature une sorte de liberté, qualitativement différente certes de la liberté morale de l’homme, mais toujours une forme de liberté. Liberté d’évoluer selon ses lois de développement. Il n’a pas créé le monde comme une horloge programmée à l’avance dans son moindre mouvement. C’est ce que certains appellent le hasard, et que la Bible appelle plutôt « la sagesse de Dieu ».

L’autre fruit positif de cette crise sanitaire est le sentiment de solidarité. Quand, de mémoire d’homme, les gens de toutes les nations se sont-ils sentis aussi unis, aussi égaux, aussi peu querelleurs, qu’en ce moment de douleur ? Jamais comme aujourd’hui nous ne saisissons la vérité de ces mots d’un de nos grands poètes : « Hommes, paix ! Sur la terre écrasée le mystère est trop grand [9] ». Nous avons oublié les murs que nous voulions construire. Le virus ne connaît pas de frontières. En un instant, il a brisé toutes les barrières et distinctions : de race, de religion, de richesse, de pouvoir. Nous ne devrons pas revenir en arrière lorsque ce moment sera passé. Comme le Saint-Père nous y a exhortés, ne laissons pas passer en vain cette occasion. Ne permettons pas que toute cette souffrance, tous ces morts, tout cet engagement héroïque du personnel médical aient été vains. C’est la « récession » que nous devons craindre le plus.

« De leurs épées, ils forgeront des socs, et de leurs lances, des faucilles. Jamais nation contre nation ne lèvera l’épée ; ils n’apprendront plus la guerre [10]. »

Il est temps de réaliser quelque chose de cette prophétie d’Isaïe dont l’humanité attend depuis toujours l’accomplissement. Disons : assez ! à la tragique course aux armements. Dites-le de toutes vos forces, vous les jeunes, car c’est avant tout votre destin qui est en jeu. Attribuons les ressources illimitées utilisées pour les armements aux fins dont, dans ces situations, nous voyons le besoin et l’urgence : la santé, l’hygiène, l’alimentation, la lutte contre la pauvreté, le soin de la création. Laissons à la génération qui viendra un monde plus pauvre en choses et en argent, au besoin, mais plus riche en humanité.

La parole de Dieu nous dit quelle est la première chose que nous devons faire dans des moments comme ceux-ci : crier vers Dieu, car c’est lui-même qui met sur les lèvres des hommes les mots qu’ils lui adressent, parfois même des mots durs, de lamentation et presque d’accusation. « Debout ! Viens à notre aide ! Rachète-nous, au nom de ton amour. […] Ne nous rejette pas pour toujours [11]. » « Maître, nous sommes perdus ; cela ne te fait rien [12] ? »

Peut-être Dieu aime-t-il se faire prier pour accorder ses bienfaits ? Peut-être notre prière peut-elle amener Dieu à changer ses plans ? Non, mais il y a des choses que Dieu a décidé de nous accorder comme fruit à la fois de sa grâce et de notre prière, comme pour partager avec ses créatures le mérite du bienfait reçu [13]. C’est lui qui nous exhorte à le faire : « Demandez, on vous donnera ; dit Jésus ; frappez, on vous ouvrira [14] ».

Lorsque, dans le désert, les Juifs étaient mordus par des serpents venimeux, Dieu ordonna à Moïse d’élever un serpent de bronze sur un poteau, et ceux qui le regardaient ne mouraient pas. Jésus s’est approprié ce symbole. « De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, dit-il à Nicodème, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé, afin qu’en lui tout homme qui croit ait la vie éternelle [15] ». Nous aussi, en ce moment, nous sommes mordus par un « serpent » venimeux invisible.

Regardons celui qui a été « élevé » pour nous sur la croix. Adorons-le pour nous et pour toute l’humanité. Qui le regarde avec foi ne meurt pas. Et s’il meurt, ce sera pour entrer dans une vie éternelle. « Après trois jours, je me lèverai », avait prédit Jésus.[16] Nous aussi, après ces jours que nous espérons courts, nous nous lèverons et sortirons des tombeaux que sont devenu nos maisons. Non pas pour revenir à l’ancienne vie comme Lazare, mais à une nouvelle vie, comme Jésus. Une vie plus fraternelle, plus humaine. Plus chrétienne !

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[1] Moralia in Job, XX,1.

[2] Mt 27, 24.

[3] Jn 12, 32.

[4] Salvifici doloris, n. 23

[5] https://blogs.timesofisrael.com/coronavirus-a-spiritual-message-from-brooklyn (Yaakov Yitzhak Biderman).

[6] Ps 48, 21.

[7] Jr 29, 11.

[8] Enchiridion, 11, 3 : PL 40, 236.

[9] G. Pascoli, I due fanciulli (Les deux enfants).

[10] Is 2, 4.

[11] Ps 43, 24.27.

[12] Mc 4, 38.

[13] Cf. S. Thomas d’Aquin, S.Th. II-IIae, q.83, a.2.

[14] Mt 7, 7.

[15] Jn 3, 14-15.

[16] Mt 9,31.

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