15 novembre : Journée pour Dieu. Pour nous sauver, Dieu a décidé de descendre toujours plus bas …. tiens, tiens, ne serait-ce pas ce que l’Eglise est en train de vivre … toujours plus bas !
J.P.D. 15 novembre 2022
Le Mystère de l’abaissement de Dieu
Introduction : Un thème d’une double actualité !
Quand nous avons réfléchi au thème de cette Journée Pour Dieu, assez vite, j’ai proposé le thème de l’abaissement de Dieu. En effet, dans 10 jours, nous entrerons dans le temps de l’Avent qui nous prépare à Noël, l’une des fêtes qui nous révélation l’abaissement de Dieu, je vais avoir l’occasion d’y revenir assez longuement, ça sera le corps de mon exposé.
Et il se trouve que depuis quelques années, mais encore plus depuis quelques semaines, nous sommes, nous-mêmes, en Eglise, plongés dans une grande humiliation avec toutes les révélations si peu glorieuses des agissements de pasteurs de l’Eglise Catholique, Mgr Santier, le Cardinal Ricard et plus près de nous, le père Yannick. Ces humiliations nous rabaissent, d’ailleurs l’étymologie du mot l’évoque bien : humilité, humiliation viennent du latin humus, la terre. Certains avaient peur du retour d’un christianisme triomphant, ces humiliations nous en protègent et c’est au moins l’aspect positif qu’on peut tirer de tous ces scandales.
C’est vrai que, de manière spontanée, nous rêvons de réussite, de reconnaissance, parfois de gloire, pas toujours pour nous, mais pour ceux que nous aimons. Et la vie, avec ses épreuves, se charge souvent de nous remettre dans la réalité, une réalité moins glorieuse que nos rêves. Dans ces moments-là, à la manière de Job, nous avons envie de crier vers Dieu : mais qu’est-ce que tu fais ? Et Dieu ne nous fait pas taire, comme il n’a pas fait taire Job. Mais il va nous inviter, patiemment, délicatement à faire tout un chemin de foi qui nous amènera à découvrir que ce que nous vivons ne nous éloigne pas de lui, au contraire. En effet Dieu a choisi l’abaissement pour se révéler.
Cet abaissement les théologiens l’appellent d’un nom compliqué, la kénose. On peut dire que la kénose, l’abaissement est le mouvement qui indique avec le plus de justesse l’itinéraire que Dieu a choisi pour se révéler aux hommes et Noël en est une illustration magnifique, la passion de Jésus sera l’autre moment fort de cette kénose, je l’évoquerai aussi mais plus rapidement.
1. Dieu n’aime pas les confinements … ni au ciel, ni ailleurs !
1.1 Que disons-nous quand nous disons que Dieu est au ciel ?
Spontanément, nous situons Dieu au ciel et c’est bien vrai, d’ailleurs Jésus nous fait prier le Père du ciel. Oui, mais il y a sans doute une différence entre ce que Jésus entend par ciel et ce que nous, nous entendons par ciel.
Pour nous, le ciel, c’est ce qui est au-dessus, très au-dessus et qu’on ne peut atteindre qu’avec une fusée et encore, on n’entre que dans les parties inférieures du ciel ! Les cosmonautes russes chargés de faire la propagande athée de l’Etat communiste diront qu’ils sont allés dans le ciel et qu’ils n’ont pas vu Dieu ! Etant au ciel, ça signifie, dans l’imaginaire collectif, que Dieu est très au-dessus. Pour Jésus, à mon avis, le ciel avait une tout autre signification. En effet le ciel, c’est ce qui nous entoure, où que vous soyez, il y a du ciel, où que vous soyez, vous avez les pieds sur terre et la tête dans le ciel ! Le ciel est partout et c’est pour cela que Jésus nous invite à prier le Père du ciel, nous pouvons le prier parce qu’il est partout présent … pas pour nous surveiller, mais pour veiller sur nous. Il n’y a pas un lieu qui échappe à la vigilance de son amour. C’est ce que dit si bien le psaume 139 … citer …. Encore une fois, ce n’est pas une présence oppressante, mais une présence bienveillante qui se propose et nous assure qu’il est avec nous toujours et partout, il est l’Emmanuel, Dieu avec nous. Pour le manifester, Dieu décidera de quitter le ciel pour qu’il n’y ait plus d’ambigüité et ça va être le Mystère de l’Incarnation, je vais y revenir, mais, auparavant, je veux montrer comment Dieu a horreur des confinements dans des espaces éloignés et grandioses.
1.2 Quand David a la folie des grandeurs pour Dieu
Je voudrais nous inviter à faire un détour par l’histoire de David. Nous n’allons pas avoir le temps de lire tous ces très beaux textes, si vous le souhaitez, vous pourrez le faire, il faut commencer au 2° livre de Samuel au chapitre 5 jusqu’au chapitre 7. Je raconte en résumant. Au chapitre 5, David est enfin sacré Roi, ça fait un moment qu’il a été choisi par le Seigneur, qu’il a reçu l’onction (1S16) mais on peut dire que Saül, le 1° roi d’Israël et prédécesseur de David, s’est accroché jusqu’au bout pour ne pas laisser sa place à David, l’élu de Dieu. Mais, bon, enfin David peut prendre ses fonctions même si tout n’est pas très simple, il finit par pouvoir s’installer à Jérusalem après avoir reconquis la ville.
David est un roi très pieux, au bon sens du mot, très vite, il veut donc faire revenir à Jérusalem l’arche d’Alliance. L’Arche d’Alliance, on pourrait presque dire que c’était le signe de la présence réelle du Seigneur. Elle avait accompagné le peuple hébreu dans sa traversée du désert et depuis l’entrée en Terre Promise avait traversé bien des péripéties qu’on peut lire dans les textes bibliques. David décide donc de faire revenir l’Arche d’Alliance à Jérusalem et nous connaissons ce passage où il se met à danser pour manifester sa joie devant la présence du Seigneur qui revient au milieu de son peuple. Sa femme va sérieusement le houspiller en lui disant qu’il a perdu toute dignité en agissant ainsi. On trouve ce récit en 2 S 6. C’est très beau de voir la foi de David qui le pousse à la joie. Et c’est beau de voir que cette décision de faire revenir l’Arche d’Alliance à Jérusalem était finalement l’une des premières décisions que David prenait comme Roi. Un peu comme s’il disait : je ne peux pas régner si je ne suis pas assuré de la présence de Dieu à mes côtés. Magnifique !
Très bien ! Mais, David réalise soudain qu’il n’a pas prévu un hébergement à la hauteur du convive ! En effet, je l’ai dit, l’Arche d’Alliance, pour les juifs, c’est le signe de la réelle présence de Dieu. Dieu va loger sous une tente, alors que, lui, il habite dans un très beau palais ! David réalise qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Il convoque donc le prophète Nathan pour lui dire : j’ai décidé de construire un palais digne de Dieu pour qu’il soit quand même mieux logé que moi. Le prophète est touché par cette proposition de David et lui dit : vas-y Dieu sera content ! Mais, ça, c’est Nathan qui le dit et il le dit sans avoir consulté Dieu ! Alors Dieu convoque à son tour Nathan et lui dit, tu expliqueras à David que ce projet ne me plait pas du tout ! C’est un texte très important qu’on trouve en 2 S 7.
On a souvent du mal à comprendre le refus de Dieu parce que le projet de David est un bon projet. Il n’était quand même pas normal que le roi soit mieux logé que Dieu. C’est donc très beau que ce soit le roi, lui-même, qui propose de construire un Temple plus conforme à la grandeur de Celui qu’il doit abriter, c’est très juste, c’est très beau … alors pour quoi Dieu refuse ? Il y a deux raisons.
La 1° raison, je ne m’étendrai pas dessus, c’est que Dieu va faire comprendre à David qu’il ne faut pas inverser les rôles. Ce n’est pas à David de s’occuper de Dieu, c’est à Dieu de s’occuper de David et de son peuple. Selon la belle formule du grand théologien dominicain Maître Eckart, laissons Dieu être Dieu ! Je pourrai développer longuement, mais ce n’est pas le sujet.
La 2° raison, c’est que Dieu avait flairé le danger de ce projet. Quand il était sous la tente, Dieu était vraiment au milieu de son peuple et il pouvait accompagner son peuple. Avec la construction du Temple, tout risquait de changer. C’est comme si les hommes lui disaient : on te fait une très belle maison, mais à partir de maintenant, ça sera chacun chez soi ! Nous on fait ce qu’on veut chez nous et tu ne viens plus te mêler de ce qu’on fait quand on est chez nous. Chez toi, c’est Toi qui commandes, chez nous, c’est nous ! Dieu avait flairé le piège donc il n’est pas chaud pour ce Temple qui risquait de devenir une prison dorée ; dorée, c’est sûr, il ne manquera pas d’or dans le Temple, mais prison quand même, Dieu est assigné à résidence, pourrait-on dire ou Dieu est confiné dans une maison superbe, mais ce n’est pas ce qu’il aime. Lui, il préférait le camping qui lui permettait d’être au milieu de son peuple. Le confort était moins grand, le luxe moins pompeux, mais il pouvait être Emmanuel !
Seulement voilà, même quand on est Dieu, on ne fait pas tout à fait ce qu’on veut ! A regret, Dieu devra accepter ce Temple, mais tout ce qu’il redoutait va finalement arriver, il sera tenu à distance. Alors il va décider un gros coup, un coup impensable : il va se rendre présent dans un homme, pas n’importe quel homme, son Fils, là il n’y aura pas de confinement de luxe possible, d’ailleurs, il a tout prévu pour que l’abaissement soit le plus total possible. C’est ce que nous allons voir avec le mystère de Noël.
2. Le mystère de l’Incarnation, expression de la kénose
2.1 Une naissance presque naturelle !
Dieu ne veut pas arriver au monde dans une mise en scène hollywoodienne qui ne permettrait pas aux hommes de douter que c’est bien Dieu qui vient sur terre. De même qu’il ne quittera pas cette terre dans une mise en scène hollywoodienne montrant aux hommes qu’ils ont bien eu tort de ne pas l’accueillir et de ne pas croire en lui.
Dieu, le Dieu tout-puissant, créateur de la terre et du ciel, de l’univers visible et invisible va accepter de se faire fœtus dans le sein d’une jeune femme suivant le processus naturel du développement de tout petit d’hommes. Inouï ! Alors, je dis naissance presque naturelle parce que ce fœtus a un développement tout à fait naturel, mais il n’est pas arrivé de manière naturelle dans le sein de Marie, la jeune fille choisie. Il fallait une naissance naturelle pour montrer qu’il est vraiment homme et il fallait une conception sur-naturelle pour montrer qu’il est vraiment Dieu. Mais, dans cet enseignement, je veux insister sur sa naissance naturelle, révélation de la kénose.
2.2 Une naissance dans des conditions particulières
Nous connaissons les conditions de cette naissance. Le recensement décrété par l’autorité romaine qui oblige chacun à partir et se faire recenser dans son lieu d’origine. Joseph est de la maison, de la lignée de David, il doit donc aller à Bethléem. Le berceau était sans doute prêt, il faut tout laisser et partir au plus mauvais moment puisque le temps de l’accouchement approche.
Arrivé à Bethléem, il y a forcément beaucoup de monde, ce qui ne simplifie pas l’accueil. Ne disons pas, comme le dit la traduction liturgique : il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune. Ce n’est pas possible que Marie et Joseph n’ait pas été accueillis et cela pour deux raisons.
- 1° raison, il y a une tradition d’hospitalité dans cette région du monde qui rend impensable le fait qu’une femme enceinte, prête à accoucher ne soit pas recueillie quelque part. J’ai été moi-même bénéficiaire de cette tradition d’hospitalité … et je n’étais pas prêt à accoucher !
- 2° raison, dans le peuple juif, quand une femme était enceinte, elle était potentiellement la mère du Messie. En plus de la tradition d’hospitalité qui rend impensable le rejet d’une femme enceinte, personne n’aurait voulu prendre la responsabilité de laisser le Messie naître dans des conditions inhumaines.
Alors, comment faut-il comprendre le fait que Jésus soit né dans une étable ? Dans chaque ville, village, il y avait ce qu’on appelait un caravansérail. Ça ressemblait, en gros, à un cloitre avec une partie abritée, mais ouverte sur une cour intérieure dans laquelle les chameaux, les ânes se reposaient.
Les caravanes de passage (d’où le nom caravansérail) trouvaient ainsi, où qu’elles aillent, un lieu à l’abri, de même les pèlerins. Alors, sans doute, le caravansérail était-il bien plein à cause du recensement, du coup, on voit mal une femme accoucher au milieu de toute cette agitation. Un accouchement demande quand même une certaine intimité ! Il est donc possible qu’on ait indiqué à Marie et Joseph, une maison taillée dans la roche comme il y en avait tant qui pourrait les accueillir. Mais, là encore, Marie n’allait pas accoucher au milieu de cette famille qui avait déjà dû accueillir des parents, il fallait trouver un endroit qui permette l’intimité nécessaire à l’accouchement. Eh bien, ces maisons, on en a retrouvé quelques-unes, avaient comme deux étages, mais pas totalement clos, à l’étage supérieur, il y avait la famille avec une salle commune et des renfoncements dans la roche qui faisaient comme des alcôves, mais très ouvertes sur la pièce commune et en-dessous, les bêtes, on entrait par le niveau des bêtes. Avec cette configuration, la famille, en hiver profitait du chauffage des bêtes car on est à 800 mètres d’altitude, il fait donc froid en hiver, il peut neiger à Jérusalem et Bethléem est tout proche de Jérusalem.
Quand on va en pèlerinage, on peut visiter une telle maison dans le village de Taybeh, un village arable totalement chrétien qui a eu un curé très dynamique qui s’est employé à sortir sa ville de la misère. Une sœur assure la visite de cette maison qu’elles ont nommé la maison des paraboles parce que la disposition de la maison lui permet d’évoquer quantité de passages d’Evangile. Marie et Joseph ont dû être accueillis dans cette maison, on s’est serré et quand le moment de l’accouchement est arrivé, ils n’ont eu que quelques marches à descendre pour trouver l’intimité nécessaire au milieu des bêtes. Et le texte grec permet tout à fait cette lecture, je suis allé vérifier dans mon Nouveau Testament interlinéaire. Voilà ce qui est écrit littéralement : elle l’enveloppa de lange et le coucha dans une mangeoire parce que ne pas était un lieu pour eux dans la salle commune. La salle commune n’était pas un lieu pour eux, dans ce moment de l’accouchement, ce n’est pas qu’ils n’y ont pas été accueillis, mais ce n’était pas adapté à la situation.
Pourquoi on continue à propager cette histoire de refus d’accueil ? Je ne sais pas bien ! Peut-être un relent d’antisémitisme : depuis le début, les juifs auront été odieux avec le fondateur du christianisme … peut-être ! Ça arrange bien les curés qui font des homélies très engagées sur le refus d’accueil des pauvres ! Oui, c’est bien vrai que notre monde riche n’est pas très accueillant aux pauvres, mais, là, ce n’est pas le sujet !
Je pense qu’il serait plus bénéfique de creuser cette question de la kénose, je m’explique. Les circonstances ont fait que la naissance du Fils de Dieu n’a pas pu avoir lieu dans de bonnes conditions, pas à cause de l’égoïsme, mais à cause des circonstances. Mais Dieu est tellement fort qu’il va retourner cette situation à son avantage car d’un mal, il est toujours capable de tirer un bien comme nous l’apprend, notamment, l’histoire de Joseph vendu par ses frères dans le livre de la Genèse. Dieu va être finalement très content de ce concours de circonstances assez malheureux.
Ainsi il va réaliser son vieux rêve, se retrouver sur la paille comme les plus pauvres. Il quitte le faste du Temple et ses dorures, avec lesquelles on pensait l’honorer et il se retrouve sur la paille. Il a choisi de ne pas subir ce qui s’imposait à Lui. Christian Bobin a magnifiquement résumé cela en disant que le Très Haut s’est fait le Très Bas. Et ce choix de Dieu a des conséquences très importantes, j’ai envie de dire salutaires.
J’aimais développer ce point quand j’étais aumônier de prison. Certains détenus étaient incapables de croire que la miséricorde de Dieu pouvait les rejoindre. Alors, c’est sûr, pas de miséricorde sans que, au préalable, la justice ne passe. Mais la justice était passée puisqu’ils étaient en prison. Pour les aider à croire en la miséricorde, je leur disais, vous ne pensez pas que Dieu puisse établir sa demeure dans votre cœur, parce que, dans votre cœur, ça ne sent pas la rose, mais vous croyez que, dans l’étable de Bethléem, ça sentait la rose ? Si vous l’accueillez dans votre cœur, ce terrible parfum nauséabond qui vous laisse croire qu’il ne vous rend pas digne de l’accueillir, eh bien ce parfum nauséabond lui rappellera Bethléem. Le Très Haut a choisi de se faire le Très Bas, il a choisi d’utiliser ces circonstances dramatiques de la naissance de son Fils, pour qu’aucun homme ne pense être tombé trop bas pour que Dieu s’intéresse à lui. Le Très Haut s’est fait le Très Bas, c’est un livre, oui, mais ce n’est pas de la littérature, c’est toute l’histoire du Salut qui se trouve résumée dans ce mouvement qui, comme nous allons le voir, ne s’arrête pas à Bethléem.
Un indice qui montre que cette lecture est juste, c’est la visite des bergers. Eux qui étaient des pauvres, de vrais pauvres ont bien compris que cet événement les concernait au premier chef. Je dis qu’ils étaient de vrais pauvres, pas forcément d’un point de vue économique parce qu’ils ne manquaient pas de l’essentiel, leurs bêtes leur procuraient ce qu’il fallait pour manger et ce rythme de vie si proche de la nature, s’il est rude n’en est pas moins assez bon. Mais socialement, ils étaient de vrais pauvres. Ils sentaient mauvais, l’odeur des bêtes les imprégnait, ce qui n’attirait pas les gens vers eux. Ils vivaient en marge de la société, au plus près de leurs bêtes. Du coup, ils ne pouvaient pas participer aux offices de la synagogue et encore moins aux fêtes de pèlerinage au Temple. En raison de tout cela, on les suspectait de mœurs bizarres avec leurs animaux. En raison de tout cela ils n’étaient pas habilités à témoigner dans un tribunal, ils étaient complètement marginalisés. Eh bien, eux, que le Très Haut se soit fait le Très Bas, ça leur a parlé tout de suite, ça a un peu moins parlé aux dignitaires de Jérusalem !
2.3 Un début de vie assez tourmenté : la fuite en Egypte
Très vite, après l’inconfort de la naissance, il va y avoir cet événement douloureux du massacre des innocents perpétré suite à la visite des mages. Un mot sur les mages parce que vous pourriez me dire que des rois se sont quand même déplacés, il n’y a pas eu que des pauvres comme les bergers. Les mages n’étaient pas des rois, le texte d’Evangile ne leur donne pas ce titre, il ne dit pas, non plus qu’ils étaient trois !
C’est le télescopage avec le psaume 71,10 qui a orienté vers cette représentation. Voilà ce que dit le Psaume : Les rois de Tarsis et des îles apporteront des présents. Les rois de Saba et de Seba feront leur offrande. Pour l’Evangile, les mages sont juste des chercheurs et c’est à ce titre qu’ils sont pauvres parce que, pour chercher, il faut se dépouiller de bien des certitudes. En tout cas, suite à la visite des Mages, Hérode va être affolé et déclencher le massacre des saints innocents qui oblige la Sainte Famille à fuir en Egypte.
Après les conditions difficiles de cette naissance qui s’effectue dans le plus grand dépouillement, la kénose continue puisqu’ils vont vivre cette condition si difficile des migrants … et, selon l’opinion des chrétiens coptes d’Egypte, ça ne dure pas que quelques jours. Le Très Haut s’est fait le Très Bas pour que tous ceux qui sont tombés bien bas ne puissent pas penser qu’ils sont tombés trop bas pour que Dieu s’intéresse à eux. Mais comment pourront-ils croire que Dieu s’intéresse à eux si, personne ne s’intéresse à eux ?
2.4 La vie cachée, 30 ans d’anonymat
Au retour de l’Egypte, il va y avoir les 30 ans de vie cachée que je ne fais qu’évoquer parce que nous ne savons rien de ce qui s’est passé pendant ces 30 ans sinon cette fugue de Jésus en plein retour de pèlerinage. C’était sans doute le pèlerinage de sa bar-mitsva, l’équivalent de notre communion solennelle pour les juifs. Ce qui signifie que la Sainte Famille faisait ce que font toutes les familles juives. Marie et Joseph ne dévoilaient pas l’identité de leur fils pour s’octroyer je ne sais quel privilège ou quelle exemption. Ces 30 ans de vie comme tout le monde, 30 ans d’anonymat sont un autre aspect du mystère de la kénose et 30 ans à l’époque, ce n’était pas rien au vu de l’espérance de vie !
2.5 Le ministère public toujours dans la même trajectoire
Je ne peux pas entrer dans tous les détails du ministère public de Jésus qui pourraient nous montrer qu’il vit bien ce ministère dans la même trajectoire de Kénose. Je retiens seulement 3 éléments.
- Le baptême à Béthanie de Transjordanie à -300 mètres en-dessous du niveau de la mer, près de Jéricho. Que le Très Haut se fasse le Très Bas en venant depuis le ciel sur la terre, on a l’impression que ça ne suffisait encore pas ! Il fallait aller encore plus bas, c’est ce que fera Jésus au moment de son Baptême. Il est descendu plus bas que terre pour mieux rejoindre tous ceux qui sont tombés plus bas que terre.
- Le choix des apôtres : on peut dire qu’il n’a pas choisi le dessus du panier ! Je ne dis pas qu’ils étaient tous des ignorants même si la plupart étaient des pêcheurs du lac, donc des gens sans instruction, mais il n’a pas choisi que des gens d’une haute stature morale.
J’aime bien repasser la liste des apôtres en soulignant les faiblesses de chacun. Il y a donc ces pêcheurs du lac, assez bruts de décoffrage dont Pierre, grande gueule est un bel exemple ; un collecteur d’impôts, homme véreux et collaborateur ; un agitateur politique (Simon le Zélote) ; un amoureux de l’argent … Et avec eux, Jésus a vécu une vie communautaire, sans faille, sans échappatoire, toujours avec eux. Quand on va à Capharnaum, on est saisi de voir la promiscuité dans laquelle ils vivaient quand ils allaient « à la maison ». Il y a quelque chose de la kénose qui s’exprime encore et qui éclatera dans cette déclaration : Le fils de l’homme n’a pas une pierre où reposer sa tête ! Mt 8,20.
- Je viens de parler des apôtres, mais on pourrait aussi parler des foules qui le suivaient. C’étaient, à leur manière, des traîne-savates et ça devait bien faire sourire les rabbis de l’époque qui avaient la confirmation que ce Jésus n’était pas sérieux : qui s’assemble se ressemble ! Fermez les yeux et imaginez ces foules avec les prostituées, les boiteux, les sourds, les muets, les aveugles, les possédés, les collecteurs d’impôts … quel cortège ! Oui, son ministère, Jésus l’a vécu dans la plus grande humilité, dans cette trajectoire de la kénose et, à chaque fois qu’il a fait un coup d’éclat et qu’on a voulu l’honorer pour ce coup d’éclat, il s’est retiré dans le silence et la solitude pour ne pas dévier de cette trajectoire qui va culminer dans la passion, c’est ce que je veux encore évoquer.
3. Le mystère de la Rédemption expression suprême de la Kénose
Il faudrait reprendre un à un les événements que Jésus a vécus au cours de sa passion pour mesurer jusqu’où est allé cet abaissement de Jésus. Je vais me contenter de souligner quelques points sans les commenter longuement, venez à la retraite de la semaine sainte, il y en aura d’autres et ils seront médités plus en profondeur !
3.1 L’abaissement vécu dans l’entrée solennelle à Jérusalem
La passion s’ouvre de manière effective avec l’entrée solennelle à Jérusalem. Vous vous rappelez que Jésus y entre monté sur un ânon, pas un cheval comme les rois puissants, même pas un âne, un ânon, quel abaissement !
3.2 L’abaissement de l’Eucharistie
Après l’entrée solennelle à Jérusalem, le 2° temps fort de la passion, c’est l’institution de l’Eucharistie. Jésus qui choisit comme signe de sa présence la réalité la plus humble, du pain. Le pain, c’est vraiment ce qu’il y a de plus basique, c’est la nourriture des pauvres quand ils ne peuvent pas avoir plus et mieux. Désormais, pour nous, les chrétiens, c’est le signe de sa présence. On a fait des ostensoires sophistiqués et souvent dorés (pas ici) parce qu’on a du mal avec cette pauvreté du signe choisi par Jésus. Là encore, quel abaissement ! A la suite de l’institution de l’Eucharistie, il y a Gethsémani, mais je ne m’y arrête pas alors que l’abaissement est bien présent.
3.3 La nuit d’abaissement dans le palais du grand-prêtre
Il y a encore ce qui s’est passé dans la nuit après son jugement dans le palais du Grand-Prêtre. Le jugement a déjà été humiliant, mais ça ne suffisait pas ! Il a passé toute la nuit dans une citerne prison que des fouilles archéologiques ont mis à jour. L’évangile n’en parle pas, mais on est sûr que ça s’est passé comme ça. En effet, après son procès qui a eu lieu de nuit, il fallait que la sentence soit ratifiée par le sanhédrin qui ne pouvait se réunir que le jour, il fallait donc le garder dans une prison toute la nuit. Et des fouilles archéologiques faites sur ce site ont mis à jour un ensemble de plusieurs citernes qui étaient des prisons, les archéologues sont formels sur ce point.
L’une d’elle qui aurait pu servir pour isoler Jésus d’autres prisonniers était encore plus basse que les autres et peut-être même qu’elle servait de collecteur d’égout. Vous imaginez, Jésus, attaché toute la nuit les bras tendus, c’était un supplice fréquent, pour empêcher le prisonnier de se reposer mais surtout les pieds dans la m…. Toujours plus bas, ce n’est pas de la littérature, ce n’est pas une formule, c’est ce qu’il a voulu vivre pour rejoindre tous ceux qui sont dans une m…. afin qu’ils ne pensent jamais qu’ils sont abandonnés de Dieu. Quand on visite ces citernes-prisons, on est invité à prier le psaume 88, on a l’impression qu’il a été écrit pour cette circonstance. Vous le méditerez, c’est vraiment le psaume de l’abaissement, quand on est tombé, quand on prie pour ceux qui sont tombés bien bas.
3.4 L’abaissement physique vécu sur le chemin de croix
Sur le chemin de croix, il y a eu les chutes de Jésus. Sur le chemin, il est tombé pour rejoindre tous ceux qui tombent et qui sont écrasés par cette chute. Nous tombons régulièrement et ce n’est jamais facile de l’accepter, de le reconnaître. Nous avons honte quand nous tombons. Et il y en a qui tombent plus gravement, plus bas que nous. Dans sa chute, il a voulu nous rejoindre et les rejoindre. Mais la chute ne suffisait pas, car il y a encore plus humiliant que la chute, c’est la rechute ! Eh bien Jésus a voulu connaître la rechute pour rejoindre tous ceux qui étaient profondément humiliés par leurs rechutes et il a même connu le re-rechute comme pour manifester qu’il ne se lassera jamais de rejoindre et relever ceux qui chutent et rechutent.
3.5 L’abaissement vécu dans l’élévation de la croix
De manière paradoxales, c’est quand il est élevé sur la croix que Jésus vit sans doute le plus grand abaissement. Il y a bien sûr toutes les souffrances, ce qui n’est pas rien, mais, en plus, il est exposé quasiment nu au regard de tous. Et on l’a élevé pour que tout le monde le voit bien, pour que son humiliation soit totale. On le crucifie entre 2 bandits pour mieux le discréditer, pour anéantir ses prétentions à se présenter comme prophète… on lui a volé sa mort dira un exégète. Élevé sur la croix, il descend encore.
3.6 L’ultime abaissement vécu dans la nuit du tombeau, la descente aux enfers
Dans la nuit du tombeau, il a connu le gouffre de la mort, encore et toujours plus bas ! Le Credo nous fait proclamer que dans le silence du samedi saint, il est descendu aux enfers. Là, il ne pourra plus descendre plus bas, il a touché le fond ou plutôt il a voulu toucher le fond pour être sûr de n’oublier personne. Les enfers dans la Bible, ce n’est pas ce lieu de punition que nous, nous imaginons à tort d’ailleurs puisque le Catéchisme de l’Eglise Catholique parle d’un lieu d’auto-exclusion. Ce n’est donc pas Dieu qui nous y met, c’est nous qui pouvons le choisir en refusant la miséricorde et la communion éternelle. D’ailleurs dans ce cas, on parle de l’enfer et non des enfers.
Dans les Ecritures, les enfers, c’est plutôt le lieu de la mort, le lieu dans lequel se retrouvent tous les morts. Ce lieu, on l’appelle aussi de ce mot hébreu, le Shéol. Ce n’est pas un lieu de punition, mais pour autant, ce n’est pas un lieu très agréable puisqu’on y est sans Dieu. Ainsi donc, tous ceux qui sont morts avant Jésus se trouvent dans ce lieu, et Jésus y est allé pour les en faire sortir. Une très belle icône de la descente aux enfers nous montre justement Jésus descendu et remontant des enfers en tenant par la main Adam et Eve et tous les autres qui s’accrochent à la main d’Adam et Eve pour être, eux aussi, emportés, à la suite du Christ dans la lumière de la Vie.
Conclusion : Où le cherchons-nous quand nous voulons rencontrer le Seigneur ?
Au terme de cette méditation, je voudrais vous raconter une anecdote à propos d’une remarque qui m’a été faite dans un pélé en Terre Sainte que j’accompagnais. Nous étions à Emmaüs, l’un des lieux possibles pour Emmaüs car il y en a au moins 3 ! Ce lieu était tenu par la communauté des Béatitudes et, à la sacristie, la sœur me demande de quel diocèse je suis, fièrement, je lui réponds que je suis du diocèse du Saint Curé d’Ars et je m’empresse d’ajouter : mais je ne suis loin d’être à sa hauteur. Elle me répond : vous voulez dire que vous n’êtes encore pas descendus assez bas pour être à sa hauteur ! Quelle claque, j’ai pris ! Comme elle avait raison !
Finalement, c’est en descendant qu’on le trouvera puisqu’il a choisi cet itinéraire pour nous rejoindre. Rappelons-nous les paroles que Jésus prononce quand, invité chez un pharisien, il voit que ces derniers jouent des coudes pour se mettre aux premières places Lc 14,7-14. Si Jésus nous conseille de choisir la dernière place, ce n’est pas une stratégie pour mieux pouvoir monter, non ! Choisir la dernière place, c’est l’assurance d’être en bonne compagnie puisque c’est la place que le Seigneur a choisie !
Le problème, c’est qu’on a de la peine à la choisir cette dernière place, elle nous fait peur, on aime quand même bien les honneurs, la reconnaissance ! Alors, en ce moment, à cause des scandales à répétition, l’Eglise y est conduite, malgré elle, à cette dernière place !
Elle perd, à chaque révélation de scandale, un peu plus de sa respectabilité, de son pouvoir moral, c’est douloureux, mais sans doute salutaire parce que ça va peut-être la rendre plus accrochée à l’Evangile, ça va l’obliger à renoncer à toute forme de prestige. Peut-être aussi que ça va l’aider à faire la vérité en constatant que, tels les pharisiens et docteurs de la Loi que Jésus fustige, en matière de sexualité, elle avait chargé les épaules de ses fidèles de fardeaux qu’elle-même, par ses responsables, ne voulait pas porter ! Nul ne peut dire comment nous sortirons de cette crise, mais ce qui est sûr, c’est que le Seigneur qui a choisi de descendre toujours plus bas ne nous abandonne pas. Et si, c’est avec lui, que nous voulons reconstruire, alors nous en sortirons, bien appauvris, mais illuminés de la vérité de l’Evangile et notre témoignage sera rendu à nouveau crédible.