En lisant cette parabole que nous connaissons tous si bien, est-ce que vous vous êtes déjà posé cette question : qu’est-ce qui serait arrivé si le fils qui revenait avait croisé son frère ainé avant son Père ? Evidemment, ça aurait été une catastrophe !
Parce que, si le frère ainé avait dit à son frère cadet tout ce qu’il devait dire si régulièrement à son père, ça aurait été une catastrophe ! D’autant plus que cette parabole nous est parvenue sous la forme d’un texte ce qui veut dire que c’est à nous d’imaginer le ton avec lequel le fils aîné parle avec son père, la dureté de son visage quand il lui parle.
Oui, vraiment, on peut dire : heureusement que ce n’est pas le frère qu’il a croisé, mais le père, sinon, il serait reparti tout de suite en se disant : si mon frère me parle de cette manière, c’est le signe que je ne suis pas le bienvenue dans cette maison, même comme ouvrier, je n’y ai plus ma place ! Mais heureusement, c’est le père qu’il a rencontré. En méditant cette parabole avec cette porte d’entrée, je me suis même dit que c’est pour cela que le père allait guetter régulièrement au bout du chemin. Oui, le père espérait le retour de son fils cadet, mais il devait se dire : s’il rentre et qu’il tombe sur son frère, c’est foutu, il repartira ! Alors, sans arrêt, il allait au bout du chemin espérant, guettant son retour, c’est comme cela qu’il pourra l’accueillir en premier. Le texte nous dit, en effet, que le père l’a vu alors qu’il était encore loin et qu’il s’est mis en courir, il ne fallait pas que, maintenant qu’il était tout près, il croise son frère, alors, oubliant la fatigue causée par les nuits sans sommeil, oubliant son grand âge, il se met à courir … on ne sait jamais, si l’autre fils arrivait plus tôt que prévu, il ne faudrait pas qu’il vienne tout gâcher.
Parce que le père en était convaincu, une rencontre entre les deux frères serait catastrophique. Il avait bien vu que son ainé n’avait eu aucun chagrin devant le départ de son frère, juste de la colère. Il avait entendu ce que le fils ainé lui disait régulièrement : pourquoi tu te fais du souci pour lui, il n’en vaut pas la peine ! Tu n’as encore pas compris qu’il ne t’a jamais aimé, que chez toi, ce qu’il aimait, c’est ton argent ? Pourquoi tu restes sans appétit devant ton assiette ? Pourquoi tu te lèves tous les matins avec des yeux gonflés par les pleurs et les insomnies ? Oublie-le puisqu’il t’a oublié et tu retrouveras goût à la vie !
Mais évidemment, le père ne pouvait oublier son enfant même s’il avait bien souffert quand il lui avait réclamé sa part d’héritage car cette demande avait été comme un coup de poignard. Il avait encore bien souffert quand il l’avait vu partir sans une parole de consolation à son endroit. Il continuait de souffrir puisqu’il n’avait aucune nouvelle. Mais ce garçon restait son fils ! Quoiqu’il ait fait, quoiqu’il continue à faire, ce garçon restait son fils ! Et puis, son fils aîné le faisait autant souffrir avec ce qu’il ne cessait de lui répéter, avec ses paroles méprisantes à l’égard de celui qu’il ne voulait plus appeler son frère. Avec son comportement, ce fils aîné, c’est un peu comme s’il l’avait aussi perdu. Alors, s’il y avait une maigre chance que le fils parti revienne, il ne fallait surtout pas qu’il croise en premier son frère ainé. C’est pour cela qu’il allait si souvent au bout du chemin.
Pourquoi j’insiste autant sur le fils ainé et sur ce scénario d’une rencontre des deux frères ? Il y a deux raisons à cela.
- La première raison, c’est que moi, non plus, je ne m’étais jamais posé cette question : qu’est-ce qui se passerait si le fils qui revient rencontrait en 1° son frère ainé ? Mais cet été, dans une session du Renouveau à Notre Dame du Laus, il y a eu une intervention d’une bibliste, Mary qui a posé cette question. Elle n’en a pas dit plus, mais cette question m’a vraiment touché et je m’étais promis d’y réfléchir sérieusement, c’est chose faite !
- La deuxième raison c’est que, finalement, c’est pour parler de ce fils ainé que Jésus a raconté cette parabole et a donné tant de détails sur le fils parti et sur les retrouvailles avec le père. Rappelez-vous, la parabole commence par ces mots : « En ce temps-là les publicains et les pécheurs venaient tous à Jésus. Les scribes et les pharisiens récriminaient contre lui en disant : cet homme fait bon accueil aux pécheurs et il mange avec eux. » Jésus veut donc justifier son attitude qui n’est pas comprise par les scribes et les pharisiens, il veut justifier pourquoi il fait bon accueil à ceux qui sont partis loin de la maison du Père. C’est donc pour tous ceux qui sont comme le fils ainé que Jésus parle du fils parti et de son retour à a maison du père. C’est pour cela, voyez-vous, qu’il ne faudrait jamais couper cette parabole … et pourtant, c’est ce qui se fait souvent. On trouve que le texte est trop long, alors, on se contente de la 1° partie. Quel dommage, car, souvent c’est la 2° partie qui nous concerne le plus parce que, souvent, nous aussi, nous nous considérons comme des gens bien et nous jugeons, parfois même nous condamnons ceux qui ne sont pas sur le bon chemin.
Si nous acceptons de lire le texte en entier et de méditer sur les deux parties du texte, nous pourrons en tirer deux leçons pour nous aujourd’hui.
- 1° leçon : s’il nous arrive un jour de nous éloigner de la maison du Père, il est bon que nous sachions que, quoique nous ayons fait, non seulement le Père sera prêt à nous accueillir mais qu’en plus, il espérera, il guettera notre retour. Bien sûr, ce n’est pas une invitation à faire n’importe quoi parce que, loin de la maison du Père, nous ne sommes pas en sécurité. Le fils cadet, on peut dire qu’il a « mangé de la vache enragée. » D’ailleurs, s’il n’avait pas décidé de revenir, il aurait fini par mourir. Et puis, il y a eu cette lente descente aux enfers, à force de vivre comme un cochon, il a fini avec les cochons, suprême déchéance pour un juif. Donc, le fait de connaître la miséricorde inépuisable du Père n’est pas un encouragement à faire n’importe quoi parce qu’il ne pourra pas empêcher les drames que nous vivrons loin de Lui. Il ne pourra pas empêcher que, loin de Lui, la vie se transforme en enfer.
- 2°
leçon : si nous lisons la parabole jusqu’au bout en intégrant l’histoire
du fils ainé, alors nous ne pouvons que faire cette prière : Seigneur,
fais que je ne devienne jamais aussi détestable que le fils ainé ! Fais
que je n’aie jamais un cœur aussi dur que lui !
- On ne peut qu’espérer que les scribes et les pharisiens aient fait cette prière. Parce que, normalement, les scribes et les pharisiens auraient dû être ceux qui se mettent au service de la miséricorde de Dieu pour qu’elle puisse être accueillie dans tous les cœurs. En effet, les scribes et les pharisiens étaient les grands connaisseurs de la Loi, quand on dit ça, on pense qu’ils étaient juristes.Pourtant ce n’est pas le cas ! C’est vrai qu’ils ont dérapé en devenant légalistes, mais il est bon de nous redire que la Loi, c’est la Torah, c’est la Parole de Dieu et dans la Parole de Dieu, il est clair que Dieu est miséricorde. Il faut sortir de nos têtes ces idées complètement fausses qui prétendent que dans l’Ancien Testament, Dieu est juge et dans le Nouveau Testament, il est amour. Non, dans le Premier Testament, Dieu est miséricorde et donc, les spécialistes auraient dû se mettre au service de cette miséricorde, or, leur légalisme les en ont empêché et c’est donc pour eux que Jésus raconte cette histoire.
- Mais c’est aussi pour les apôtres qu’il raconte cette histoire. En effet, eux aussi, Jésus les avait choisis pour qu’ils deviennent ses collaborateurs, collaborateurs de sa miséricorde. Or, que voyons-nous dans les Evangiles ? Très souvent, ils écartent ceux qui veulent voir Jésus. Peut-être le font-ils avec une bonne intention, c’est-à-dire pour protéger Jésus (comme le secrétariat du pape qui refuse des tas de rdv pour protéger le pape et lui ménager des plages de repos cf. ce que m’a dit l’archevêque de Bujumbura à qui le pape a dit : ne passez pas par mon secrétariat pour obtenir ce rdv, je vous appellerai moi-même pour vous dire quand je peux vous recevoir !) mais le résultat est quand même là : des petits sont empêchés par les apôtres de voir Jésus, c’est le cas de cet aveugle sur le chemin, c’est le cas des enfants. Donc, c’est aussi pour les apôtres que Jésus raconte cette histoire.
- Enfin, c’est aussi pour nous qu’il raconte cette histoire ! J’aime bien dans l’histoire de Zachée qui dit que Zachée ne pouvait pas voir Jésus à cause de la foule qui l’en empêchait puisqu’il était de petite taille. Ce sont les « fans » de Jésus qui empêchent Zachée de voir Jésus. Nous sommes les « fans » de Jésus, alors ne nous arrive-t-il pas parfois, nous aussi, de faire écran … nous voulons tellement les premières places que nous oublions les autres, ceux qui sont au fond et qui se sentent indignes.
Alors, cette parabole, elle nous fait espérer un 3° fils. Parce que, ce père, il n’a quand même pas de chance avec ses fils. Le 1° l’a tellement fait souffrir en partant et en restant si loin sans donner de nouvelles. Oui, bien sûr, il est revenu, mais ça n’empêche pas qu’il ait fait souffrir son père. Le fils ainé, lui, il le fait souffrir en ayant décidé que le plus jeune fils de son père n’était plus son frère. Alors, on se met à rêver d’un 3° fils pour ce père. Oui, il mériterait un 3° fils, un qui ne parte pas, un qui ne rejette pas son frère quand il dérape. Il mériterait un 3° fils qui permette à ceux qui veulent partir de comprendre le chagrin qu’ils vont faire au Père. Un 3° fils qui irait chercher ceux qui ont malgré tout décidé de partir parce qu’il ne veut pas laisser son père dans le chagrin ni laisser ses frères manger de la vache enragée et un 3° fils qui organiserait lui-même la fête du retour.
Bien sûr, ce 3° fils, c’est Jésus et, finalement c’est à lui qu’il serait bon que nous finissions par ressembler. Peut-être Jésus a-t-il raconté cette parabole pour cela, pour que nous acceptions de devenir à l’image de ce 3° fils, à son image.
Merci beaucoup Père Roger. Très inspirant votre enseignement.
Merci !