Cette fête de Saint Matthias est une très belle fête, d’abord parce qu’elle nous dit que les saints de glace sont terminés, mais surtout parce que Matthias est une très belle figure de la première communauté chrétienne. Je pense que vous avez compris que si l’Eglise nous propose de la fêter au lendemain de l’Ascension, c’est justement parce que son intégration au groupe apostolique a eu lieu juste après l’Ascension. Etait-ce le lendemain ? Evidemment, je ne peux pas en être sûr, mais ce qui est sûr, c’est que le livre des Actes qui nous raconte comment Matthias a été intégré au groupe apostolique, place cet événement entre l’Ascension et la Pentecôte. Et le fait que cet événement se passe avant la Pentecôte explique pourquoi on a eu recours à ce procédé de tirage au sort qui ne sera plus utilisé par la suite. Après la Pentecôte, on se fiera au Saint-Esprit pour missionner les personnes que le Seigneur lui-même a voulu choisir. Se fier au Saint-Esprit exigera, bien sûr, de pratiquer cet art difficile qu’est le discernement. Mais là, le Saint-Esprit n’est encore pas venu sur le groupe apostolique, ils ne peuvent donc pas se fier à lui et pourtant ils veulent adjoindre Celui que le Seigneur a choisi, c’est pour cela qu’ils vont procéder à ce tirage au sort. C’est un bon compromis.
Alors on pourrait penser qu’ils n’avaient qu’à attendre quelques jours pour que le Saint-Esprit soit donné et faire un choix vraiment éclairé, mais non, ça ne marche pas ! En effet, les apôtres, à cause de la promesse de Jésus, pressentaient que le don du Saint-Esprit allait être un événement décisif pour le groupe des apôtres, il fallait donc que le groupe soit complété avant le don du Saint-Esprit. Et, comme eux ne savaient pas quand ils recevraient le Saint-Esprit, on peut imaginer qu’ils n’ont pas trainé après l’Ascension pour être sûr que chaque apôtre puisse bien vivre cette expérience si importante : recevoir le Saint-Esprit en tant qu’apôtre pour devenir d’authentiques disciples-missionnaires. Et c’est bien parce qu’il recevra le Saint-Esprit comme les autres et avec les autres que Matthias ne sera pas un apôtre de 2° choix car c’est l’Esprit-Saint qui forge l’esprit apostolique.
Pour compléter le groupe, il y a un critère qui est fixé : il faut avoir suivi Jésus et le groupe apostolique depuis le Baptême de Jean jusqu’à l’Ascension. C’est déjà intéressant de savoir qu’il y avait des hommes mais aussi des femmes qui étaient étroitement associés au ministère de Jésus sans être apôtre et qui n’ont jamais revendiquer le droit de le devenir. Autour de Jésus chacun pouvait trouver sa place et se retrouver à sa juste place. On peut imaginer que, seuls ceux qui appartenaient au cercle des fameux 72 disciples avaient des chances de remplir ces conditions. Mais, en fait, parmi ces 72, certains ont dû être des intermittents dans la mission du disciple, en raison de légitimes contraintes, du coup, il n’en reste que deux qui remplissent totalement les critères. Le tirage au sort fera bien les choses puisque c’est Matthias qui est tiré au sort, c’est déjà un clin d’œil du Saint-Esprit parce qu’il a un nom prédestiné qui, en hébreu, signifie « don de Dieu. » Matthias est celui que Dieu donne à l’Eglise pour compléter le groupe apostolique. Il est un don de Dieu, pas un sous-apôtre !
Et alors, c’est très beau, quand Matthias est élu, il ne dit pas : pourquoi moi ? J’avais déjà expliqué qu’il y a une question qu’il est inutile de se poser quand le Seigneur nous appelle, c’est pourquoi moi ? Par contre, il est une question très utile à poser, c’est pour quoi moi ? Evidemment, à l’oral, on a l’impression que je dis deux fois la même chose, mais si vous regardiez mon texte, vous verriez que le premier pourquoi qu’il est inutile de poser, il s’écrit en un seul mot et que le 2° qu’il est utile de se poser s’écrit en deux mots. Pourquoi c’est lui et pas Joseph Barsabbas, c’est le choix de Dieu, laissons Dieu être Dieu dans son Eglise ! Mais Matthias comprendra, par le don du Saint-Esprit à la Pentecôte pour quoi, en vue de quoi, il est appelé à la mission d’apôtre.
J’aime bien aussi le fait que Matthias ne fait pas preuve de fausse humilité, il ne dit pas : je ne méritais pas, appelez plutôt Joseph, il est mieux que moi ! Il est élu, il y va parce qu’il comprend que c’est le Seigneur qui a fait ce choix. Il laisse Dieu être Dieu dans son Eglise et dans sa vie. Et alors, ce qui est aussi très beau, c’est que de lui, de son apostolat, on ne saura rien, il a simplement accepté de tenir la place qui lui avait été confiée et ce n’est pas rien.
Il y a comme ça, un certain nombre de personnes qui sont citées dans les Ecritures dont nous ne savons absolument rien. C’est le cas de Matthias mais aussi de quelques autres apôtres. Si vous êtes capables d’écrire un livre sur Thadée, c’est que vous avez vraiment une imagination fertile ! C’est la même chose parmi les diacres permanents, on connait l’activité de deux d’entre eux, mais les 5 autres, nous ne savons rien d’eux ! Peu importe, ils ont tenu leur place, ils ont tenu la place que l’Eglise leur avait donné. Ça serait déjà pas mal si, le jour de nos funérailles, on disait de nous : il a bien tenu sa place … et peut-être que, pour certains, on rajoutera malicieusement : et enfin, il va rester en place !
Il est temps, maintenant de parler un peu de l’Evangile ! « Mon commandement, dit Jésus, le voici :
Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. » On pourrait être étonné, peut-être même choqué que Jésus présente l’amour comme un commandement parce qu’on ne commande pas un élan du cœur, or l’amour est un élan du cœur ! C’est du moins, ce que nous pensons habituellement.
Il faut voir !
L’amour de ceux qu’on aime et qui nous aiment, de fait, peut jaillir d’un élan du cœur mais ce n’est pas de cela dont parle Jésus. Comme l’a perfidement fait remarquer quelqu’un (mais je ne me rappelle plus qui c’est !) Jésus n’a pas dit : aimez-vous les uns les uns, ce qui reviendrait à dire : aimez ceux que vous choisissez d’aimer, aimez ceux qui vous ressemblent. Non, Jésus dit : « aimez-vous les uns les autres. » Et dans cet appel, ce qui fait problème ce n’est pas les uns, mais c’est les autres ! En effet, l’autre, c’est précisément celui qui est différent et dont je supporte peut-être mal la différence ! Eh bien l’amour des autres, Jésus dit que c’est un commandement pour bien signifier que ce n’est pas matière à option !
Il y a comme ça, dans l’Evangile, quelques commandements avec lesquels Jésus nous demande d’être clairs. J’en cite juste un autre : « les pauvres, vous les aurez toujours avec vous. » C’est ce qu’il répond à Judas qui cherche à laisser croire qu’il est devenu généreux dans l’épisode de la femme pécheresse qui répand du parfum sur ses pieds. Alors, c’est vrai, Jésus ne dit pas que c’est un commandement mais j’imagine qu’il l’a dit avec une telle intonation que personne n’a osé ramener sa fraise ! L’amour n’est pas matière à option, la présence de pauvres à nos côtés n’est pas matière à option, ce sont de véritables commandements. Il est souvent nécessaire de commander ce qui est essentiel et qui n’est pas aussi évident que ça à mettre en œuvre. J’aime bien faire la comparaison avec la limitation de vitesse en ville à 50 km/h. C’est essentiel, c’est même vital de ne pas rouler vite en ville pour respecter les piétons, les cyclistes. Eh bien parce que c’est vital, mais que la nature est faible, on le commande et malheur à celui qui dépasse s’il y a des gendarmes et même s’il n’y pas pas de gendarmes, il doit s’en confesser !
Vous l’avez donc bien compris, l’amour est un commandement parce que Jésus ne dit pas aimez-vous les uns les uns, mais aimez-vous les autres. Et, en plus, il rajoute « comme je vous ai aimés. » Et pour que la signification de ce petit mot « comme » soit bien claire, il l’explicite en disant ce qu’est un amour qui ressemble aux siens : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. » Et il conclut en précisant que c’est ainsi que nous deviendrons ses amis en développant tout ce qui devient possible quand on passe du statut de serviteur à celui d’ami.
J’ai déjà dû le dire une fois ou l’autre, mais moi, quand j’entends tout ça, j’ai envie de chanter la fameuse chanson d’Annie Cordy, au moins le refrain : « J’voudrais bien, mais j’peux point ! » Parce que ce n’est pas l’envie d’aimer qui nous manque, ce n’est pas le désir de nous donner qui nous manque, c’est la force. Nous comprenons bien intellectuellement que l’amour, le don de soi ne sont pas matière à option, mais quand il faut passer aux travaux pratiques, ça se corse : « J’voudrais bien, mais j’peux point ! » Eh bien bonne nouvelle, le Saint Esprit promis par Jésus à l’Ascension et que nous attendons dans ce temps de Cénacle, sa spécialité, c’est précisément de nous donner une force surnaturelle qui nous rendra capables d’accomplir ce que nous ne pouvons pas accomplir naturellement quand nous comptons uniquement sur nos pauvres forces.
Alors plutôt que de chanter comme des désespérés : « J’voudrais bien, mais j’peux point ! » chantons plutôt sans nous lasser : viens, Saint Esprit, viens Père des pauvres et rend possible tout ce que je désir tellement vivre et que je n’arrive pas à vivre.
« Rester en place »…
« S’aimer les uns les uns »…
=> Ah ah !!!
Merci pour ces homélies toujours déridantes !