Je ne sais pas si vous êtes d’accord avec moi, mais, personnellement, je trouve que Jésus est souvent assez renversant ou du moins ses paroles sont souvent renversantes. Je n’en cite que deux, mais vous pourriez en trouver d’autres dans une lecture attentive des Evangiles : « les premiers seront les derniers et les derniers seront premiers ; celui veut devenir grand, qu’il soit votre serviteur. » Eh bien, dans l’Evangile d’aujourd’hui, cette allégorie bien connue du bon berger, Jésus est encore assez renversant. Le verbe qui revient le plus souvent dans ces quelques versets, c’est le verbe donner, avec cette déclaration initiale : « Je suis le bon pasteur, le vrai berger qui donne sa vie pour ses brebis. »
Je dis que c’est renversant parce qu’en fait, dans la réalité, ça ne marche pas dans ce sens ! Oui, bien sûr, quand une bête sauvage arrive, le vrai berger va se battre, il ne fuira pas comme pourrait le faire un mercenaire qui n’est pas attaché au troupeau. Mais, ne soyons pas naïfs, s’il se bat, c’est parce que son troupeau, c’est sa richesse. C’est-à-dire qu’il sait ce qu’il va pouvoir retirer de la vente de chacune des bêtes qu’il élève. Jamais un berger n’a élevé des moutons comme des animaux de compagnie qu’il prendrait plaisir à caresser chaque soir et qu’il garderait jusqu’à leur mort. Si le berger s’éreinte toute la journée pour trouver les meilleurs pâturages, s’il accepte d’endurer le soleil ou la pluie, ce n’est pas pour les beaux yeux de ses brebis, c’est parce qu’il sait que plus elles seront bien portantes, plus il pourra retirer d’argent en les vendant. Oui, c’est vrai, le berger s’attache à ses bêtes, mais le moment venu, il saura s’en détacher parce qu’il faut bien qu’il vive et il vivra de son troupeau.
C’est important d’avoir cela en toile de fond pour comprendre en quoi les déclarations de Jésus dans cet Evangile sont renversantes. « Moi, je suis le bon pasteur ; je connais mes brebis, et mes brebis me connaissent, comme le Père me connaît, et que je connais le Père ; et je donne ma vie pour mes brebis. » Jésus ne se sert pas du troupeau pour vivre, par contre, il sert le troupeau et donne sa vie pour que son troupeau puisse vivre. Tous les bergers vont chercher à agrandir leur troupeau pour avoir plus de bêtes à vendre et ainsi retirer de plus grands bénéfices. Aujourd’hui, on a d’autres points de repères, mais à cette époque, on mesurait tout de suite la richesse d’un homme à l’étendue de son troupeau. Il suffisait de connaître le cours du mouton pour évaluer la richesse potentielle d’un berger.
Encore une fois, on peut mesurer la différence avec Jésus. Lui, Jésus, ce n’est pas du tout dans cette perspective d’enrichissement qu’il dit : « J’ai encore d’autres brebis, qui ne sont pas de cet enclos : celles-là aussi, il faut que je les conduise. Elles écouteront ma voix : il y aura un seul troupeau et un seul pasteur. » Non, si Jésus dit cela, c’est parce que chaque brebis est unique pour lui, infiniment précieuse et il redoute donc ce qui pourrait lui arriver hors de l’enclos, hors de sa bienveillante vigilance. Pour chacune de ses brebis, il est prêt à donner sa vie. Chacune de ses brebis est unique, s’il en perd une, il ne dira jamais : une de perdue, 10 de retrouvées ! Chaque brebis est unique et a une valeur incomparable.
Les jours où vous avez le moral dans les chaussettes, les jours où vous n’en pourrez plus qu’on vous dévalorise, qu’on ne souligne que vous limites et vos défauts, ces jours-là, rappelez-vous que vous êtes le trésor de Jésus, que Jésus vous considère comme son bien le plus précieux et que vous avez tellement de valeur qu’il a donné sa vie pour vous. Si vous reprenez conscience de cela, ça devrait vous aider à devenir plus optimistes, plus sûrs de vous, plus conscients de votre inestimable valeur.Oui, décidément ce berger est bien étonnant, en tout cas, il ne ressemble à aucun autre berger, on peut vraiment le dire : ses paroles sont renversantes ! Tous ceux, qui à la suite de Jésus seront appelés au ministère de berger devront donc, par leur attitude, permettre à chaque brebis de réaliser qu’elle a une valeur inestimable aux yeux de Jésus. Regardons comment ça s’est passé pour Pierre, le premier qui aura été appelé à ce ministère de berger. Rappelez-vous, tout nous est dit dans cet épisode merveilleux de la rencontre entre Pierre et Jésus ressuscité au bord du lac.
Les apôtres étaient dans la barque, ils avaient peiné toute la nuit sans rien prendre et voilà qu’un inconnu, depuis le rivage, les invite à jeter leurs filets à droite, ils le font et ramènent une quantité invraisemblable de poissons. Jean qui comprend plus vite, qui croit plus vite dit à Pierre : c’est le Seigneur ! Alors Pierre se jette à l’eau. Parce que c’est peut-être en entendant Jean que Pierre a senti monter cette parole dans son cœur, parole qu’il redira plus tard et qui nous était rapportée dans la 1° lecture : « En nul autre que lui, il n’y a de salut, car, sous le ciel, aucun autre nom n’est donné aux hommes, qui puisse nous sauver. »
Depuis son reniement, Pierre devait être torturé intérieurement, il n’avait encore jamais pu rencontrer Jésus seul à seul, les apparitions avaient été collectives et voilà que l’occasion lui est donnée. Alors puisqu’il n’y a pas d’autre nom que le nom de Jésus qui puisse le sauver, il se jette à l’eau pour que Jésus pose son regard miséricordieux sur lui. Mais ça va trop vite, les autres arrivent assez rapidement. Du coup, il faudra que Pierre attende la fin du barbecue préparé si délicatement par Jésus pour qu’il puisse aller faire ces quelques pas en tête-à-tête. Jésus ne lui rappelle pas le souvenir douloureux de son reniement en lui demandant des explications, Jésus ne lui demande pas s’il regrette, ni s’il promet de ne plus jamais recommencer, il lui pose une seule question à trois reprises : M’aimes-tu ? Et à chaque fois, il lui dit : prouve-le en demeurant le berger de mes brebis.
Quand Pierre a entendu cette triple demande de Jésus, il a su qu’il était pardonné et il a compris que Jésus ne lui demandait pas de racheter sa faute mais de témoigner sa gratitude en accueillant désormais en lui les sentiments de Jésus, le bon berger, à l’égard de toute l’humanité. Entendant les paroles de Jésus, inévitablement, Pierre a dû se rappeler les paroles de Jésus : « Je suis le bon berger et le vrai berger donne sa vie pour ses brebis. » Sans plus de discours, il a compris qu’il serait invité, à son tour, à donner sa vie pour ce troupeau et chacune des brebis qui le composait. Et voilà que Pierre, qui avait flanché devant une femme qui lui avait fait peur, deviendra capable de donner sa vie, comme Jésus, mais avec tellement d’humilité qu’il refusera d’être crucifié comme son Seigneur ne s’en jugeant pas digne, c’est pourquoi il demandera d’être crucifié tête en bas.
Puisque c’est le dimanche de prière pour les vocations, prions pour tous ceux que le Seigneur veut appeler au ministère de berger, tous ceux qu’il a déjà appelés à ce ministère afin qu’ils deviennent toujours plus de bons bergers. Le bon berger, ce n’est pas celui qui est zéro défaut, ça n’existe pas, mais c’est celui qui manifestera sa gratitude à Jésus qui l’a appelé tout en connaissant ses limites en s’occupant des brebis qui sont si précieuses à son cœur. Le bon berger, c’est celui qui laisse résonner sans cesse à son cœur les paroles de Jésus à Pierre : Si tu m’aimes vraiment, prends soin de mes brebis, de toutes mes brebis, de celles qui ne sont encore pas dans la bergerie, de celles qui en sont parties, de celles qui sont blessées et délaissées. Oui, si tu m’aimes, prends soin de mes brebis, c’est tout ce que je te demande !
En ce dimanche de prière pour les vocations, prions aussi pour tous ceux, toutes celles qui ont été appelés ou qui seront appelés, à une place ou à une autre, quel que soit leur état de vie, à prendre soin des brebis de Jésus. Nous le savons bien le troupeau a été malmené ces derniers temps à cause des agissements de mauvais bergers, du coup, les brebis ont besoin, plus que jamais, de bénéficier de beaucoup de soins bienveillants. Que le Seigneur Jésus donne à tous ceux qui l’aiment et qui veulent le lui manifester concrètement, à la place qui est la leur, de prendre soin de chacune des brebis particulièrement de celles qui ont été blessées. Qu’il fasse surgir de nouvelles vocations pour qu’aucune de ses brebis ne soit délaissée, abandonnée, laissée à sa souffrance. Qu’il fasse surgir de nouvelles vocations pour rejoindre toutes celles qui sont dehors et qui causent tant d’inquiétude à Jésus qui veut qu’aucune des brebis que le Père lui a confié ne se perde. Que chaque chrétien puisse garder en son cœur les paroles de Jésus à Pierre : si tu m’aimes, montre-le moi en prenant soin de mes brebis. Que l’Esprit-Saint nous éclaire pour savoir comment nous pourrons répondre très concrètement à cet appel de Jésus.