Je m’en souviens encore, quand j’étais en 1° année de séminaire, c’était en 1976, un des profs de Bible du séminaire, mais ce n’était pas le père Michon, quand il a commencé son homélie pour commenter cet évangile que nous venons d’entendre a dit : « Pour moi, c’est le plus beau texte de la Bible, s’il ne fallait garder qu’un seul texte de toute la Bible, ça serait celui-là ! » Moi, ça m’a beaucoup étonné, parce que, à l’époque, je ne connaissais pas grand-chose à la Bible, alors la lecture de ce texte m’avait particulièrement ennuyé par son côté répétitif et l’alignement de tous ces noms qui évoquaient des inconnus à quelques rares exceptions près, surtout dans les premiers Abraham, Isaac, Jacob, David, Salomon et bien sûr Joseph et Marie. Mais tout cela faisait moins de 10 noms connus dans cette liste impressionnante, d’où un certain ennui. 

Aujourd’hui, il me reste encore beaucoup à découvrir à propos de la Bible qui est un univers tellement vaste que, comme pour l’univers qui nous entoure, nous n’aurons jamais fini de l’explorer … il me reste beaucoup à découvrir, mais j’ai quand même fait des progrès, ce qui m’a permis de quasiment inverser les proportions. Désormais, quand je lis ce texte, il y a beaucoup plus de noms connus que de noms inconnus, du coup, derrière le nom de ceux que je connais, il y a une histoire qui peut se mettre à chanter et qui donne toute sa saveur à la lecture de ce texte et c’est cette saveur que j’aimerais vous faire partager, évidemment, sans reprendre chaque nom cité, d’autant plus que, je vous l’ai dit, certains restent encore des inconnus.

D’abord, il est bon de préciser que nous lisons ce texte parce que nous sommes entrés dans la semaine de préparation à Noël, le compte à rebours a commencé ! Et, si chaque année, c’est ce texte qui ouvre la semaine de préparation, c’est parce que, pour l’Eglise, il revêt une grande importance. Dans les Evangiles, il y a deux généalogies de Jésus, l’une en Saint Matthieu, c’est celle que nous venons de lire et l’autre en St Luc. Il y a des petites différences entre l’une et l’autre, pour deux raisons. 

• La première, c’est qu’à l’époque, on ne tenait pas de registres de naissance qui auraient permis après coup, de reconstituer un arbre généalogique parfaitement fiable. 
• La seconde c’est qu’en écrivant leur généalogie, chacun des deux évangélistes, poursuit un but différent. Luc, le médecin d’origine grec, a décidé de commencer sa généalogie avec Adam, le premier homme pour montrer combien sa venue concernait toute l’humanité, juifs et païens, ces païens qu’il fréquentait de près. Matthieu, lui, parce qu’il est juif et qu’il écrit pour des juifs a décidé de commencer sa généalogie avec Abraham, le père des croyants, pour montrer comment Jésus était enraciné dans le peuple juif et que sa venue était bien l’accomplissement des promesses faites à ce peuple juif.

Ces explications nous aident à comprendre ces différences et à comprendre qu’il est inutile de chercher qui donne la généalogie la plus vraisemblable. Il n’y en a pas un qui a juste et l’autre qui a faux, ils ont un point de vie différent qui leur donne un point de départ différent et qui fait que certains noms sont cités dans la généalogie de Luc et oublié dans celle de Matthieu et vice et versa ! Mais, même avec un projet différent, il reste qu’il y a un point commun bien plus important que leurs différences. Matthieu et Luc ont voulu montrer que Jésus était vraiment un homme, tellement bien enraciné dans une histoire d’hommes qu’on peut faire la liste de ses aïeux en remontant loin, très loin !

L’autre point qui relie ces deux généalogies et qui est vraiment très beau, c’est que aucune de ces généalogies n’a voulu cacher certains noms. Je ne sais pas comment c’est chez vous, mais chez nous, en France quand on parle de nos histoires de famille, il y a des noms qu’on se garde bien de citer parce qu’on n’est pas très fier de ce qu’ils ont fait. Quand il y a dans la famille quelqu’un qui a fait de la prison pour un motif grave, son nom est passé sous silence. Dans le passé quand il y avait des naissances issues d’un adultère, on jetait ce même voile de silence sur les géniteurs. Bref, quand on raconte l’histoire de sa famille, c’est plus facile de s’arrêter sur les noms de ceux qui ont eu un passé glorieux pour oublier ceux qui font honte.

Ni Matthieu, ni Luc n’auront agi de cette manière en écrivant leur généalogie. Je vous en donne quelques exemples. Rahab qui est citée dans la généalogie était une prostituée, ce n’est quand même pas glorieux. Eh bien, les évangélistes n’ont pas voulu cacher que dans la généalogie de Jésus, il y avait des personnes pas très fréquentables. Et c’est encore plus flagrant à propos de David. Il est dit : « David, de son union avec la femme d’Ourias, engendra Salomon. » On aurait pu dire plus simplement : « David, de son union avec Bethsabée engendra Salomon. » En disant les choses ainsi, ceux qui n’étaient pas très doué dans leur connaissance de la Bible n’auraient pas vu que Salomon est un fils né d’un adultère ! Non, l’Evangile, en mentionnant que Salomon est né de l’union de David, non pas avec sa femme, mais avec la femme d’Ourias, a voulu rappeler que dans la généalogie de Jésus, il y a des histoires marquées par le péché. En revenant en arrière, nous pouvons nous arrêter sur la mention de Ruth qui est une étrangère. Alors, bien sûr, ce n’est pas un péché d’être étranger, je suis un étranger chez vous ! Mais un juif, il se fait une gloire de montrer que son sang est pur, il aime donner sa généalogie justement pour montrer qu’il n’y a pas de sang païen en lui. Ce n’est pas le cas de Jésus et l’Evangile l’assume parfaitement en rendant public cette vérité. J’aurais pu épingler un certain nombre de rois qui sont cités et qui ont eu un règne absolument désastreux. Puisqu’on n’a pas cité tous les rois, les plus mauvais, on aurait pu les oublier, eh bien, non, ceux qu’on a tenu à ne pas oublier, ce sont les mauvais !

Evidemment, tout cela a été fait dans un but bien précis : c’est pour que chacun de nous, en lisant cette généalogie, puisse être convaincu que Jésus n’a pas honte de lui. Dans ses aïeux, il y en a un certain nombre qui n’ont pas eu une vie glorieuse, moi, vous, comme croyants, nous sommes de sa descendance et notre vie n’est pas toujours glorieuse. Oh, nous n’avons pas fait de choses extrêmement graves, mais nous sommes bien loin de répondre à ce que Jésus attend de nous et surtout, nous sommes très loin de faire tout le bien que nous pourrions faire. Eh bien, de même que Jésus n’a pas eu honte de ses aïeux au passé peu glorieux, de même, il n’a pas honte de nous qui sommes ses descendants. La lettre aux Hébreux, au chapitre 2, le dira dans une formule qui me touche toujours : « Jésus n’a pas honte de nous appeler ses frères. » 

Et en disant cela, nous sommes vraiment plongés au cœur du mystère de l’Incarnation, mystère auquel la lecture de cet Evangile veut nous préparer. Jésus est venu pour chercher et sauver ceux qui étaient perdus. Il est venu pour cela, aller chercher ceux qui étaient perdus pour les sauver et cela c’est vrai pour tous les hommes de tous les temps. Ceux qui vont naître après lui, nous qu’il n’a pas honte d’appeler ses frères, nous sommes sauvés par son incarnation rédemptrice. Mais ceux qui sont venus avant lui, sont également sauvés par cette incarnation rédemptrice. Nous connaissons tous cette belle icône dans laquelle nous voyons Jésus remonter des enfers en tenant Adam et Eve par la main, qui eux-mêmes tiennent par la main tous ceux qui étaient dans le séjour des morts et qui attendaient leur Salut, parmi eux, il y avait tous ces aïeux de Jésus au passé peu glorieux et plus largement tous les hommes au passé peu glorieux. Comme il nous est bon de réentendre que Jésus est venu pour sauver, qu’il n’a pas honte de nous appeler ses frères. En ce jour où il nous sera proposé de célébrer le sacrement du pardon, à notre tour, n’ayons pas honte de nos médiocrités, reconnaissons-les en vérité et donnons-les lui puisqu’il est venu pour nous en libérer.