14 novembre : 33° dimanche ordinaire. Devenons des soleils, des anges les uns pour les autres !

Imaginez un seul instant que ce soir à la télé, au journal télévisé, le présentateur annonce : « Mesdames et messieurs, nous venons de connaître un temps de terrible détresse, des catastrophes se sont abattues sur notre terre, mais nous n’avons encore pas tout vu puisqu’on nous annonce que le soleil doit s’obscurcir, c’est-à-dire qu’il fera toujours nuit et comme la lune, elle aussi, doit perdre tout son éclat, ça signifie qu’elle ne nous éclairera plus dans cette nuit que nous allons va traverser. Ne comptez pas sur les étoiles les étoiles, les spécialistes annoncent qu’elles vont comme tomber du ciel, autrement dit, ça sera le noir intégral et définitif : plus de soleil, ni de lune, ni d’étoiles. »

Si le présentateur annonçait tout ça à la télé, j’imagine qu’il y aurait de grands mouvements de panique confessionnaux parce que les gens comprendraient que la fin est proche. Peut-être y aurait-il à nouveau la queue devant les confessionnaux, puisque la fin approche, autant mettre ses affaires en ordre ! Alors, j’espère que vous avez bien écouté parce que dans l’Évangile que j’ai lu, Jésus annonce bien toutes ces catastrophes ; mais avez-vous entendu la conclusion qu’il tire ? Est-ce qu’il dit que tout est foutu ? Non, pas du tout ! Il en tire même une tout autre conclusion : quand vous verrez tout cela, eh bien dites-vous que Dieu est proche, qu’il veut venir chez vous. Nous, nous attendons à une catastrophe et lui il annonce une bonne nouvelle. Et ça lui semble tellement évident que la suite logique de tous ces signes, à première vue inquiétants, soit l’annonce de la venue de Dieu qu’il raconte une petite histoire pour que ça soit bien clair pour tout le monde. Quand vous voyez un figuier qui bourgeonne, vous dites que la belle saison arrive, c’est logique ! Eh bien, quand vous voyez tous ces signes catastrophiques, c’est l’annonce de la venue de Dieu, c’est également très logique ! C’est logique, c’est logique … pour Jésus peut-être, mais pas pour nous ! Nous quand on a l’impression d’être complètement dans le noir, on pense que c’est la cata ! Quand les lumières qui rendaient notre vie belle et joyeuse s’éteignent les unes après les autres, ça n’annonce rien de bon, au contraire. Comment comprendre ce que Jésus annonce ?

Je vous avoue que ce texte d’Évangile m’a longtemps résisté. Et c’est grâce à mon expérience d’aumônier de prison, ministère que j’ai exercé pendant 7 années, que je l’ai mieux compris. Ceux qui se retrouvent en prison, ils y sont parce qu’ils ont fait quelque chose de mal, parfois même de très très mal. Je voyais bien en allant les visiter que les lumières qui rendaient leur vie belle et joyeuse s’étaient éteintes les unes après les autres : ils avaient été arrêtés, enfermés, et maintenant, c’était le grand trou noir dans lequel ils étaient plongés. Certains y pensaient jour et nuit, au point de ne plus pouvoir dormir parce qu’ils se rendaient compte qu’ils avaient semé beaucoup de souffrances. Souffrances pour les gens à qui ils avaient fait ce mal, mais ils avaient aussi beaucoup fait souffrir leurs familles qui devaient aussi porter ce mal et la honte qui va avec. Oui, toutes les lumières de leur vie s’étaient éteintes, du coup certains avaient vraiment des idées très noires.

Oui, mais j’ai constaté qu’en allant les visiter régulièrement, en parlant avec eux, en les aidant à prendre conscience du mal qu’ils avaient fait, parfois en les invitant à demander pardon pour ce mal, peu à peu, il y a quelque chose qui se passait dans leur vie. Pratiquement tous, quand ils sont rentrés en prison, ils ne croyaient pas en Dieu ou du moins, ils ne s’occupaient pas de Dieu : pas de prière, pas de messe, ils avaient mieux à faire quand ils étaient dehors ! En prison, ils n’avaient plus mieux à faire, alors ils venaient à la messe, au début, il ne faut pas se faire d’illusion, beaucoup viennent pour passer le temps et rencontrer les autres. Mais voilà que lorsqu’ils se mettaient à écouter, lorsqu’ils retrouvaient le chemin de la foi, ils constataient qu’au cœur de leur nuit si terrible, une petite lumière commençait à briller. Je peux témoigner que chez certains, cette petite lumière est devenue comme un grand feu. Certains ont même osé me dire qu’ils étaient plus heureux depuis qu’ils étaient en prison, enfin plus heureux depuis qu’ils avaient rencontré Dieu. Et ils reconnaissaient que s’il n’y avait pas eu la prison, avec la vie qu’ils menaient, ils n’auraient jamais rencontré Dieu. Comme quoi Jésus a bien raison, ces témoignages de détenus en sont la preuve : quand la nuit qui s’installe, ce n’est pas forcément l’annonce d’une catastrophe, ça peut être le signe annonciateur d’une visite de Dieu. Certains aimaient d’ailleurs résumer leur expérience en disant que, pour eux, la prison, avait été un mal pour un bien.

Je viens d’évoquer le témoignage de détenus, mais il y a beaucoup de témoignages de convertis qui rejoignent cette même expérience. C’est souvent dans la traversée de grandes épreuves que Dieu va se révéler à ceux qui n’en peuvent plus de ces ténèbres qui les écrasent. Est-ce à dire que Dieu ferait exprès que nous connaissions des épreuves ? Evidemment non ! Dieu n’est jamais responsable des épreuves que nous vivons. Les épreuves, elles arrivent soit comme conséquences de choix tordus, c’était le cas des détenus, soit elles arrivent de manière absolument inexplicable, ce qui est souvent le cas quand on perd de manière tragique un être cher. Le problème, c’est que lorsque tout va bien, souvent les gens profitent de la vie, carpe diem, ils se laissent éblouir par toutes ces idoles qui attirent sans jamais tenir leurs promesses. Et un jour vient le temps des épreuves, là, il n’y a plus moyen de s’accrocher à ce qui est futile et qui ne tient pas ; quand on dégringole dans la nuit, il faut du solide pour nous retenir, il faut du solide et en même temps du doux pour amortir le choc. C’est pour cela que Dieu a envoyé Jésus qui est descendu au plus profond de nos ténèbres pour nous apporter la lumière de sa présence. Au plus bas que nous descendions, il est là, déjà là pour amortir le choc. Il est là, les bras ouverts, pour nous rassurer, nous encourager. Inévitablement, à un moment ou à un autre, quand le temps de la révolte est passé, une révolte bien naturelle, une question finit par se poser : mais comment se fait-il que je sois encore debout avec tout ce que j’ai dû traverser ? Et c’est là que, peu à peu, la lumière peut se faire et elle se fait d’autant mieux que nous bénéficions d’un accompagnement fraternel, une lumière qui nous permet de dire comme Jacob épuisé par son combat : Dieu était là et je ne le savais pas !

Je me rappelle, un jour, un détenu m’a dit : « vous êtes un peu comme un ange pour moi ! » Au début, j’ai eu envie de lui dire qu’il me connaissait mal car, comme chacun d’entre vous, je ne suis pas un ange à chaque instant de ma vie, je ne suis pas un ange dans tous mes comportements, dans toutes mes paroles. Mais, en réfléchissant, j’ai compris ce qu’il voulait me dire : ma présence à ses côtés était un peu comme celle d’un ange. Finalement, il prenait conscience que, lorsque j’étais là, c’était le Seigneur lui-même qui le visitait. Il y en a un autre qui m’a donné ce beau témoignage : pour moi, en prison, il y a eu des jours où le soleil se levait deux fois dans la journée, une 1° fois, le matin quand le jour chassait la nuit et une 2° fois quand tu frappais à la porte de ma cellule !

Mes amis, n’hésitons pas à devenir des soleils, des anges les uns pour les autres, des envoyés du Seigneur pour visiter ceux qui sont dans la nuit et qui n’en peuvent plus de vivre dans cette nuit. Oui, bien sûr, il arrive que le Seigneur visite directement des personnes, mais il aime passer par nous. Ce matin, nous avons réfléchi sur l’encyclique du pape Françiois, Fratelli Tutti. Vivre la fraternité, c’est un des enjeux majeurs, pour nous chrétiens, avec tout ce que je viens de vous partager, vous comprenez que c’est aussi la voie royale pour évangéliser aujourd’hui. J’imagine que vous connaissez ce texte du franciscain Eloi Leclerc qui met justement sur les lèvres de St François d’Assise des mots pour expliquer ce qu’évangéliser, veut dire. J’ai juste osé remplacer le mot ami par celui de frère pour rester dans l’élan de Fratelli tutti ! Ecoutez, c’est tellement beau !

Le Seigneur nous a envoyés évangéliser les hommes. Mais as-tu déjà réfléchi à ce que veut dire évangéliser les hommes ? Évangéliser un homme, vois-tu, c’est lui dire : Toi aussi, tu es aimé de Dieu dans le Seigneur Jésus. Et pas seulement le lui dire, mais le penser réellement. Et pas seulement le penser, mais se comporter avec cet homme de telle manière qu’il sente et découvre qu’il y a en lui quelque chose de sauvé, quelque chose de plus grand et de plus noble que ce qu’il pensait, et qu’il s’éveille ainsi à une nouvelle conscience de soi. C’est cela, lui annoncer la Bonne Nouvelle. Tu ne peux le faire qu’en lui offrant ta fraternité. Une fraternité réelle, désintéressée, sans condescendance, faite de confiance et d’estime profondes. Il nous faut aller vers les hommes. La tâche est délicate. Le monde des hommes est un immense champ de lutte pour la richesse et la puissance. Et trop de souffrances et d’atrocités leur cachent le visage de Dieu. Il ne faut surtout pas qu’en allant vers eux nous leur apparaissions comme une nouvelle espèce de compétiteurs. Nous devons être au milieu d’eux les témoins pacifiés du Tout-Puissant, des hommes sans convoitises et sans mépris, capables de devenir réellement leurs frères. C’est notre fraternité qu’ils attendent, une fraternité qui leur fasse sentir qu’ils sont aimés de Dieu et sauvés en Jésus-Christ.

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