Il y a 2 paroles dans la 1° lecture que je voudrais souligner au moment où se termine notre retraite.
La 1°, c’est le tout début de la lecture, avec ce qu’on pourrait appeler cet éloge de la Parole de Dieu, de sa puissance, de ses vertus : elle est vivante, la parole de Dieu, énergique et plus coupante qu’une épée à deux tranchants ; elle va jusqu’au point de partage de l’âme et de l’esprit, des jointures et des moelles ; elle juge des intentions et des pensées du cœur. Finalement, c’est ce que nous expérimentons quand nous venons en retraite, nous vérifions combien la Parole de Dieu est puissante capable de nous rejoindre, de nos consoler, de nous conforter et aussi de nous déranger. C’est une invitation, pour nous, à vivre avec enthousiasme et sérieux le ministère de la Parole qui nous a été confié.
La 2° parole, c’est cette si belle déclaration tellement consolante : Nous n’avons pas un grand prêtre incapable de compatir à nos faiblesses. Nous repartons regonflés par ce que nous avons vécu, fortifiés, restaurés par le travail que le Seigneur a accompli en nous. Je ne veux pas jouer à l’oiseau de mauvais augure, mais je peux déjà vous dire que vous, comme moi, nous retomberons. Je me rappelle cette histoire que le père Jean-François, l’ancien père de La Flatière aimait raconter. Un nouveau prêtre avait été envoyé comme confesseur au Carmel de Dijon, au bout d’un moment, il va faire quelques pas dans le jardin et il tombe sur un jardinier qui était là en train de tailler les rosiers et le jardinier lui dit : je ne vous connais pas, je ne vous ai jamais vu ici. Le prêtre lui répond qu’il vient pour la 1° fois et qu’il est chargé de confesser les sœurs. Le jardinier qui était expert en taille ne l’était pas en religion et il lui demande : c’est quoi la confession ? Le prêtre lui explique : elles disent leurs péchés et moi je leur donne le pardon de Dieu. Le jardinier trouve que c’est vraiment très bien. Et le mois suivant, le prêtre revient et même scénario, faisant quelques pas dans le jardin, il aperçoit le jardinier et va en sa direction, le voyant arrivé le jardinier lui dit : c’est pas possible, elles ont recommencé !? Oui, elles avaient recommencé et nous aussi, nous allons recommencer ! Mais notre assurance, c’est justement de savoir que nous n’avons pas un grand prêtre incapable de compatir à nos faiblesses.
Et, dans l’Evangile, nous voyons justement que nos faiblesses ne le repoussent pas. Moi, quand j’entends le récit de l’appel de Lévi-Matthieu, j’ai tout de suite, devant les yeux le tableau du Caravage représentant cet appel, tabeleau qu’on peut voir à l’église St Louis des Français à Rome. On voit bien que Matthieu n’arrive pas à croire que Jésus puisse l’appeler, lui, le collecteur d’impôts. Il demande, comme une confirmation à Jésus : tu es sûr que tu ne t’es pas trompé en me montrant du doigt ? Tu es bien sûr que c’est moi que tu veux ? Regarde qui je suis, quel métier je fais, tu dois faire erreur ! Dans le texte d’Evangile, ce n’est pas Matthieu qui est étonné, mais les scribes, les pharisiens. Ce qui va obliger Jésus à mettre les points sur les i : « Ce ne sont pas les gens bien portants qui ont besoin du médecin, mais les malades. Je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs. » Et j’ai envie de rajouter qu’il est toujours dans les mêmes dispositions ! Jeudi, je citais cette parole qu’on trouve un peu plus loin, au chapitre 13 de la lettre aux Hébreux : Jésus est le même hier, aujourd’hui et à jamais. (Hb 13,8) Non, il n’a pas changé ! Et si jamais nous n’avions toujours pas compris pourquoi il nous a appelés, nous avons là, une partie, une petite partie certes, mais une vraie partie de l’explication : il nous a choisis parce que nous ne sommes pas des justes mais des pécheurs ! C’est aussi le sens de la parabole des invités au festin (Lc 14,16ss), ceux qui participeront à ce festin ne seront pas, au sens premier de l’expression, des invités de premier choix !
Si je souligne cela, ce n’est pas pour nous rabaisser, mais pour nous aider à nous tenir dans la gratitude, la gratitude qui nait de cet émerveillement : comment est-ce possible que tu aies pu vouloir avoir besoin de moi ? Au 2° jour de notre retraite, je citais ces paroles de pape Benoit XVI au jour de son élection qui traduise le même étonnement « Après le grand Pape Jean Paul II, Messieurs les Cardinaux m’ont élu moi, un simple et humble travailleur dans la vigne du Seigneur. Le fait que le Seigneur sache travailler et agir également avec des instruments insuffisants me console et surtout, je me remets à vos prières. »
Dans cette même perspective, on pourrait aussi citer la devise du pape François « Miserando atque eligendo »cette devise qui est une citation de Bède le Vénérable, commentant justement l’appel de Matthieu et qu’on traduit souvent par : choisi parce que miséricordié. Le pape François a en effet raconté que sa vocation remonte à un jour où il était allé se confesser. C’est à la sortie du confessionnal qu’il a eu la certitude que le Seigneur l’appelait. Il était appelé parce que miséricordié, en effet, il venait juste de recevoir la miséricorde … et s’il venait de recevoir la miséricorde, c’est parce qu’il était pécheur ! C’est fou cet amour du Seigneur pour les pécheurs ! Un amour qui éclate à chaque page de l’Evangile et qui continue de se vérifier dans l’histoire de l’Eglise, ces citations des deux derniers papes l’attestent et s’il fallait une preuve supplémentaire, notre propre appel manifeste que le Seigneur aime toujours autant les pécheurs.
Alors, évidemment, ça va sans le dire, mais ça va encore mieux en le disant, ce que le Seigneur aime chez les pécheurs, ce n’est pas le péché, mais l’humilité dans laquelle doit les tenir la conscience de leur péché. Comme le dit le psalmiste : Moi, mon péché, je le connais, ma faute est toujours devant moi. (Ps 50,5) J’avais lu un jour, que les premiers papes avaient mis dans leur emblème un coq pour qu’ils n’oublient jamais leur fragilité puisqu’ils sont les successeurs de Pierre qui a renié son Seigneur. Je trouve cela vraiment très beau. Alors, j’aimerais nous suggérer un truc concret, à nous aussi pour rester dans l’humilité, mais une humilité confiante. Je ne sais pas si vous savez que Pascal avait fait coudre dans le revers de sa veste le texte du fameux mémorial qui raconte le moment de son illumination, cette nuit de feu qui a fait basculer sa vie. Il l’a fait coudre dans le revers de sa veste pour ne jamais oublier ce que le Seigneur lui avait donné de vivre et des témoins expliquent qu’à certains moments où sa foi devait être plus difficile, il caressait le revers de sa veste comme pour actualiser les bienfaits de cette visite du Seigneur. Je ne sais pas ce qu’il faudra nous faire coudre dans le revers de notre veste ou garder dans la poche de notre soutane, est-ce notre dernière liste de péchés ? Est-ce la formule d’absolution ? Enfin le but, c’est que, jamais nous ne puissions oublier que « Miserando atque eligendo »
Oui ne l’oublions jamais, particulièrement les jours où nous avons le moral dans les chaussettes parce que notre médiocrité nous accable. Ne l’oublions pas non plus aux jours de réussite quand nous avons l’impression que rien ne nous résiste et que le succès semble au rendez-vous. Elle est vivante, bienfaisante la parole de Dieu quand elle nous rappelle que le Seigneur n’a pas pour habitude d’appeler des justes mais des pécheurs. Et elle est encore vivante et tellement bienfaisante la parole de Dieu quand elle nous rappelle que nous n’avons pas un grand prêtre incapable de compatir à nos faiblesses.