15 août : Assomption de la Vierge Marie. « Je te montrerai le chemin du ciel ! »

Tout le monde connait l’anecdote racontant l’arrivée de mon cher compatriote, le Saint Curé d’Ars, dans sa paroisse. Ce jour-là, il y avait un brouillard à couper au couteau. Le brouillard, dans cette partie de mon diocèse est un peu l’équivalent du ciel gris et du crachin breton, c’est-à-dire qu’il y en a bien plus souvent qu’on ne le souhaiterait ! Jean-Marie Vianney est donc tout près d’arriver, mais avec une telle purée de pois, il perd son chemin et ne sait plus où il doit se diriger. C’est alors qu’il entend les cris des bêtes composant un petit troupeau. Avec le bon sens qui le caractérise, il se dit que s’il y a un troupeau, il y a forcément un berger, il suffit de le trouver et lui, il pourra le remettre sur le bon chemin. C’est ce qu’il fait, le berger lui montre le chemin en lui disant qu’il est vraiment tout près du village, ce que l’on peut facilement constater aujourd’hui quand on va au lieu où un monument commémore cette rencontre en rappelant les mots qu’ils ont pu s’échanger, particulièrement ceux que Jean-Marie Vianney adressera au petit berger, Antoine Givre : « Tu m’as montré le chemin d’Ars, je te montrerai le chemin du ciel ! » De fait, cette parole résume bien tout ce que fut le ministère de saint prêtre que nous avons fêté, il y a une dizaine de jours : montrer le chemin du ciel, il n’y aura rien de plus important pour lui. Et, dans le cas du berger, ça se vérifiera de manière très concrète puisqu’Antoine Givre va mourir 5 jours après le curé d’Ars.

Montrer le chemin du ciel, n’est-ce pas ainsi que l’on pourrait résumer cette fête de l’Assomption de Marie qui, précisément, tourne nos regards vers le ciel où, pour la première fois, l’une d’entre nous, une fille de notre humanité, a été accueillie, manifestant ainsi la vocation ultime de tous les hommes. Vous pourriez me dire que ce n’est pas tout à fait juste de dire que c’est la 1° fois qu’une fille de l’humanité a été accueillie dans le ciel et que vous connaissez au moins deux exceptions ! C’est vrai que, dans son Ascension, Jésus avait déjà rejoint le ciel. Mais enfin pour Jésus, l’Ascension, c’est le retour à la maison ! Le Fils Eternel du Père s’était incarné pour venir sauver les hommes et, une fois sa mission accomplie, il est retourné vers le Père. Donc, la 1° objection ne tient pas ! Quant à la 2° que vous pourriez m’opposer, c’est la promesse que Jésus a faite au bon larron : « Aujourd’hui même, tu seras avec moi en paradis. » Oui, c’est vrai, mais le bon larron ne sera pas corps et âme en paradis, il y est comme nous y serons en attendant la résurrection des corps. Je ne développe pas ce point qui fera sûrement l’objet d’un enseignement donné au cours de l’une des deux retraites qui commence ce soir dont le thème est précisément les fins dernières. Donc Marie est bien la première fille de l’humanité à être accueillie au ciel, corps et âme, anticipant ce que nous sommes appelés à vivre, tout en sachant que nous, nous connaitrons quand même la corruption du tombeau que Marie n’a pas connue.

Le ciel est ouvert et désormais il n’y a rien de plus important, de plus urgent que de « montrer le chemin du ciel » pour reprendre les paroles du Saint Curé d’Ars. Si notre monde semble souvent déboussolé, ce n’est pas parce qu’il a perdu le Nord, mais parce qu’il a perdu le chemin du ciel, il a perdu de vue que ce qui donne sens à la vie, c’est-à-dire la perspective du ciel, vocation ultime de tout homme à la suite de Marie. Contrairement à ce que les grands philosophes, maitres du soupçon ont voulu nous faire croire, la perspective du ciel, quand elle est bien comprise, ne démobilise en rien les hommes, c’est même tout le contraire. Non, ce n’est pas juste de dire que « les chrétiens gaspillent pour le ciel des énergies destinées à la terre. » (Hegel) Ces derniers mois, en raison de la pandémie, nous avons été remis en face de cette réalité que tant de nos contemporains cherchaient à oublier : nous sommes marqués par la finitude et malgré tous les efforts et les progrès de la science, la vie reste fragile. Nous naissons tous en ayant contracté, dès notre naissance, la même maladie qui nous conduira tous à devoir mourir, les riches comme les pauvres, mais les pauvres plus vite que les riches ! Cette pandémie qui, faut-il le redire une énième fois ne vient pas de Dieu, nous oblige à replacer la mort dans le viseur de nos vies. Mais pas une mort contre laquelle on viendrait butter comme on peut butter contre un mur qui fait obstacle à toute avancée. 

Non, cette mort, Jésus l’a vaincue et, lui, le premier, il nous a montré le chemin du ciel, le ciel qui s’est ouvert pour Marie et qui s’ouvrira aussi pour chacun d’entre nous pour peu que nous le voulions et que nous soyons prêts à l’accueillir comme un don et non comme un dû couronnant tous nos efforts, nos sacrifices ou les mérites accumulés. Replacer la mort dans le viseur de nos vies et par conséquent, chercher à nouveau le chemin du ciel, c’est le bien que nous pouvons tirer de ce mal qu’est cette terrible pandémie. Parce que, si c’est bien sur le chemin du ciel que nous voulons marcher avec constance et détermination, bien des choses peuvent changer dans notre vie et dans la vie de nos sociétés.

Dans sa 1° prédication pour l’Avent de l’année dernière, le père Cantalamessa, en développant cette perspective, avait prononcé ces paroles tellement percutantes : « Regarder la vie du point de vue de la mort est une aide extraordinaire pour bien vivre. Êtes-vous troublé par des problèmes et des difficultés ? Avancez, placez-vous là où il convient : regardez ces choses depuis votre lit de mort. Comment alors auriez-vous aimé agir ? Quelle importance accorderiez-vous à ces choses ? Avez-vous un conflit avec quelqu’un ? Regardez-le depuis votre lit de mort. Que voudriez-vous avoir fait alors : avoir gagné ou vous être humilié ? Avoir vaincu ou avoir pardonné ? » Eh bien, pour coller à ce que je veux développer aujourd’hui en parlant du ciel, il suffit de remplacer ce qu’il dit concernant la perspective de la mort par la perspective du ciel, les deux étant de manière très évidente extrêmement liés. Mais comme elle est juste sa remarque et comme elle pourrait nous aider à dépasser nombre de conflits ou animosités entretenus. Imaginons un cas absolument improbable : je ne peux plus souffrir une personne et je passe mes journées à chercher à l’éviter. Plusieurs fois des occasions se sont présentées de me réconcilier avec elle, mais comme j’estime qu’elle n’a pas fait ce qu’elle devrait faire, je n’ai jamais été au bout de la démarche. Quand je serai sur mon lit de mort, là où, parait-il, la vie ne cesse de défiler : est-ce que cet entêtement me laissera vraiment dans la paix et la joie du devoir accompli ? 

C’est sûr, contrairement à ce que disaient les maitres du soupçon, la perspective de la mort et donc du ciel vient tout remettre à l’endroit dans nos vies ; cette perspective vient redonner de l’importance à ce qui doit en avoir et relativiser ce qui n’est pas si décisif que ça. Cette perspective vient aussi nous donner le courage de poser les gestes, de prononcer les paroles qui rétablissent des relations finalement bêtement perturbées. Entendons-nous bien, il ne s’agit pas de faire tout cela pour gagner son ciel ! Non, le ciel, je l’ai déjà dit, il ne peut que s’accueillir. Mais vous imaginez ce que sera votre ciel avec le souvenir de ces bassesses ? C’est sûrement pour nous éviter qu’il soit gâché que l’Eglise affirme l’existence du purgatoire. Si, en plein diner de noces, vous faites une grosse tache sur votre pantalon ou votre robe, vous allez passer le reste du repas à essayer de la cacher et ça vous gâche tout, au lieu de profiter de la joie de la rencontre, vous êtes obsédés par cette tache. Pour ne pas gâcher la joie du ciel, le purgatoire nous permettra de passer au pressing. Parce que se retrouver à côté de François d’Assise et ne pas pouvoir profiter de sa présence à cause de la honte de cette tache si voyante, ça serait un drame. Mais rester au pressing, trop longtemps, ça gâche aussi la joie puisque c’est autant de temps perdu. Rappelons-nous bien cette parole du père Cantalamessa : Regarder la vie du point de vue de la mort et du point de vie du ciel est une aide extraordinaire pour bien vivre.

« Merci Marie ! » c’est la phrase qu’on voit fleurir sur des grandes banderoles à Lyon pour le 8 décembre, nous pouvons la reprendre aujourd’hui. Oui, merci Marie parce que tu as vécu tout ce que dit le Magnificat qui nous invite à remettre nos vies à l’endroit, dans la perspective du ciel, en ne recherchant plus les futilités passagères mais en accordant de l’importance à tout ce qui peut avoir un poids d’éternité. Merci Marie, en cette fête de l’Assomption, comme dans toutes les fêtes qui te sont consacrées, tu ne nous attires pas à toi, mais tu nous montre le chemin du ciel et, sur ce chemin, tu ne cesses de nous accompagner jusqu’au jour où, quand nous serons enfin sortis du brouillard, tu nous y accueilleras pour nous conduire à Jésus qui nous placera entre les bras miséricordieux du Père pour que nous soyons intégrés à leur éternel dialogue d’amour dans l’Esprit.

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